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12/07/2018 | FRANCE | N°16-26844

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 juillet 2018, 16-26844


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Attendu qu'il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte ;

Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier r

essort, que le syndicat Prism'emploi, la fédération CFDT services, la fédération CFT...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Attendu qu'il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte ;

Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort, que le syndicat Prism'emploi, la fédération CFDT services, la fédération CFTC commerce, services et force vente (CFTC CSFV) et la Fédération nationale de l'encadrement du commerce et des services CFE-CGC (FNECS CFE-CGC) ont, le 10 juillet 2013, conclu un accord de branche portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires, et prévoyant la possibilité, pour les entreprises de travail temporaire, de conclure avec certains de leurs salariés intérimaires un contrat de travail à durée indéterminée intérimaire couvrant l'exécution de l'ensemble des missions qui leur sont confiées, ainsi que les périodes « d'intermission », pendant lesquelles les intéressés demeurent disponibles pour l'exécution de nouvelles missions et perçoivent une garantie minimale de rémunération ; que cet accord a fait l'objet d'un arrêté d'extension du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 22 février 2014 ; que, saisi d'un recours en excès de pouvoir à l'encontre de l'arrêté d'extension du 22 février 2014, le Conseil d'Etat a, par arrêt du 27 juillet 2015, sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur le point de savoir si les parties à l'accord du 10 juillet 2013 avaient compétence pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire ;

Attendu que pour dire que les organisations en cause avaient compétence pour négocier l'ensemble des éléments constitutifs de l'accord collectif de branche conclu le 10 juillet 2013, le jugement retient que le champ normatif de l'accord n'excède pas en soi la limite fixée à l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 concernant notamment les principes fondamentaux du droit du travail relevant de la compétence d'attribution réservée au législateur, que les modalités particulières du contrat à durée indéterminée intérimaire ne font, en définitive, que décliner des obligations civiles préexistantes, qui par définition peuvent donc ne pas être strictement identiques à celles d'un contrat à durée indéterminée de droit commun ou des contrats de missions temporaires jusqu'ici pratiqués et qui relèvent d'un champ conventionnel bénéficiant d'une certaine liberté en complément ou en supplément de la loi, ce d'autant que la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 a prévu, dans son article 56, des conditions d'expérimentation de ce même régime de contrat de travail à durée indéterminée intérimaire ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, laquelle ne dispose que pour l'avenir, et alors que l'accord collectif du 10 juillet 2013, en instaurant le contrat à durée indéterminée intérimaire permettant aux entreprises de travail temporaire d'engager, pour une durée indéterminée, certains travailleurs intérimaires, crée une catégorie nouvelle de contrat de travail, dérogeant aux règles d'ordre public absolu qui régissent, d'une part, le contrat de travail à durée indéterminée, d'autre part le contrat de mission, et fixe, en conséquence, des règles qui relèvent de la loi, le tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 15 novembre 2016, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les parties à l'accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires n'avaient pas compétence pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire ;

Condamne le syndicat Prism'emploi aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le syndicat Prism'emploi à payer à la Confédération générale du travail Force ouvrière (CGT FO) et à la Fédération des employés et cadres Force ouvrière (FEC FO) la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Ordonne la notification de la présente décision au Conseil d'Etat, à titre de réponse à sa question préjudicielle formulée au visa de l'article R. 771-2 du code de la justice administrative dans son arrêt n° 379677 du 27 juillet 2015 ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la Confédération générale du travail Force ouvrière et la Fédération des employés et cadres Force ouvrière.

Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir dit que l'organisation syndicale patronale PRISM'EMPLOI ainsi que la Fédération Nationale de l'Encadrement du Commerce et des Services (FNECS) CFE-CGC, la Fédération CFTC Commerces, Services et Forces de Ventes (CSFV) et la Fédération des Services (FS) CFDT avaient compétence pour négocier l'ensemble des éléments constitutifs de l'accord collectif de branche intitulé Accord portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires, conclu le 10 juillet 2013, d'avoir rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 par la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) et la Fédération des Employés et Cadres Force Ouvrière et d'avoir condamné ces organisations syndicales aux entiers dépens de l'instance ;

