SOC.
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 juillet 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10963 F
Pourvoi n° V 17-14.001
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société SCM des Pierres, société civile de moyens, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 27 décembre 2016 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme Claire Y..., domiciliée [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 13 juin 2018, où étaient présentes : Mme X..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Z..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, Mme Becker, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Richard, avocat de la société SCM des Pierres, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme Y... ;
Sur le rapport de Mme Z..., conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SCM des Pierres aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société SCM des Pierres et la condamne à payer à Mme Y... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société SCM des Pierres
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement pour inaptitude de Madame Claire Y... en date du 20 février 2013 est consécutif à des agissements répétés de harcèlement moral de la part de son employeur, la SCM DES PIERRES, d'avoir prononcé la nullité de la mesure de licenciement et d'avoir condamné la SCM DES PIERRES à payer à Madame Y... les sommes de 3.724,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 16.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la perte de son emploi et 8.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des souffrances endurées du fait du harcèlement moral ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L. 1152-1 du Code du travail « aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, relatives à la charge de la preuve, il incombe au salarié d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa ou ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, s'agissant des faits de harcèlement moral imputés à sa collègue de travail, Mme Y... produit en preuve un rapport médical établi le 22 janvier 2013 et adressé au médecin du travail par deux praticiens du Service de pathologie professionnelle et de souffrance au travail du CHRU de BESANCON, suite à une consultation du 7 janvier 2013, au cours de laquelle celle-ci a fait état d'une attitude dominatrice et même intrusive à son égard de Mme A..., dont on lui avait reporté qu'elle dénigrait son travail et l'accusait de toutes les erreurs faites dans le cabinet, ainsi que du refus de son employeur, le Dr B..., alerté de cette situation, de prendre en compte ses doléances ; que la SCM DES PIERRES est fondée à dénier toute valeur probante à ce document, étant donné qu'il se borne à la « retransmission du discours de Mme Y... et de ses ressentis », ainsi qu'ont pris soin de le préciser ses rédactrices, le docteur Adeline C... et la psychologue Elise D... ; que d'autre part et en tout état de cause, il ne fait mention d'aucun fait précis et circonstancié matériellement vérifiable, permettant une évaluation objective de la situation, qu'il en est de même des attestations établies par les proches de l'intéressée, Mme Y... mère, M. E..., son conjoint, qui ne font qu'évoquer l'état dépressif de celle-ci et son ressenti professionnel (pressions de l'employeur et de sa collègue) sans même les situer dans le temps et sans relater des faits précis, datés et circonstanciés constatés par eux ou rapportés par elle ; que, quant à l'attestation de Mme Séverine F..., qui a elle-même engagé une action en justice pour harcèlement moral contre leur employeur commun, elle est évidemment suspecte de partialité et dénuée de toute crédibilité, étant établie en termes généraux et pour le moins excessifs, sans faire mention d'aucun fait précis de nature à caractériser le dénigrement du travail de Mme Y... par sa collègue ; que la SCM DES PIERRES produit pour sa part divers documents et pièces (attestations G..., H..., I..., J...