CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 novembre 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10692 F
Pourvoi n° E 17-23.601
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par Mme Sarah X..., domiciliée [...] ,
contre l'arrêt rendu le 23 mai 2017 par la cour d'appel de Bordeaux (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. Jean-Louis Y..., domicilié [...] ,
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 octobre 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Z..., conseiller rapporteur, Mme Wallon, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme X..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. Y... ;
Sur le rapport de M. Z..., conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 8 décembre 2015 par le tribunal de grande Instance de Périgueux, en ce qu'il avait condamné Mme Sarah X... à payer à M. Jean-Louis Y... la somme de 234 161, 64 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2014 ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur la reconnaissance de dette et le taux appliqué :
Qu'il convient de répondre en premier lieu à la demande formée par Mme X..., liée au formalisme de la reconnaissance de dette et à l'application d'un taux dont dépend la réponse à donner à la demande principale ;
Que l'appelante soutient en effet que le taux permettant de calculer le montant de la dette n'est mentionné que dans la partie dactylographiée de la reconnaissance de dette, non dans la partie manuscrite correspondant à la mention "‘Bon pour reconnaissance de dette de la somme de six cent mille francs" ; qu'elle ajoute que le taux est mentionné dans la partie dactylographiée, en chiffres et non en lettres ; qu'elle estime par conséquent qu'il convient de retenir la seule somme écrite en toutes lettres pour évaluer le montant de la dette, soit 91.469 € (600.000 francs) ;
Que M. Y... réplique qu'il n'existe pas de discordance entre la mention dactylographié et la mention manuscrite et que le fait qu'il s'agisse d'une dette de valeur se voyant appliquer un pourcentage n'est pas discuté ;
Qu'aux termes de l'article 1326 du code civil, l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffre, et qu'en cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ;
Qu'or, cette disposition limite l'exigence de la mention écrite par le débiteur à la somme ou à la quantité due sans l'étendre à la nature de la dette et à ses accessoires, de sorte qu'il importe peu que la mention manuscrite ne fasse pas état du taux à appliquer sur la valeur de l'officine » ;
ALORS QUE l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite de sa main, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ; qu'en cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ; qu'ainsi prouvé, l'engagement ne peut excéder cette somme ; qu'en l'espèce, en énonçant que « cette disposition [l'article 1326 du code civil] limite l'exigence de la mention écrite par le débiteur à la somme ou à la quantité due sans l'étendre à la nature de la dette et à ses accessoires, de sorte qu'il importe peu que la mention manuscrite ne fasse pas état du taux à appliquer sur la valeur de l'officine », cependant pourtant que la preuve de l'engagement ne porte que sur le montant porté dans la mention manuscrite, sans s'étendre à une clause dactylographiée de réévaluation du capital, et qu'en refusant de soumettre cette clause à l'exigence de la mention écrite, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1326 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 8 décembre 2015 par le tribunal de grande Instance de Périgueux, en ce qu'il avait condamné Mme Sarah X... à payer à M. Jean-Louis Y... la somme de 234 161, 64 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2014 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « [
]
Sur le montant de la créance entre époux :
Que selon Mme X... l'acte indique de façon erronée que la somme empruntée correspondait à 12 % de la "totalité de l'opération nécessaire à l'acquisition de la pharmacie" ; qu'elle fait valoir que les sommes exposées pour cette acquisition correspondent au prix d'achat auquel s'ajoutent les frais y afférents, soit 9.545.000 francs (8.300.000 francs + 1.245.000 francs), de sorte que le montant emprunté de 600.000 francs ne représente que 6,28 % de la totalité de l'opération financière ; Qu'elle ajoute que le montant de l'emprunt ne correspond pas même à 12 % de la valeur de l'officine (8.300.000 € x 12 % = 996.000 francs) ; Qu'elle estime, en conséquence, qu'il y a lieu d'appliquer le taux de 6,28 % pour le calcul du profit subsistant induit de la référence, dans l'acte, à l'article 1543 du code civil ; Qu'elle fait valoir que la valeur de l'officine correspond à la valeur des parts sociales, lesquelles intègrent à la fois les éléments d'actif, notamment le fonds de commerce, et le passif, à savoir principalement l'emprunt souscrit par la société mentionné dans l'acte d'acquisition de 1989, ce qui permet de valoriser la créance à hauteur de 45.592,8 € (726.000 € x 6,28 %) ;
