CIV. 2
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 juillet 2018
Rejet non spécialement motivé
M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10513 F
Pourvoi n° R 17-20.644
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 11 mai 2017 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre, protection sociale), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, dont le siège est [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 13 juin 2018, où étaient présents : M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, M. Y..., conseiller rapporteur, M. Cadiot, conseiller, Mme Szirek, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise ;
Sur le rapport de M. Y..., conseiller, l'avis de Mme Z..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine de son recours, d'AVOIR confirmé la décision de la commission de recours amiable de la CPAM de l'Oise du 5 septembre 2012, et d'AVOIR déclaré opposable à la société Arcelormittal Atlantique et Lorraine la décision de la CPAM de l'Oise de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident survenu le 22 mars 2012 à Monsieur Philippe A... ;
AUX MOTIFS QUE « Le 22 mars 2012, Monsieur Philippe A..., employé de la société ARCELORMITTAL Atlantique et Lorraine en qualité de technicien logistique (conducteur de train et guide train) est décédé sur son lieu de travail. Une déclaration d'accident de travail a été établie le jour même par la société accompagnée d'un courrier de réserves. Il résulte de cette déclaration d'accident qu'aucunes fractures ou contusions apparentes n'ont été constatées sur la personne de Monsieur A.... Par décision en date du 14 juin 2012, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise a reconnu le caractère professionnel de l'accident et l'a pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels. La société ARCELORMITTAL Atlantique et Lorraine a saisi le 31 octobre 2012 la commission de recours amiable de la caisse qui, par décision du 5 septembre 2012, a rejeté son recours. La société ARCELORMITTAL Atlantique et Lorraine a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de BEAUVAIS qui, après avoir ordonné avant dire droit une expertise médicale sur pièces afin de déterminer si Monsieur A... présentait un état pathologique préexistant au 22 mars 2012 qui serait la cause exclusive dans la survenance de son décès, s'est exprimé comme rappelé précédemment. Aux termes de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise. La présomption d'imputabilité implique que toute lésion survenue au temps et au lieu de travail doit être considérée comme résultant d'un accident de travail sauf s'il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail et notamment s'il est démontré l'existence d'un état pathologique antérieur à l'origine des lésions, de sorte que le travail n'a joué aucun rôle dans la survenance de l'accident. C'est à l'employeur qui veut contester la décision de prise en charge de la caisse qu'il incombe de détruire la présomption d'imputabilité s'attachant à toute lésion survenue brusquement au temps et au lieu de travail en apportant la preuve que cette lésion a une cause totalement étrangère au travail. En l'espèce, Monsieur A... est décédé le [...] à 8 heures du matin, sur son lieu de travail. Il résulte de l'enquête diligenté par la caisse que Monsieur A... se trouvait sur le quai, d'où il guidait le conducteur du train de marchandise qui entrait dans la halle et qu'il est tombé sur les voies. Ses collègues ayant aussitôt donné l'alerte, le train a été arrêté, Monsieur A... dégagé. Les premiers secours lui ont été prodigués mais il n'a pas été possible de le réanimer. Monsieur A... étant décédé au temps et au lieu de travail, la présomption d'imputabilité du malaise au travail s'applique. Sauf à opérer un renversement de la charge de la preuve dès lors que la présomption d'imputabilité s'applique, l'employeur doit apporter des éléments de faits ou médicaux permettant de démontrer ou de laisser penser que les lésions présentées par le salarié ont une origine autre que le travail. Si l'employeur invoque l'existence d'un état pathologique préexistant, il y a lieu de constater que l'expert mandaté par les premiers juges, s'il indique qu'en l'absence d'éléments précis il n'est pas possible de déterminer si la mort est en rapport ou non avec l'activité professionnelle du défunt, indique qu'une insuffisance cardiaque antérieure telle qu'alléguée par l'employeur eu égard à l'hospitalisation ancienne en 2009 du défunt, à un tel degré de modestie qu'elle permet à un homme de cet âge de travailler de façon aussi physique, n'aboutit pas à un décès subit dans ces circonstances. Par ailleurs, le médecin conseil, par avis du 6 septembre 2012 avait indiqué que selon les données du service médical le travail ne peut pas être considéré totalement étranger aux causes du décès. Il résulte des éléments du dossier que la caisse a produit des pièces et a précisé ne pas avoir eu connaissance d'une hospitalisation du défunt survenue en 2009, cet élément ne résultant que des dires de Monsieur B..., responsable du