AUX MOTIFS QUE « Attendu que l'accord collectif de branche litigieux du 10 juillet 2013 intitulé ACCORD PORTANT SUR LA SECURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS DES SALARIES INTERIMAIRES, basé sur l'Accord national interprofessionel (ANI) du 11 janvier 2013 et ayant fait l'objet d'une extension assortie de certaines réserves par arrêté du 22 février 2014 du Ministre du travail après avis favorables des 11 décembre 2013 et 28 janvier 2014 de la Commission nationale de la négociation collective, prévoit notamment la possibilité nouvelle pour les entreprises de travail temporaire de conclure avec les salariés intérimaires des contrats de travail à durée indéterminée dénommés CDI intérimaire, présentant notamment dans le chapitre 1er de cet accord collectif (faisant l'objet du litige) les éléments suivants :- conclusion du contrat avec le salarié temporaire en vue de la réalisation de « missions successives » avec mise à disposition d'entreprises utilisatrices et non d'un simple contrat de mission tel que cela résulte des dispositions de l'article L. 1251-1 du code du travail (article 1.1 Définition) ; - contrat comprenant des périodes d'exécution de missions et pouvant comporter des périodes sans exécution de missions appelées «périodes d'intermission » ; - pendant ces « périodes d'intermission », l'intérimaire doit demeurer joignable aux horaires d'ouverture de l'agence avec un délai minimum d'une demi-journée pour se rendre dans l'entreprise utilisatrice afin d'exécuter une mission, sauf périodes de congés payés ou de formation professionnelle ; - assimilation de ces «périodes d'intermission » à du travail effectif équivalent à sept heures par jour, ces périodes pouvant par ailleurs être utilisées pour de la formation professionnelle afin d'augmenter l'employabilité ; - principe du volontariat, ce CDI ne s'imposant ni à l'agence d'emploi, ni au candidat à l'emploi, ni au salarié déjà bénéficiaire d'un contrat de travail temporaire ; - dispositifs usuels en matière de période d'essai, de contenu du travail, de congés payés, de rupture, d'exécution des missions et de rémunération ; Qu'en l'occurrence, si l'organisation PRISM'EMPLOI et les trois organisations syndicales de salariés signataires de cet accord ont effectivement convenu qu'il s'agissait d'une nouvelle catégorie de contrat de travail dans la mesure où « Ce CDI présente des particularités qui imposent la mise en place d'adaptations spécifiques. » et « (...) ne peut être strictement identique à celui applicable à un salarié qui conclut temporairement un contrat de mission ni à celui d'un salarié en CDI sans mise à disposition. » (préambule, page 1), il y a lieu de considérer que le champ normatif résultant de ce type de dispositions conventionnelles collectives n'excède pas en soi la limite fixée à l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 concernant notamment les principes fondamentaux du droit du travail relevant de la compétence d'attribution réservée au législateur, en raison : - des dispositions de principe de l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 suivant lesquelles « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective de ces conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », consacrant effectivement le droit à la négociation collective comme une source autonome de droit du travail et que le Conseil constitutionnel place sur le même plan que le pouvoir réglementaire ; - des dispositions de portée générale des articles L. 2221-1 et L. 2221-2 du code du travail qui préambulent les règles du droit fondamental des salariés à la négociation collective sur l'ensemble de leurs conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que sur leurs garanties sociales pour l'ensemble des catégories professionnelles intéressées ;- de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 34 de la constitution du 4 octobre 1958 en matière de principes fondamentaux de droit du travail et de renvoi préférentiel à la négociation collective des partenaires sociaux en ce qui concerne les modalités d'application de ces principes ;- en définitive, d'un ordre public dérogatoire conventionnel qui apparaît libre, largement praticable, très apprécié de la plupart des partenaires sociaux, rappelé sans cesse par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et vivement encouragé par les pouvoirs publics pour déterminer par négociation collective plutôt que par décrets et par défaut les éléments essentiels des modalités concrètes d'application des principes fondamentaux du droit du travail, en dépit de la vision restrictive contraire qu'en donnent les syndicats FORCE OUVRIÈRE au seul visa de l'article 34 de la Constitution. Attendu qu'en ce qui concerne l'application concrète de ces principes généraux, la très large reconnaissance du champ de force de la négociation collective et l'intervention de la loi ou du règlement qui ne doivent en définitive intervenir que par encadrement sur les principes généraux et par défaut sur les modalités, il convient de citer notamment la décision n° 2004-507-DC du 9 décembre 2004 du Conseil constitutionnel, ainsi notamment libellée : « (...)
Considérant qu'il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicté en matière de droit du travail ; qu'il lui est également loisible de prévoir qu'en l'absence de convention collective, ces modalités d'application seront déterminées par décret ; (...) ». Attendu qu'il convient plus particulièrement de se référer au principe fondamental en matière de droit social, de liberté contractuelle et d'accords collectifs énoncé à l'article L. 2251-1 du code du travail, suivant lequel « Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public. » ; Qu'il y a lieu en l'occurrence de considérer que l'adoption consensuelle par les partenaires sociaux intéressés de ce principe en dérogation à la réalisation jusqu'ici pratiquée de l'emploi des salariés intérimaires par des contrats de travail temporaires à durée déterminée a induit des adaptations conventionnelles qui ne portent pas atteinte à l'un quelconque des principes d'ordre public absolu que le législateur n'a pas définis et qui résultent de la jurisprudence du droit du travail, dans la mesure où ce CDI intérimaire : - d'une part, est indéniablement plus favorable à l'ensemble des principes et des règles structurant le contrat de travail intérimaire classique ou l'emploi temporaire tel que prévu aux articles L. 1251-1 et suivants du code du travail du fait notamment de la stabilisation et du droit commun offerts pour une durée indéterminée à des travailleurs jusqu'ici employables de manière intermittente par de seules mises à disposition temporaires au bénéfice de