Que M. Y... réplique que les frais évoqués correspondent à l'application d'un taux forfaitaire pris en compte dans le calcul du montant de la garantie accessoire à l'opération d'acquisition, qu'il ne s'agit pas de frais réels et qu'en toute hypothèse cette considération importe peu dès lors que les parties se sont entendues pour l'application d'un taux de 12 % de la valeur de l'officine de pharmacie au jour de l'aliénation et donc sur l'existence d'une dette de valeur ; Qu'il précise qu'il convient de se placer au jour de l'aliénation de ses parts par Mme Y... pour évaluer l'officine, en ne confondant pas la valeur des parts sociales cédées avec la valeur du fonds de commerce ;
Que l'acte du 24 juillet 1989 intitulé "Constatation de la réalisation de la condition suspensive affectant la cession d'officine de Pharmacie", versé à son dossier (pièce n° 3) par Mme X..., fait état d'une acquisition par Mme Y... et Mme A... agissant en leur qualité de seules associées et au surplus comme co-gérantes de la Société en nom collectif dénommée "Pharmacie A...-Y... S.NC", seule acquéreur, pour le prix de 8.200.000 francs remboursable par 24 versements de 565.693,65 € ; Qu'il ressort de ces énonciations que le taux de 12 % censé représenter la "totalité de l'opération financière nécessaire à l'acquisition de la pharmacie" ne peut se rapporter à l'acquisition de l'officine elle-même mais, selon toute vraisemblance, à la part du financement de Mme X... dans cette acquisition réalisée au moyen d'une société en nom collectif dans laquelle elle n'est que l'une des deux associées ;
Qu'en ce sens, la somme de 600.000 francs empruntée représente 12 % d'une opération financière d'un montant de 5.000.000 francs ; Que cette interprétation est conforme à ce qui est énoncé dans la reconnaissance de dette du même jour (Pièce n° 2), aux termes de laquelle Mme Y... reconnaît devoir à M. Y... la somme de 600.000 francs pour prêt de pareille somme qu'il lui a consenti ce jour "destiné à l'aider à financer l'acquisition pour partie d'une Officine de Pharmacie" ;
Que l'acte de reconnaissance précise que la dette de Mme Y... sera "réévaluable conformément à l'article 1543 du Code civil" et ajoute qu'elle "représentera, au jour de son remboursement, le même pourcentage de la valeur de ladite Officine de pharmacie" ;
Que l'article 1543 du Code civil énonce que les règles de l'article 1479 sont applicables aux créances que l'un des époux peut avoir à exercer contre l'autre et l'article 1479 dispose que sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l'article 1469, troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ;
Que dès lors, les précisions portées sur la reconnaissance quant aux modalités de calcul de la dette ne se justifient que par la volonté des concluants de déroger aux règles posées par la loi, relatives au calcul des créances entre époux séparés de biens, sans quoi il ne serait pas même nécessaire de préciser ces modalités ;
Qu'il convient donc d'évaluer la créance non pas au regard du profit subsistant visé par l'article 1469 du code civil, calculé en rapportant à la valeur du bien au jour de l'aliénation la part que représente la valeur empruntée initialement pour l'acquisition, mais en appliquant le taux de 12 % à "la valeur de ladite officine de Pharmacie" au moment de la réalisation de la condition visée par la reconnaissance de dettes, à savoir le cas "d'aliénation totale ou partielle, gratuite ou à titre onéreux, des parts détenues par Mme Y... dans l'officine de Pharmacie, dont il s'agit" ;
Que les parties ne s'accordent pas sur ce qu'il y a lieu d'entendre par "valeur de l'officine de pharmacie" ;
Que si l'officine de pharmacie ne reçoit pas de définition légale, il ressort de "l'exposé" de l'acte du 24 juillet 1989 (pièce 3 du dossier de Mme X...) que la cession portait sur " l'officine de pharmacie exploitée par M. B...", laquelle comprenait "1° le nom commercial, la clientèle et l'achalandage y attachés et la licence d'exploitation énoncée audit acte ; 2° l'agencement, le matériel et les différents objets servant à son exploitation et toutes les marchandises et matières premières diverses se trouvant dans la pharmacie et ses dépendances [
]" ; Qu'or, sont ici décrits les éléments matériels et immatériels typiques du fonds de commerce, universalité de fait distincte de la forme sociale liée à l'exploitation du fonds ; Que de plus, la reconnaissance de dettes vise "l'acquisition de la pharmacie", non l'acquisition de parts sociales quelconques, ainsi que le paiement d'une dette représentant 12 % de la valeur de "ladite Officine de Pharmacie" ;
Que le premier juge a donc, à bon droit, appliqué le seul taux de 12 % visé par les parties dans la reconnaissance de dette à la valeur du fonds de commerce au moment de la réalisation de la condition suspensive, soit à la date de cession des parts sociales de Mme X... réalisée par l'acte du 12 juillet 2002 (pièce n° 4 du dossier de Mme X...) ; Que le fonds de commerce était alors valorisé à 12.800.000 francs (1.951.347 €), ce qui ressort expressément de l'acte intitulé " cession de parts sociales sous conditions suspensives" datée du 20 mars 2002 (pièce n° 4 du dossier de M. Y...).
