CIV.3
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 juin 2018
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10360 F
Pourvoi n° B 17-21.896
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Ottica, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 3 mai 2017 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Balthazar, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 29 mai 2018, où étaient présents : M. Chauvin, président, Mme Provost-Lopin, conseiller rapporteur, Mme Masson-Daum, conseiller doyen, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la société Ottica, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Balthazar ;
Sur le rapport de Mme Provost-Lopin, conseiller, l'avis de M. Burgaud , avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Ottica aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Ottica ; la condamne à payer à la société Balthazar la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Ottica
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Balthazar à payer à la société Ottica la seule somme de 79.726,48 € au titre de l'indemnité d'éviction, et dit que les provisions versées, d'un montant total de 52.700 €, devraient être déduites du montant de l'indemnité;
Aux motifs propres qu': « (
) Aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. Sur l'indemnité de transfert : L'expert a considéré que, le transfert ayant déjà été effectué, il est justifié de calculer l'indemnité en prenant en compte la valeur du droit au bail des nouveaux locaux, droit au bail qui devait être représentatif de l'insuffisance du loyer par rapport à la valeur locative du nouveau local et non du droit au bail réellement payé, comme le soutient la société Ottica. Il a pris en compte la situation géographique du nouveau local, sa superficie, la situation économique et la situation contractuelle. Il a calculé la valeur du droit au bail sur la base du différentiel entre le loyer payé et le loyer du marché des nouveaux locaux, en tenant compte de façon pertinente de coefficients de commercialité dus à l'emplacement différents. Il a retenu pour le nouveau local un droit au bail d'un montant de 102.912 euros et une indemnité à ce titre d'un montant de 41.164 euros après avoir appliqué une correction de 60 % en raison de la situation meilleure du nouveau local qui a engendré une forte progression du chiffre d'affaires. Par ailleurs, il a de la même façon estimé le droit au bail du local ayant fait l'objet de l'éviction à 52.494 euros. Il retient finalement comme indemnité la moyenne entre les deux estimations, comme souhaité par la société Ottica, soit la somme de 46. 829 euros. Dans son calcul du droit au bail du local [...] , local qui autrefois appartenaient à deux propriétaires dont les deux baux avaient été réunis, la société Ottica pour calculer le prix du nouveau loyer ne prend en compte que le loyer du petit local de 18 m² et le rapporte à la surface total du magasin Ottica d'autrefois, à savoir 62 m². Or, ce calcul entraîne une majoration du loyer puisqu'un petit local a généralement un loyer au m² proportionnellement plus élevé qu'un local plus grand. Le même calcul en additionnant les deux nouveaux loyers donnerait un droit au bail de 61 668 euros au lieu de 100 000 euros comme soutenu par la société Ottica. Après indexations, l'expert estime de cette façon le droit au bail de l'ancien local à 52 494 euros. Par ailleurs, la société Ottica avance une troisième méthode pour l'évaluation du droit au bail en actualisant la valeur du droit au bail acheté par elle lorsqu'elle est entrée dans les locaux du [...] le 13 novembre 1998. Elle trouve une valeur en euros d'aujourd'hui de 14. 