LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
-
-
M. Bruno Y...,
M. Steeve Z..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 9 mars 2017, qui, dans la procédure suivie, sur leur citation directe, contre MM. Patrick E... , Silvère A... et David B... du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 juin 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. X..., conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. C..., conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire C..., les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, de la société civile professionnelle RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général D... ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, 29, 32 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé en ses dispositions civiles le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 8 juillet 2016 ayant renvoyé MM. Patrick E... , Silvère A... et David B... des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un particulier, et débouté MM. Bruno Y... et Steeve Z... de leurs demandes indemnitaires ;
"aux motifs que les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsqu'il est démontré que leur auteur a agi de bonne foi et notamment qu'il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu'il s'est conformé à un certain nombre d'exigences, en particulier de sérieux de l'enquête, ainsi que de prudence dans l'expression ; que ces critères s'apprécient différemment selon le genre de l'écrit en cause et la qualité de la personne qui s'y exprime et notamment, avec une moindre rigueur lorsque l'auteur des propos diffamatoires n'est pas un journaliste qui fait profession d'informer ; qu'en tout état de cause, dans le cas de polémique politique relative au rôle ou au fonctionnement des institutions fondamentales de l'état, une plus grande liberté d'expression est tolérée, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant de la dénonciation de fraude dans le cadre de financement des partis politiques, sujet qui relève incontestablement d'un but légitime d'information ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont fait observer que le seul fait d'être opposé politiquement, même de manière extrême, n'est pas de nature à établir l'animosité personnelle, celle-ci exigeant, en droit de la presse, qu'il existe un motif dissimulé ou des considérations extérieures au sujet traité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que, cependant le lecteur ne peut ignorer que les propos, certes particulièrement vifs, sont tenus dans le cadre d'une polémique politique entretenue par un adversaire local de longue date dont on ne peut attendre un avis contradictoire mesuré ; qu'en tout état de cause, l'auteur a pris le soin à la fin de l'article d'indiquer que "
les faits, s'ils sont avérés, sont graves
", précisant, par là même, qu'en l'état, ils ne l'étaient pas encore ; que c'est à tort que les parties civiles soutiennent que les articles de presse antérieurs à la publication litigieuse produits aux débats par les prévenus sur lesquels l'auteur s'est fondé pour tenir ces propos ont été dénaturés ; qu'en effet, si M. B... s'est basé, en les citant, sur des extraits qu'il a sélectionnés d'articles qui mettent en cause l'association Jeanne pour un montage frauduleux (article Mediapart du 15 avril 2014 et 20 octobre 2014), (Libération – 18 février 2015), et l'utilisation d'assistants parlementaires européens par le Front National (LE MONDE le 11 mars 2015), il ne les a pas pour autant dénaturés, leur sens n'en ayant en rien été déformé, seul leur contenu ayant été réduit, en raison de la taille du communiqué ; qu'en outre, en citant précisément la date de publication de trois articles auxquels il se réfère, il a permis au lecteur de s'y reporter pour de plus amples informations et explications manquantes ; qu'ainsi, compte-tenu de la forme inévitablement réductrice d'un communiqué émanant d'un adversaire politique, la cour confirmera les premiers juges en ce qu'ils ont estimé que les intimés n'avaient pas dépassé les limites de la liberté d'expression au vu d'une base factuelle suffisante et qu'ils pouvaient bénéficier de l'excuse de bonne foi ;
"1°) alors que l'animosité personnelle qui peut animer l'auteur de propos diffamatoires n'est pas à rechercher dans « un motif dissimulé ou des considérations extérieures au sujet traité » mais dans la façon dont s'est exprimé l'auteur et dans la manière dont il a présenté l'imputation diffamatoire ; qu'en l'espèce, d'une part, les propos introductifs de l'article de M. B... (« ils n'ont décidément peur de rien », « le duo Y...-Z... (