clients utilisateurs, du maintien du montant fixe contractuel de la rémunération évitant l'inscription à l'assurance chômage pendant les périodes dites d'intermissions qui sont pourtant exclusives de toutes activités professionnelles effectives mais qui sont la contrepartie d'une disponibilité librement consentie (avec une garantie minimale mensuelle de rémunération ne pouvant être inférieure au SMIC et un dispositif de majorations suivant une échelle de niveaux de qualifications), de l'absence de toute atteinte aux règles protectrices relatives au travail temporaire (terme de la mission, pratique des lettres de mission, limitation des conditions de renouvellement de la mission, périmètre des missions, respect du délai de carence, possibilité d'embauché du salarié intérimaire par l'entreprise utilisatrice au terme de la mission...) ainsi que de la référence aux garanties habituelles de droit commun du travail pour tout ce qui ne relève pas des spécificités du travail temporaire (périodes d'essai, contenu du travail devant être fourni, congés payés pouvant également relever des conventions collectives, règles de rupture du contrat même en lieu et place des missions, exécution des missions dans le respect des compétences et des qualifications professionnelles, conditions et niveaux des rémunérations...) ;- d'autre part ne contient dans son esprit et dans le détail de ses lettres de missions aucune contrainte quant à l'acceptation même de cette alternative ni aucune règle qui s'avérerait par nature plus défavorable en excédant les limites légales existantes du droit commun ou les principes fondamentaux du contrat de travail à durée indéterminée classique (avec notamment la garantie du principe d'égalité de traitement dans les entreprises d'accueil pendant les missions par application de l'article L. 1251-18 du code du travail ou l'affectation collective des indemnités de fin de mission à un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels des salariés concernés), d'autant que la loi n0 2015-994 du 17 août 2015 sur le dialogue social et l'emploi a prévu dans son article 56 des conditions d'expérimentation de ce même régime de contrat de travail à durée indéterminée intérimaire. Attendu au demeurant que les modalités particulières de cette nouvelle formule contractuelle, qui ne font en définitive que décliner des obligations civiles préexistantes, qui par définition peuvent donc ne pas être strictement identiques à celles d'un CDI de droit commun ou des contrats de missions temporaires jusqu'ici pratiqués et qui relèvent d'un champ conventionnel bénéficiant d'une certaine liberté en complément ou en supplément de la loi, n'apparaissent pas davantage contraires aux principes essentiels de l'ordre public absolu en matière de contrat de travail pour les motifs suivants :- le risque de déclinaison de cet accord de branche en une déclinaison supplémentaire dans le cadre d'un accord d'entreprise qui heurterait des principes fondamentaux du droit du travail ou qui déséquilibrerait la convention d'origine (à titre d'exemple en modifiant le taux de 70 % de la garantie minimale de rémunération sur la base de la précédente mission) n'est pas en soi suffisant pour invalider cet accord collectif, eu égard aux recours contentieux qui seraient dès lors tout naturellement recevables (sur le fond et même préalablement sur le caractère supplétif ou non de cet accord de branche) ; - les périodes d'intermissions ne sauraient être considérées comme une exonération de l'obligation de l'employeur de fournir du travail à ses employés pendant la durée contractuelle mais comme une période justement rémunérée de maintien à disposition du salarié intérimaire vis-à-vis de son employeur ; - la détermination des conditions prioritaires de prise de congés payés peut légalement d'abord résulter de la convention collective, ce qui est le cas du contrat litigieux tendant à prioriser cette prise de congés pendant les périodes d'intermissions sans plus de sujétions que dans d'autres secteurs régis par d'autres conventions collectives ; - la possibilité pour le travailleur intérimaire de refuser une mission si la rémunération de celle-ci est inférieure de 70 % à la rémunération de la précédente mission, et donc l'obligation pour ce salarié d'accepter une mission rémunérée dans la limite de 70 % de la rémunération de la mission précédente qui ne peut être tenue comme une faculté de l'employeur de diminuer unilatéralement 30 % de cette rémunération et qui ne pose en définitive qu'un principe de variation à la hausse du fait de l'existence de cette garantie mensuelle de rémunération ;
- le périmètre de mobilité est tout à fait admis en jurisprudence dès lors qu'il est limité dans l'espace et dans le temps, la limite de 50 km et de 1h30 de trajet aller pour rejoindre l'entreprise utilisatrice apparaissant ici raisonnable ;- la limitation jusqu'à trois des emplois de qualifications différentes vont être occupés par l'intérimaire qui apparaît parfaitement licite, en procédant par analogie à la lecture de l'article R. 4625-9 du code du travail prévoyant cette même limitation lors des visites médicales d'embauché des salariés intérimaires ;- aucune atteinte particulière n'est objectivée en matière de santé et de sécurité du travail du fait de ce nouveau cadre contractuel ; Attendu qu'en conséquence des motifs qui précèdent sur la déclinaison en définitive au régime juridique litigieux d'obligations civiles et de principes juridiques préexistants sans porter atteinte à l'un quelconque des principes essentiels d'ordre public en matière de contrat de travail, le CDI intérimaire ne présente pas les formes d'activité hybride et de nouvelle organisation du travail telles que précédemment soumises à la censure du Conseil constitutionnel dans le cadre de sa décision n° 2014-388 de question prioritaire de constitutionnalité du 11 avril 2014 à propos d'un arrêté du 24 mai 2013 d'extension d'un accord national professionnel du 2 juin 2010 sur le portage salarial, d'autant que le Conseil constitutionnel ne s'est en définitive prononcé dans cette décision que sur un autre moyen soulevé d'office dans le cadre de sa jurisprudence relative à l'incompétence négative du législateur ; Attendu dans ces conditions que l'accord collectif précité du 10 juillet 2013 apparaît normalement valide et licite, dans les conditions directement énoncées au dispositif de la présente décision. Attendu qu'en conséquence des motifs qui précèdent, les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile par la CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIÈRE et la FÉDÉRATION DES EMPLOYÉS ET CADRES FORCE OUVRIÈRE seront purement et simplement rejetées » ;