068 euros. Mais cette estimation in abstracto, qui retient un droit au bail d'une valeur de 50% du prix du fonds de commerce et qui ne tient compte que de la dévaluation de la monnaie qui est fonction d'une multitude de facteurs étrangers au commerce, ne peut être sérieusement retenue. Au vu des éléments ci dessus, l'estimation faite par l'expert apparaît à la cour comme la juste réparation du préjudice réellement subi à ce titre par la société Ottica, compte tenu de sa rapide réinstallation à proximité de l'ancien local et de la forte et rapide augmentation de son chiffre d'affaire après l'éviction. Cette disposition de la décision déférée sera confirmée. Sur les « autres frais » : Les honoraires du notaire, frais de greffe pour cession bail, droit d'enregistrement ont déjà été pris en compte sous le titre « taxe cession droit au bail » dans le poste « 2) indemnités accessoires ». Les frais de greffe transfert social et publicité transfert sont comptés deux fois. Ces doublons, qui se montent à 6.752,85 euros, devront être déduits du total de l'indemnité. Le jugement déféré sera réformé en ce sens. Sur le trouble commercial :Cette indemnité répare la perte de chiffre d'affaires due au transfert. L'expert note justement que le déménagement a eu lieu le 20 décembre 2008 et que le chiffre d'affaires a augmenté en 2009. En l'absence d'interruption d'activité, d'autres éléments et justificatifs, le seul préjudice qui peut être retenu à ce titre est le double loyer pour un montant de 2.083 euros. Le jugement déféré sera réformé en ce sens. Sur les frais de réinstallation: L'expert relève que le bilan 2007 de l'entreprise Ottica fait apparaître que les installations, agencements et aménagements dans l'ancien local étaient amortis à hauteur de 90 %. Contrairement à ce que soutient la société Ottica, l'amortissement comptable d'un bien doit être pratiqué sur sa durée de vie effective dans l'entreprise, selon les usages de la profession et l'utilisation qui en est faite. Il y a dès lors lieu de considérer que seule la valeur résiduelle comptable doit être prise en compte pour calculer la perte subie. Le nouveau local étant plus grand c'est de façon pertinente que l'expert a réduit le montant des factures retenues au prorata de la superficie et évalué le préjudice à 10% de cette somme, soit 16.585 euros. Le jugement déféré sera réformé sur ce point. Sur les pertes sur salaires: La société Ottica ne justifie d'aucune interruption d'activité. La somme allouée à ce titre sera déduite du montant de l'indemnisation. Sur les provisions versées par la société Balthazar: Elles ne sont pas contestées pour un montant de 52.700 euros et devront venir en déduction. Les autres dispositions du jugement déféré qui ne sont pas contestées seront confirmées.» ;
Et aux motifs adoptés des premiers juges que: « L'article L. 145-14 du Code de commerce prévoit que le bailleur qui refuse le renouvellement du droit au bail doit payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé car le défaut de renouvellement. Ce texte ajoute que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. A. L'indemnité principale, l'indemnité de transfert: En l'espèce, les parties s'accordent pour indiquer que la nature de l'indemnité principale est une indemnité de transfert dans la mesure où l'éviction n'a pas entraîné la perte du fond, le preneur ayant pu transférer son fonds à quelques centaines de mètres plus loin. Cette indemnité est calculée en tenant compte de la valeur du droit au bail par application d'un coefficient dit de situation au différentiel annuel entre le montant du loyer du bail s'il avait été renouvelé et la valeur locative du marché. Il convient d'appliquer la méthode du différentiel du loyer. (
) En l'espèce, l'expert judiciaire, pour déterminer la valeur locative du marché, va prendre en référence les baux donnés par la SCI Balthazar du 25 septembre 2009 et de Totti du 23 mars 2010. Il indique que la référence relative au bail concernant l'enseigne Oggi prise par la SARL Ottica n'est pas pertinente. En effet, ce bail concerne 3 façades situées à des endroits différents où le prix du marché varie. Dès lors, c'est à bon droit que l'expert n'a pas pris ce bail en référence, se concentrant dès lors sur des baux se rapprochant plus précisément de notre cas d'espèce. Il convient donc de retenir cette référence tirée de l'expertise judiciaire comme pertinente et devant servir de modèle au calcul. Ensuite, s'agissant du