) qui passe son temps à calomnier les élus d'opposition à coups de "cul propre" et de "slip sale" ») précédant immédiatement les propos incriminés relèvent de l'invective et de l'attaque personnelle ; que, d'autre part, dans les propos incriminés, les accusations graves, reprises d'autres articles de presse, sont portées sans prendre aucune distance et de manière malveillante et que ces éléments manifestent sans équivoque l'animosité personnelle de M. B... à l'égard de MM. Z... et Y... , laquelle est exclusive de toute bonne foi ;
"2°) alors que le but manifestement poursuivi par M. B... dans l'article en cause est, non pas d'informer objectivement le public sur une enquête judiciaire en cours mettant notamment en cause MM. Z... et Y..., mais de profiter de l'existence de cette enquête pour nuire politiquement à ces derniers en les présentant comme auteurs d'agissements frauduleux et de détournement d'argent public et en appelant à leur démission de leurs fonctions de maire et d'adjoint au maire de la commune d'[...], ce qui constitue un but dépourvu de légitimité et donc exclusif de toute bonne foi ;
"3°) alors que la circonstance que les propos diffamatoires soient « tenus dans le cadre d'une polémique politique entretenue par un adversaire local de longue date » ne dispense pas celui-ci de faire preuve de prudence et de mesure dans l'expression, que les propos incriminés ne s'inscrivant nullement dans une polémique politique portant sur les opinions et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat, le fait justificatif de la bonne foi était nécessairement subordonné à cette condition de pondération, que le seul emploi, à la fin de l'article, de l'expression « s'ils sont avérés » ne suffit pas à caractériser la mesure et la prudence de M. B... dans la formulation des graves accusations qu'il portait contre MM. Z... et Y..., sans autre précaution ni réserve et en des termes « particulièrement vifs » (selon l'expression employée par la cour d'appel elle-même), allant jusqu'à demander leur démission, et que cette absence de prudence et de mesure dans l'expression est exclusive de toute bonne foi ;
"4°) alors que le simple fait que les propos incriminés se réfèrent à trois articles de presse d'où seraient tirées les imputations diffamatoires ne donne pas à celles-ci une base factuelle suffisante permettant d'admettre M. B... au bénéfice de la bonne foi" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement dont il confirme les dispositions civiles et des pièces de la procédure que MM. Z... et Y..., respectivement maire et maire-adjoint de la commune d'[...] (Pas-de-Calais), ont fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un particulier, MM. E... et A..., directeur et co-directeur de la publication du quotidien L'Humanité, et M. B..., à la suite de la parution, le 11 mars 2015, sur le site internet dudit quotidien d'un article intitulé "Enquête sur le FN : Bruno Y... et Steeve Z... doivent démissionner ! (PCF)" et signé "David B..., secrétaire de la section d'[...] du PCF et conseiller municipal PCF d'[...]" ; que M. Z... incriminait plus particulièrement le passage lui imputant de "cautionn(er) un système de prêts à des taux faramineux aux candidats frontistes aux dernières élections qui se sont vus fourguer un kit de campagne à des pris exorbitants", tandis que M. Y... incriminait plus particulièrement le passage selon lequel il "bénéficierait (...) d'un emploi présumé fictif d'assistant parlementaire européen au service d'une eurodéputée de la région Nord-Est", les deux parties civiles poursuivant en outre les propos conclusifs, aux termes desquels : "Dans les deux cas, les faits, s'ils sont avérés, sont graves et relèvent ni plus ni moins que de la fraude et du détournement d'argent public" ; que les juges du premier degré, après avoir retenu le caractère diffamatoire des propos, ont renvoyé les prévenus des fins de la poursuite en leur reconnaissant le bénéfice de la bonne foi et ont débouté les parties civiles de leurs demandes ; que MM. Y... et Z... ont relevé seuls appel de la décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, dans les limites de l'appel, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que les propos incriminés s'inscrivaient dans une controverse politique relative au financement d'une campagne électorale menée par un parti adverse ainsi qu'aux modalités de rémunération de certains de ses membres, sujets par nature d'intérêt général, et que les imputations litigieuses, présentées comme déjà publiées dans d'autres organes de la presse nationale, reposaient sur une base factuelle suffisante, et dès lors qu'en pareil cas, il appartient aux juges d'apprécier moins strictement les critères ordinaires de la bonne foi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros les sommes que MM. Y... et Z... devront payer, d'une part, à M. B..., d'autre part, à MM. E... et A... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit août deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.