ALORS en premier lieu QUE, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 pose pour principe, en son huitième alinéa, que tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, il n'en demeure pas moins, qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux de droit du travail ainsi que des principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales relève de la compétence du législateur ; qu'entre dans le champ des dispositions de cet article, et relève donc de la compétence du législateur, la création d'une nouvelle catégorie de contrat de travail permettant aux entreprises de travail temporaire d'employer pour une durée indéterminée des travailleurs intérimaires ; qu'en décidant néanmoins que les organisations syndicales signataires de l'accord collectif de branche du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires avaient compétence pour négocier l'ensemble des éléments constitutifs de cet accord qui prévoit, en l'absence de toute habilitation législative, la possibilité nouvelle pour les entreprises de travail temporaire de conclure avec leurs travailleurs intérimaires des contrats de travail à durée indéterminée, au motif que les modalités particulières de cette nouvelle formule contractuelle ne feraient que « décliner des obligations civiles préexistantes », le Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS ensuite QUE la compétence des parties à l'accord collectif du 10 juillet 2013 pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée intérimaire pour l'exécution de missions de travail temporaire doit être appréciée au regard de la loi en vigueur à la date de la conclusion de cet accord ; qu'en se référant au fait que la loi n°2015-994 relative au dialogue social et à l'emploi, entrée en vigueur le 17 août 2015, soit postérieurement à la conclusion et à l'extension de l'accord litigieux intervenue par arrêté du 22 février 2014, prévoit, en son article 56, des conditions d'expérimentation du même régime de contrat de travail à durée indéterminée intérimaire que celui prévu par cet accord, pour en déduire la compétence des organisations signataires dudit accord pour négocier l'ensemble de ses éléments constitutifs, le Tribunal de Grande Instance a violé l'article 2 du code civil ensemble l'article 56 de la loi susvisée ;