coefficient, l'expert judiciaire prend le chiffre de 6 alors que l'expert privé prend le chiffre de 8. L'expert privé dit que l'emplacement est équivalent au [...] et que dès lors c'est le même coefficient de 6 qui doit être retenu. Or, l'examen du chiffre d'affaire démontre que l'emplacement situé en bas du [...], et donc au 28, est plus recherché et avantageux que celui situé au 8, [...] .Les nouveaux locaux sont ainsi mieux situés que les locaux évincés, ce qui se reflète également dans le chiffre d'affaire, même si le seul emplacement ne saurait bien évidemment justifier cette hausse de manière exclusive. Il importe dès lors, comme l'a fait l'expert de tenir compte de cet élément en retenant le coefficient de 6. Il convient donc de retenir le montant proposé par l'expert judiciaire en fixant l'indemnité de transfert à 46.829 euros. B. Les indemnités accessoires :- les frais de remploi et de négociation d'un nouvel acte locatif; Certains frais de remploi relevés par l'expert judiciaire ne sont pas contestés par la défenderesse, soit les sommes suivantes: -droit fixe : 125 euros,- taxe cession droit au bail : 6.498 euros,- dépôt promesse ; 1 euro,- publicité : 166,05 euros, - modification du RCS : 201,58 euros, - publicité : 70,11 euros, - modification RCS : 184,74 euros, - honoraires de transaction : 6.728 euros, soit au total 13.974,48 euros. La somme de 1.819 euros relative à la rédaction d'un nouveau bail commercial n'apparaît pas justifiée dans la mesure où le bail courait jusqu'en 2010 et ne doit pas être prise en compte. De même, la somme de 1.752,08 euros qui correspond à des émoluments sur des emprunts réalisés par la SARL Ottica n'a pas à être prise en compte. Concernant les honoraires du conseil de la SARL Ottica, la facture concernant la prise en charge des honoraires de la SARL Sigurani ne peuvent être entérinées car ils revêtent un caractère anormal. En effet, la SARL Ottica n'avait pas à prendre en charge ces honoraires, il s'agit d'une libéralité qui ne saurait être indemnisée. Il convient ensuite d'examiner la facture de 20.332 euros adressé par Maître Y... en date du 25 juillet 2007 intitulé « formalités de recherche de négociation et de rédaction du compromis de vente à l'acquisition du droit au bail suivant mandat du 10 décembre 2007 ». Outre le fait qu'une erreur matérielle se serait glissée dans la rédaction de cette facture car la date mentionnée est antérieure au mandat donné, on peut surtout s'interroger sur le fait d'une part que la rédaction du compromis de vente incombe au notaire, pour lequel est également sollicité des honoraires à ce titre, mais également sur le montant exorbitant de ces honoraires qui ne sont par ailleurs, justifié par aucun autre élément. Dès lors, ces frais ne peuvent être considérés comme « normaux » au sens de l'article L.145-14 du Code de commerce et ne peuvent donc être pris en compte au titre de l'indemnité d'éviction (
)- les frais de déménagement : Les parties s'accordent sur la somme de 255 euros à retenir conformément à la facture produite en procédure » ;
1° Alors, que tout rapport d'expertise amiable peut valoir, à titre de preuve, dès lors qu'il est soumis à la libre discussion des parties ; qu'au cas présent, pour allouer à la société Ottica, à titre d'indemnité d'éviction, la somme de 79.726,48 € correspondant au montant retenu par l'expert judiciaire, la cour d'appel s'est fondée sur le seul rapport de ce dernier, sans à aucun moment examiner le rapport d'expertise amiable ; qu'en statuant ainsi cependant qu'il n'était pas contesté que ce rapport amiable avait été soumis à la libre discussion des parties, la cour d'appel a violé les articles 15, 16 et 132 du code de procédure civile ;
2° Alors, que l'indemnité d'éviction allouée par le bailleur doit comprendre une somme représentant les frais d'acquisition du nouveau titre locatif supportés par le locataire après son éviction pour sa réinstallation dans un autre local commercial; que la cour d'appel a retenu l'indemnité telle que fixée par l'expert judiciaire lequel, selon les propres constatations de la cour d'appel, n'avait pas pris en compte le « droit au bail réellement payé » de 260.000 € par la société Ottica pour pouvoir s'installer dans de nouveaux locaux (arrêt attaqué p. 7, § 2) ; qu'en refusant de tenir compte des frais d'acquisition du nouveau titre locatif de la société Ottica, la cour d'appel a violé l'article L.145-14 du code de commerce ;