-K..., photographies) attestant de relations amicales étroites entre Mmes Y... et A... en dehors du travail (cours de tennis, sorties, réunions familiales) jusqu'au début de l'année 2012, en contradiction totale avec des allégations de harcèlement moral remontant à 2010, formellement contestées par la mise en cause ; qu'elle communique également (pièce 33) un document établi par Mme A... relatant l'évolution de ses relations avec Mme Y... de 2004 à 2012, dont il résulte que la dégradation de celles-ci à partir du printemps 2012 est consécutive à son refus de soutenir sa collègue dans ses revendications salariales fondées sur le principe « à travail égal, salaire égal » ; que Mme Y... et Mme F..., qui lui avaient part de leur démarche auprès de l'inspection du travail en vue de faire valoir leurs droits, sont devenues alors très distantes avec elle et leurs échanges au sein du cabinet se sont limités aux bonjours et au revoir, jusqu'à une réunion du 2 octobre 2012 qui a dégénéré en conflit ouvert, avec des accusations injustifiées portées à son encontre par Mme F... ; que Mme Y... ne met pas en doute cette relation des événements, qui exclut a priori une implication fautive de sa collègue dans la dégradation des relations de travail, dans la mesure où on ne peut faire grief à celle-ci de ne pas vouloir intervenir au soutien des revendications de ses collègues, au risque de mettre en péril sa propre relation avec l'employeur ; que l'imputation à Mme A... d'agissements de harcèlement moral ne peut donc être retenue ; qu'il apparaît évident en revanche que la dégradation des conditions de travail qui est à l'origine du syndrome anxio-dépressif et de l'inaptitude définitive de Mme Y... à son poste de travail est consécutive à des agissements de l'employeur relevant du harcèlement moral visé par le Code du travail, tels que, d'une part, le maintien d'une discrimination salariale injustifiée au préjudice de la salariée, d'autre part une attitude délibérée et réitérée de mépris des droits de celle-ci, manifestée en réponse à sa demande de rupture conventionnelle ; que s'agissant de la discrimination salariale, il résulte des documents produits aux débats que lors de la constitution de la SCM DES PIERRES au 1er avril 2001, les trois assistantes dentaires du cabinet ne bénéficiaient ni du même taux horaire, ni des mêmes primes et avantages, alors que leur niveau de qualification était identique et leurs attributions équivalentes ; qu'ainsi Mmes A... et Y... percevaient en sus de leur salaire de base et de leur prime d'ancienneté, une prime de vacances (1 mois de salaire) et une prime de fin d'année (1/2 mois) ; que ni l'une ni l'autre ne percevait la prime de secrétariat prévue par la convention collective, mais Mme A... bénéficiait d'un taux horaire supérieur de près de 10% à celui de Mme Y... ; qu'enfin, leur prime d'ancienneté était respectivement de 9% et 6% ; que pour sa part, Mme F... bénéficiait d'un salaire horaire de base inférieur d'environ 10% à celui de Mme Y... et d'un taux de prime d'ancienneté de 9%. ; qu'elle a obtenu en juillet 2011 le bénéfice de la prime conventionnelle de secrétariat (10%), mais ses primes de vacances et de fin d'année sont restées très inférieures à celles de ses collègues (500 € et 300 €), alors qu'elle travaillait à plein temps ; que le maintien de ces disparités salariales au sein d'une même entité juridique, contraires au principe d'égalité de traitement, principe général du droit du travail, ne pouvait qu'entraîner une dégradation des relations de travail, dès lors qu'elles n'apparaissaient pas justifiées par des éléments objectifs ; que l'employeur ne peut invoquer, pour justifier le taux horaire supérieur de Mme A..., son ancienneté et son expérience professionnelle, étant donné que celles-ci sont prises en compte par le versement de la prime d'ancienneté dont le taux est progressif, ni le fait qu'elle effectuait des travaux de pré-comptabilité, lesquels font partie de ceux pris en compte pour l'octroi de la prime de secrétariat (article 2-4 de l'annexe 1 de la CCN des cabinets dentaires) ; que dès lors qu'il a été établi que Mme Y... réalisait comme ses deux collègues, l'une des tâches décrites par l'article susvisé, ce que ne pouvait ignorer l'employeur puisque le cabinet ne disposait pas de secrétaire, il incombait à celui-ci de régulariser sa situation soit en alignant son taux horaire sur celui de Mme A..., lequel selon ses dires incluait la prime, soit en lui versant la prime de secrétariat obtenue par Mme F... ; que le maintien de cette discrimination salariale non justifiée par des éléments objectifs pendant plus d'un an après la constitution de la société civile de moyens caractérise de la part de l'employeur un déni des compétences de la salariée et une dévalorisation de sa prestation de travail qui sont à l'origine de la dégradation des relations au sein du cabinet et de l'altération de son état de santé psychique ; qu'il apparaît d'autre part que la SCM DES PIERRES a adressé à Mme Y... , en réponse à ses courriers des 30 octobre et 6 novembre 2012 sollicitant une rupture conventionnelle en application de l'article L. 1237-11 du Code du travail, deux courriers successifs en date des 10 et 14 novembre 2012, qualifiant sournoisement sa démarche de démission pure et simple et fixant d'autorité la date de fin de son contrat de travail au 8 janvier 2013, à l'expiration du délai de