Que le jugement sera donc confirmé sur ce point » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « Sur la valeur du fonds de commerce :
Que M. Y... a produit une offre d'achat en date du 16 février 2002 qui précise que la valeur du fonds de commerce s'élève à la somme de 1.951.347 euros ; que ce document n'étant pas signé par le vendeur, Mme X..., il ne peut constituer une preuve suffisante de la valeur de l'officine de pharmacie ;
Qu'en revanche, l'acte de cession sous condition suspensive en date du 20 mars 2002 est signé tant par le cessionnaire que par le cédant, Mme X... ; que celui-ci précise que la valorisation du fonds de commerce a été arrêtée à la somme de 1.951.347 euros et que la valeur de l'actif net (actif-passif), à partir duquel est arrêtée la valeur des parts sociales, est de 817.562, 00 € ; que cet acte caractérise parfaitement la volonté des parties, et notamment de Mme X..., de convenir que la valeur de l'officine de pharmacie, telle que désignée dans la reconnaissance de dette, est de 1.951.347,00 € ;
Sur le montant de la dette :
Qu'il convient de rappeler que les créances entre époux, séparés de biens ne se règlent, selon les modalités des récompenses qu'à défaut de conventions contraires ;
Que la première Chambre civile de la cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 4 mars 2015 et qu'elle a pu retenir que :
"Il résulte de l'article 1543 du code civil que ce n'est qu'à défaut de convention contraire que les créances personnelles que les époux séparés de biens ont à exercer l'un contre l'autre sont évaluées selon les règles de l'article 1469, aliéna 3, du même code" ;
Qu'or, la reconnaissance de dette du 24 juillet 1989 stipule que "la dette de Mme Y... envers son époux sera réévaluable conformément à l'article 1543 du Code civil ; elle représente aujourd'hui 12 % de la totalité de l'opération financière nécessaire à l'acquisition de la pharmacie ; elle représentera au jour de son remboursement le même pourcentage de ladite officine de pharmacie" ;
Qu'il est donc indifférent à la solution du litige que Mme X... ait ou non réalisé un profit lors de l'opération de cession du fonds de commerce, puisque la règle de l'article 1469 alinéa 3 du code civil n'a pas à s'appliquer ;
Que pour évaluer le montant de la créance que M. Y... détient à l'encontre de Mme X..., il y a lieu de s'en tenir aux termes convenus dans la reconnaissance de dette ;
Qu'ainsi est-il prévu dans cet acte que, la dette de Mme X... représentera au jour de son remboursement 12 % de la valeur du fonds de commerce ;
Qu'il est rapporté la preuve que ce fonds de commerce a été évalué à la somme de 1.951.347 euros lors de l'opération de cession ; que la dette de Mme X... s'élève donc aujourd'hui à la somme de 234.161,64 euros, soit 12 % de 1,951.347 euros correspondant à la valeur de l'officine ;
Qu'il convient donc de condamner Mme X... au paiement de cette somme avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant mise en demeure » ;
1°/ ALORS QUE l'emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et au terme convenu ; qu'ayant elle-même constaté que « le taux de 12 % censé représenter la "totalité de l'opération financière nécessaire à l'acquisition de la pharmacie" ne peut se rapporter à l'acquisition de l'officine elle-même mais, selon toute vraisemblance, à la part du financement de Mme X... dans cette acquisition » (arrêt p.5 § 3), la cour d'appel ne pouvait ensuite appliquer ce taux de 12 % à la valeur totale de l'officine de pharmacie elle-même sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 1902 et 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'est dépourvu de cause l'engagement de rembourser un montant calculé sur la base d'une somme supérieure à celle qui a été versée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si l'engagement de rembourser 12 % de la valeur totale de l'officine de pharmacie n'était pas privé de cause dès lors que le prêt à rembourser n'avait financé que la moitié de cette valeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1131 et 1132 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 1902 du même code.