3° Alors, que lorsque le locataire a déjà quitté les lieux, l'indemnité d'éviction doit être calculée à la date la plus rapprochée du départ du locataire, sans tenir compte des variations économiques postérieures à ce départ ; qu'au cas présent, pour parvenir à l'évaluation telle que retenue par la cour d'appel, l'expert judiciaire a pris en compte l'augmentation du chiffre d'affaires de la société Ottica en 2009 par rapport à celui obtenu en 2008 avant son éviction (arrêt attaqué p. 7, § 3 et conclusions de la SCI Balthazar p. 6, § 11) ; qu'en allouant dès lors à la société Ottica une indemnité de transfert tenant compte « de la forte et rapide augmentation de son chiffre d'affaires après l'éviction » (arrêt attaqué p. 8, § 2), la cour d'appel a derechef violé l'article L. 145-14 du code de commerce ;
4° Alors, que le locataire évincé n'ayant pas à supporter les frais d'une réinstallation coûteuse, son préjudice doit être évalué en tenant compte de ses frais d'adaptation du nouveau local à son activité; qu'il n'était pas contesté que la société Ottica s'était acquitté de factures à hauteur d'un montant de 168.875,95 € pour sa réinstallation, sur lequel elle offrait d'appliquer un abattement de 40% afin de tenir compte de la vétusté des agencements existants pour déterminer leur valeur d'utilité (conclusions p. 11 et 12) ; qu'en allouant dès lors à la société Ottica, au titre de ses frais de réinstallation, la somme retenue par l'expert judiciaire de 16.585 € correspondant à seulement 10 % desdites factures au motif qu' « il y a (
) lieu de considérer que seule la valeur résiduelle comptable doit être prise en compte pour calculer la perte subie » (arrêt attaqué p. 9, § 1er), cependant qu'il convenait de tenir compte de la valeur d'utilité des agencements existants, la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code de commerce, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
5° Alors, que dès lors qu'à la suite du congé avec refus de renouvellement, le locataire a effectivement déménagé et aménagé de nouveaux locaux, il appartient au juge qui constate l'existence d'un préjudice subi d'en évaluer le montant même en l'absence de factures justificatives ; qu'au cas présent, la société Ottica demandait la confirmation de la somme allouée par le tribunal, au titre du trouble commercial subi, à raison des frais de publicité engendrés par la nécessité d'informer la clientèle de son changement d'adresse (jugement p. 5, § 5) ; que sans contester l'existence desdits frais, la cour d'appel a dénié à l'exposante tout droit à indemnisation au motif qu'elle n'en apportait pas les justificatifs (arrêt attaqué p. 8, § antépénultième) ; que ce faisant, la cour d'appel a violé l'article 145-14 du code de commerce, ensemble l'article 4 du code civil ;
6° Alors, que dès lors qu'à la suite du congé avec refus de renouvellement, le locataire a effectivement déménagé et aménagé de nouveaux locaux, il appartient au juge qui constate l'existence d'un préjudice subi d'en évaluer le montant même en l'absence de factures justificatives ; qu'au cas présent, la société Ottica demandait la confirmation de la somme allouée par le tribunal, au titre du trouble commercial subi, à raison du temps qu'elle avait indéniablement dû consacrer au contentieux l'opposant à la bailleresse au détriment de son activité professionnelle (jugement p. 5, § 5) ; que sans contester l'existence de ce préjudice, la cour d'appel a dénié à l'exposante tout droit à indemnisation au motif qu'elle n'en apportait pas les justificatifs (arrêt attaqué p. 8, § antépénultième); que ce faisant, la cour d'appel a derechef violé l'article 145-14 du code de commerce, ensemble l'article 4 du code civil.