préavis de deux mois ; qu'elle a maintenu cette interprétation dans un courrier du 21 novembre 2012 en réponse à celui de la salariée du 17 novembre 2012 contestant avoir démissionné, et ce dans des termes péremptoires reposant sur une argumentation juridique spécieuse, manifestant un mépris évident des intérêts légitimes de la salariée et une volonté non déguisée de lui imposer une rupture de contrat de travail la privant de toutes ressources ; que de tels agissements relèvent indiscutablement de la définition du harcèlement moral telle qu'elle résulte de l'article L. 1152-1 du Code du travail en ce qu'ils caractérisent des pressions réitérées destinées à déstabiliser gravement la salariée et à la dissuader de toute velléité de retour au sein du cabinet ; qu'il ne fait aucun doute qu'à partir de ces faits, la reprise de son poste d'assistante dentaire lui était devenue psychologiquement impossible, d'où l'avis d'inaptitude délivré à l'issue d'une seule visite par le médecin du travail le 22 janvier 2013 en application de l'article R. 4624 -31 du Code du travail ; que le licenciement pour inaptitude étant consécutif à des agissements répétés de harcèlement moral imputables à l'employeur, il y a lieu d'infirmer le jugement déféré et de faire droit à la demande de nullité dudit licenciement, conformément â une jurisprudence constante en la matière ; que la SCM DES PIERRES ne saurait valablement mettre en doute, pour échapper aux conséquences qui en découlent, l'impartialité du médecin du travail et le bien-fondé de son avis d'inaptitude ; qu'en l'absence de recours auprès de l'inspecteur du travail, cet avis s'impose au juge comme à l'employeur ;
1°) ALORS QUE le principe « à travail égal, salaire égal » n'interdit pas à l'employeur, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, de faire bénéficier un salarié d'une rémunération plus importante, dès lors que cette différence de rémunération est justifiée de façon objective et pertinente, au regard notamment de la nature des tâches accomplies ; qu'en décidant néanmoins que la SCM DES PIERRES n'était pas fondée à octroyer à Madame Y... une rémunération de base moindre que celle allouée à Madame A..., en se fondant sur le fait que celle-ci accomplissait des travaux de pré-comptabilité, motif pris que de tels travaux relevaient de la prime de secrétariat, après avoir pourtant constaté que les autres assistantes dentaires ne percevaient pas la prime de secrétariat, à l'exception d'une prime allouée exceptionnellement en juillet 2011 à l'une d'entre elles, dont le salaire de base était inférieur de 10 % à celui de Madame Y..., ce dont il résultait que le salaire de base supérieur perçu par Madame A... était objectivement justifié par les tâches supplémentaires accomplies, la Cour d'appel, qui s'est fondée sur cette prétendue discrimination salariale pour en déduire l'existence d'un harcèlement moral, a violé le principe « à travail égal, salaire égal », ensemble les articles L.1152-1 et L.1154-1 du Code du travail ;
2°) ALORS QUE le principe « à travail égal, salaire égal » n'interdit pas à l'employeur, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, de faire bénéficier un salarié d'une rémunération plus importante, dès lors que cette différence de rémunération est justifiée de façon objective et pertinente, au regard notamment de l'expérience professionnelle et de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise ; que l'employeur peut prendre en considération l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, afin de fixer sa rémunération de base, quand bien même celui-ci percevrait une prime d'ancienneté, qui ne constitue qu'un minimum imposé par un accord collectif ; qu'en décidant néanmoins que la SCM DES PIERRES n'était pas fondée à faire bénéficier Madame A... d'un salaire de base supérieur à celui de Madame Y..., en se fondant sur la plus grande ancienneté de cette salariée, au motif inopérant tiré de ce que cette dernière percevait d'ores et déjà une prime d'ancienneté, afin d'en déduire l'existence d'un harcèlement moral, la Cour d'appel a violé le principe « à travail égal, salaire égal », ensemble les articles L.1152-1 et L.1154-1 du Code du travail ;
3°) ALORS QUE le seul fait, pour l'employeur, de faire valoir auprès du salarié les droits qu'il estime être les siens ne peut constituer un harcèlement moral, quand bien même la position de l'employeur ne serait pas fondée en droit ; qu'en décidant néanmoins que le fait, pour la SCM DES PIERRES, d'avoir analysé en une démission la demande de rupture conventionnelle que Madame Y... lui avait adressée constituait un acte de harcèlement moral, la Cour d'appel a violé les articles L.1152-1 et L.1154-1 du Code du travail.