ALORS à toute le moins QUE la prohibition de principe du prêt de main d'oeuvre à but lucratif comme les dispositions encadrant le recours au travail temporaire constituent des règles d'ordre public absolu auxquelles il ne peut être dérogé par voie de convention ou d'accord collectif ; que l'accord collectif du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires en prévoyant la possibilité pour les entreprises de travail temporaire d'engager des salariés intérimaires sous contrat de travail à durée indéterminée constitue une forme de dérogation, non prévue par le législateur, aux principes d'ordre public absolu susvisés ; qu'en décidant néanmoins que les stipulations conventionnelles en cause ne portaient pas atteinte à l'un quelconque des principes d'ordre public absolu et en en déduisant que les organisations syndicales signataires de l'accord collectif du 10 juillet 2013 avaient compétence pour négocier l'ensemble des éléments constitutifs de cet accord collectif, le Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions des articles L. 2251-1, L. 1251-1, L. 1251-11, L. 8211-1 et L. 8241-1 du code du travail ;

ALORS encore QUE les règles définissant les obligations essentielles découlant du contrat de travail et en particulier celle selon laquelle le contrat de travail comporte pour l'employeur l'obligation de fournir du travail au salarié, constituent des règles d'ordre public absolu auxquelles il ne peut être dérogé par voie de convention ou d'accord collectif ; que l'accord collectif du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires en ouvrant la possibilité de conclure un contrat de travail à durée indéterminée prévoyant, dans son organisation générale, des périodes sans exécution de missions, dites périodes d'intermission, durant lesquelles l'employeur est dispensé de son obligation de fournir du travail au salarié, constitue une forme de dérogation, non prévue par le législateur, au principe d'ordre public absolu susvisé ; qu'en décidant néanmoins que les stipulations conventionnelles en cause ne portaient pas atteinte à l'un quelconque des principes d'ordre public absolu, dès lors que les périodes d'intermission ne sauraient, selon lui, être considérées comme une exonération de l'obligation de l'employeur de fournir du travail à ses employés, et en en déduisant que les organisations syndicales signataires de l'accord collectif du 10 juillet 2013 avaient compétence pour négocier l'ensemble des éléments constitutifs de cet accord collectif, le Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions des articles L. 2251-1 et L. 1221-1 du code du travail ;

ALORS en outre QUE si une convention ou un accord collectif peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur, il ne peut en revanche déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public absolu, peu important que ces dérogations soient plus favorables aux salariés ; qu'en l'espèce, pour considérer que les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires ne portaient pas atteinte à l'un quelconque des principes d'ordre public absolu, le Tribunal de Grande Instance a relevé que le contrat de travail à durée indéterminée intérimaire, créé par les stipulations de cet accord, d'une part, était « indéniablement plus favorable à l'ensemble des principes et des règles structurant le contrat de travail intérimaire classique ou l'emploi temporaire tel que prévu aux articles L. 1251-1 et suivants du code du travail » et, d'autre part, ne contenait « aucune règle qui s'avérerait par nature plus défavorable en excédant les limites légales existantes du droit commun ou les principes fondamentaux du contrat de travail à durée indéterminée classique » ; qu'en excluant ainsi l'absence d'atteinte portée à un principe d'ordre public absolu par ces motifs inopérants tirés du caractère plus favorable ou de l'absence de caractère plus défavorable des dérogations apportées par les stipulations en cause à des dispositions légales d'ordre public absolu, le Tribunal de Grande Instance a violé les dispositions de l'article L. 2251-1 du code du travail ;