département logistique, à l'agent enquêteur de la caisse. L'employeur ne fournit par ailleurs aucun commencement de preuve de la réalité d'une hospitalisation subie par la victime en 2009 en lien avec une pathologie cardiaque. Il n'est pas établi que l'employeur, au cours de la mesure d'expertise, a sollicité la communication d'éléments détenus par le médecin du travail, étant constaté qu'a assisté aux opérations d'expertise le docteur Jacques C..., médecin conseil de la société ARCELORMITTAL Atlantique Lorraine. Si l'expert désigné conclut à l'absence d'arguments médicaux permettant d'attribuer le décès du salarié à une origine professionnelle, il ne donne pas d'élément susceptible de rattacher ce décès à une cause extérieure au travail. Il ne ressort pas des pièces produites par l'employeur d'autres éléments susceptibles d'établir la preuve de l'absence de tout lien entre le travail et le décès. En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il sera jugé que c'est à bon droit que la caisse d'assurance maladie de l'Oise a reconnu le caractère professionnel des faits survenus le 22 mars 2012 à Monsieur A... » ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Si Madame D... a évoqué une pathologie cardiaque remontant à quelques années, elle a ajouté « qu'il allait très bien depuis ». Monsieur B... a indiqué que la victime avait eu des problèmes cardiaques en 2009 et avait été longtemps en arrêt de travail suite à une hospitalisation. Néanmoins, il a également précisé que lors de sa dernière visite médicale remontant à avril 2011, Monsieur A... avait été déclaré apte à son poste de travail, sans restriction. Suite à ces éléments, une expertise a été ordonnée avec pour mission donnée à l'expert de dire s'il existait un état pathologique antérieur ou une cause totalement étrangère au travail à l'origine exclusive du décès de Monsieur A.... Selon l'expert, le seul élément médical qui lui a été transmis est le certificat de décès, lequel mentionne comme cause du décès «a) Arrêt cardio-vasculaire due ou consécutive à : b) Malaise
due ou consécutive à : c) Arythmie cardiaque ?
due ou consécutive à d) Insuffisance cardiaque
autre état morbide Embolie pulmonaire ?» L'expert note que l'arrêt cardiovasculaire est un fait matériel qui a été constaté et que la notion d'arythmie cardiaque « n'est amenée par aucun élément et apparaît pure supputation », et « ne peut en aucun cas être considéré comme un élément formellement identifié de la mort ». Si la caisse indique avoir transmis tous les éléments médicaux en sa possession, il convient de noter que l'expert mentionne dans son rapport n'avoir rien reçu de sa part concernant un éventuel état antérieur, Par courriel du 6 mai 2014, la caisse a par ailleurs répondu à l'expert qu'elle n'avait pas connaissance d'une hospitalisation en 2009 mais seulement d'un arrêt de travail au titre de la maladie du 27 février au 16 mai 2009, dont elle a joint les justificatifs. De même, la copie du compte rendu de l'hospitalisation qui aurait eu lieu en 2009 a été demandée à Mme D... par l'expert sans succès. Il résulte du rapport d'expertise que, quand bien même le compte rendu d'hospitalisation ou des éléments médicaux relatifs à un état antérieur eussent été transmis à l'expert, « une insuffisance cardiaque à un tel degré de modestie qu'elle permet à un homme de cet âge de travailler d'une façon aussi physique n'aboutit pas à un décès subit dans ces circonstances », de même que l'embolie pulmonaire peut se comprendre comme une « éventualité envisageable mais en rien comme une cause certaine ou même probable ». L'expert est parvenu à la conclusion qu'il est impossible, eu égard à la méconnaissance des circonstances et des causes de la mort, de déterminer si la mort est en rapport ou pas avec l'activité professionnelle de la victime. S'il est regrettable qu'aucune intervention de l'inspection du travail ni une autopsie n'ait eu lieu au moment du décès, il n'en demeure pas moins que le peu d'éléments apportés tant par la caisse que par la société relativement à un état antérieur ne justifie pas non plus d'ordonner une mesure d'autopsie dans ces circonstances. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de constater que la société n'apporte pas la preuve que l'accident du travail est dû à une cause totalement étrangère au travail. En conséquence, l'accident de travail survenu à Monsieur A... sera déclaré opposable à la société ARCELOR MITTAL » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE lorsqu'une expertise judiciaire est ordonnée aux fins de déterminer le caractère professionnel des lésions apparues à la suite d'un accident du travail, la CPAM est tenue de transmettre l'intégralité du dossier médical au technicien désigné par la juridiction qui en fait la demande ; qu'en présence d'un refus de la CPAM de communiquer les éléments nécessaires à la réalisation de la mission du technicien, il appartient au juge d'apprécier si ce refus tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve, et de tirer toute conséquence du comportement d'une partie défaillante dans son