ALORS à titre très subsidiaire QU'une convention ou un accord collectif de travail ne peut comporter que des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur ; que ne sont pas plus favorables que les dispositions régissant le contrat de travail à durée indéterminée de droit commun aux termes desquelles une clause du contrat de travail ne peut valablement prévoir une variation de la rémunération du salarié que si elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire sa rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels, les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013 définissant les modalités de rémunération du salarié embauché sous contrat de travail à durée indéterminée intérimaire dès lors qu'elles ont pour effet de conduire ce salarié à accepter par avance une variation de sa rémunération non fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur et lui faisant supporter le risque de l'entreprise ; qu'en décidant l'inverse au motif notamment que l'obligation dans laquelle se trouve le salarié intérimaire embauché sous contrat à durée indéterminée d'accepter une mission rémunérée dans la limite de 70% de la rémunération de la mission précédente ne poserait qu'un principe de variation à la hausse de la rémunération du salarié du fait de l'existence de la garantie mensuelle de rémunération, le Tribunal de Grande Instance a violé, outre les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013, les dispositions des articles L. 1221-1 et L. 2251-1 du code du travail ensemble celles de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

ALORS de la même façon QUE ne sont pas plus favorables que les dispositions régissant le contrat de travail à durée indéterminée de droit commun aux termes desquelles une clause du contrat de travail ne peut valablement autoriser l'employeur à modifier unilatéralement la qualification du salarié, les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013 définissant les modalités d'emploi du salarié embauché sous contrat de travail à durée indéterminée intérimaire dès lors qu'elles ont pour effet de conduire le salarié à accepter par avance une modification unilatérale de sa qualification par l'employeur ; qu'en décidant l'inverse au motif notamment que la limitation jusqu'à trois des emplois de qualifications différentes qui vont être occupés par l'intérimaire serait parfaitement licite en procédant par analogie à la lecture de l'article R. 4625-9 du code du travail prévoyant cette même limitation lors des visites médicales d'embauche des salariés intérimaires, le Tribunal de Grande Instance a violé, outre les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013, les dispositions des articles L. 1221-1 et L. 2251-1 du code du travail ensemble celles de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

ET ALORS enfin QU'à supposer même qu'il soit possible de déroger par voie d'accord collectif de travail dans un sens plus favorable aux salariés aux dispositions encadrant le recours au travail temporaire, ne sont pas plus favorables à ces dispositions les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013 dès lors qu'elles ont notamment pour effet de priver les salariés titulaires d'un contrat à durée indéterminée intérimaire du bénéfice de l'indemnité de fin de mission et des règles protectrices relatives à la rupture anticipée du contrat de travail, de contraindre ces salariés à accepter toute mission proposée par l'entreprise de travail temporaire dès lors qu'elle est compatible avec les emplois et le périmètre de mobilité définis dans le contrat et que la rémunération n'est pas inférieure à 70% du taux horaire de leur dernière mission et de rester, pendant les périodes d'intermission, à la disposition de l'entreprise de travail temporaire sans pouvoir accepter de missions pour le compte d'autres entreprises de travail temporaire ; qu'en retenant le contraire en raison, en substance, de la stabilisation de la relation de travail offerte par ce contrat, du versement d'une rémunération pendant les périodes d'intermission et de l'absence de tout atteinte aux règles protectrices relatives au travail temporaire, le tribunal de grande Instance a violé, outre les stipulations de l'accord collectif du 10 juillet 2013, les dispositions des articles L. 1251-1 à L. 1251-41 et L. 2251-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-26844
Date de la décision : 12/07/2018
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Sociale

Analyses

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Dispositions générales - Contenu - Création d'une nouvelle catégorie de contrat de travail - Possibilité (non)

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Accords collectifs - Accords particuliers - Accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires - Accord instituant un contrat à durée indéterminée intérimaire - Compétence pour négocier - Partenaires sociaux (non)

L'accord collectif de branche du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires, en instaurant le contrat à durée indéterminée intérimaire permettant aux entreprises de travail temporaire d'engager, pour une durée indéterminée, certains travailleurs intérimaires, crée une catégorie nouvelle de contrat de travail, dérogeant aux règles d'ordre public absolu qui régissent, d'une part, le contrat de travail à durée indéterminée, d'autre part le contrat de mission, et fixe, en conséquence, des règles qui relèvent de la loi. En conséquence, doit être cassé le jugement qui retient que les partenaires sociaux avaient compétence pour négocier l'ensemble des éléments constitutifs de l'accord collectif de branche conclu le 10 juillet 2013


Références :

article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958

accord collectif de branche du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires.

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Paris, 15 novembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 jui. 2018, pourvoi n°16-26844, Bull. civ.Bull. 2018, V, n° 145.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, V, n° 145.

Composition du Tribunal
Président : M. Frouin
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.26844
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