obligation de concourir à la mesure d'instruction ordonnée ; qu'au cas présent, la société rappelait dans ses conclusions d'appel que par jugement avant-dire droit le tribunal avait ordonné une mesure d'expertise et enjoint à la CPAM d'adresser au technicien le dossier médical du salarié ; que malgré sa demande, l'expert a précisé que la CPAM ne s'était pas conformée à cette injonction, le médecin désigné par le TASS indiquant dans son rapport n'avoir pas eu connaissance de l'entier dossier médical ; que, dès lors l'expert avait dû se prononcer à la vue des seuls éléments médicaux qui lui avaient été transmis, sans être éclairé par l'ensemble des pièces du dossier médical ; qu'en déboutant néanmoins la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine de sa demande d'inopposabilité aux motifs qu'elle ne renversait pas la présomption d'imputabilité de l'accident au travail après avoir constaté que la CPAM n'avait pas communiqué l'entier dossier médical de la victime à l'expert malgré sa demande, sans rechercher si la CPAM disposait d'un motif légitime pour refuser de coopérer à la mesure d'instruction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 411-1 du code de la sécurité sociale, 10, 11 et 243 du code de procédure civile, et 6-1 de la Convention Européenne De Sauvegarde Des Droits De L'homme Et Des Libertés Fondamentales ;
ALORS, D'AUTRE PART, ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE le droit à la preuve découlant de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique que le justiciable dispose d'une possibilité effective d'accéder à la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions ; que, si les malaises apparaissant aux temps et lieux de travail sont présumés être d'origine professionnelle, l'employeur conserve la possibilité de démontrer qu'ils résultent d'une cause totalement étrangère ; que cette possibilité implique, lorsque une mesure d'expertise a été ordonnée, que la CPAM adresse l'ensemble du dossier médical au technicien pour qu'il soit mis en mesure de déterminer la cause de la lésion de la victime ; qu'au cas présent, qu'au cas présent, la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine faisait valoir que la caisse ne pouvait lui opposer la présomption d'imputabilité, ni critiquer les insuffisances des conclusions de l'expert, dès lors que cette situation était exclusivement imputable à sa conduite qui, en s'abstenant d'adresser l'ensemble des éléments médicaux de nature à mettre en mesure l'expert de donner un avis, avait mis l'employeur dans l'incapacité de détruire la présomption ; qu'en considérant néanmoins que la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine devait succomber dès lors que l'avis de l'expert judiciaire indiquait que, en l'absence d'éléments précis, il n'était pas possible de déterminer si la mort du salarié était ou non en relation avec l'activité professionnelle du salarié, cependant que la CPAM avait par son comportement empêché son bon déroulement et privé l'employeur du seul moyen de preuve qui lui aurait éventuellement permis de procéder à la destruction de la présomption d'imputabilité, la cour d'appel a violé les articles L. 411-1 du code de la sécurité sociale et 6-1 de la Convention Européenne De Sauvegarde Des Droits De L'homme Et Des Libertés Fondamentales ;
ALORS, ENFIN, QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents produits au litige ; que dans son rapport l'expert a, d'une part, écarté l'une des hypothèses avancées par le certificat de décès en constatant que le malaise ne pouvait être causé par une arythmie cardiaque, et d'autre part, que malgré sa demande, la CPAM ne lui avait pas transmis le dossier médical indispensable pour renseigner le rôle éventuel joué par un état antérieur ; que l'expert n'a donc pas écarté toute possibilité qu'un état antérieur préexistant soit à l'origine de la pathologie mais s'est borné à constater que le décès ne pouvait avoir été causé par une arythmie cardiaque, et que le production d'éléments médicaux était donc inutile pour approfondir cette hypothèse ; qu'en affirmant néanmoins qu' « il y a lieu de constater que l'expert mandaté par les premiers juges, s'il indique qu'en l'absence d'éléments précis il n'est pas possible de déterminer si la mort est en rapport ou non avec l'activité professionnelle du défunt, indique qu'une insuffisance cardiaque antérieure telle qu'alléguée par l'employeur eu égard à l'hospitalisation ancienne en 2009 du défunt, à un tel degré de modestie qu'elle permet à un homme de cet âge de travailler de façon aussi physique, n'aboutit pas à un décès subit dans ces circonstances » pour écarter toute possibilité qu'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte soit à l'origine du malaise du salarié, cependant que l'expert n'avait nullement écarté cette éventualité, mais avait au contraire affirmé qu'il ne lui était pas possible de se prononcer sur ce point faute pour la CPAM de lui avoir adressé les éléments médicaux relatifs à cet état, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise en méconnaissance du principe susvisé.