SOC.
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 juin 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme Z..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10800 F
Pourvoi n° B 17-14.076
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par M. Loïc X..., domicilié [...] ,
contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2017 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société Geodis BM, nom commercial de la société Bourgey Montreuil, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
défenderesse à la cassation ;
La société Geodis BM a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 15 mai 2018, où étaient présents : Mme Z..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Y..., conseiller rapporteur, Mme Gilibert, conseiller, Mme Jouanneau, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. X..., de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Geodis BM ;
Sur le rapport de Mme Y..., conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation du pourvoi principal et ceux du pourvoi incident, annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Loïc X....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande visant à ce que son licenciement soit déclaré nul ;
AUX MOTIFS QU'« en raison de l'atteinte portée à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, est nul tout licenciement prononcé au motif que le salarié a relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser une infraction pénale ; qu'en l'espèce, au soutien de sa prétention à la nullité de son licenciement, le salarié appelant affirme que son contrat de travail a été rompu parce qu'il avait dénoncé des pratiques illicites ; que le salarié appelant se réfère à son courrier recommandé du 2 novembre 2009 adressé au directeur des opérations de la société intimée, avec copies au directeur général, au directeur général adjoint, au directeur financier et au directeur des ressources humaines, par lequel il a confirmé la teneur d'un entretien du 29 octobre 2009 à [...] au cours duquel il avait signalé des informations en matière de cabotage, de réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement, de facturation de la sous-traitance, de déclarations à la caisse régionale d'assurance maladie, d'entrave et de harcèlement ; que rien n'étaye cependant les assertions du salarié appelant qui, en dépit des constats allégués dans la lettre du 2 novembre 2009, n'apporte aux débats aucun élément d'appréciation de la réalité des pratiques qu'il prétend avoir dénoncées et que son employeur conteste ; que le rapprochement des dates, entre la lettre de dénonciation du 2 novembre 2009 d'une part et l'engagement de la procédure de licenciement le 4 novembre 2009, d'autre part ne révèle pas de rapport de causalité ; que faute pour le salarié appelant d'établir la matérialité d'aucune des pratiques illicites qu'il considère avoir dénoncées, rien ne caractérise une atteinte à sa liberté d'expression et, dès lors, il doit être débouté de sa prétention à la nullité de son licenciement » (arrêt attaqué p. 3 et 4).
1°) ALORS QU'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ; qu'il en est ainsi du licenciement du salarié qui fait suite à la dénonciation de faits susceptibles d'être pénalement sanctionnés, sauf pour l'employeur à apporter la preuve qu'il repose sur un motif étranger à cette dénonciation ; qu'en déboutant M. X... de sa demande en nullité de son licenciement, après avoir pourtant constaté qu'il avait dénoncé auprès de son employeur, par courrier du 2 novembre 2009, des pratiques illicites de nature à caractériser des infractions pénales et que la société Geodis BM avait dans les quarante-huit heures qui avaient suivies, engagé la procédure de licenciement à son endroit, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que son licenciement était nécessairement nul sauf pour l'employeur à apporter la preuve de ce qu'il reposait sur un motif étranger à cette dénonciation, a violé les articles L. 1121-1 du code du travail et 10 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QU'est illicite le licenciement du salarié à la suite de la dénonciation auprès de son employeur, de faits susceptibles d'être pénalement sanctionné, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits ne sont pas établis ; qu'en déboutant M. X... de sa demande en nullité du licenciement au motif qu'il n'apportait aux débats aucun élément d'appréciation de la réalité des pratiques qu'il avait dénoncées dans sa lettre du 2 novembre 2009, la cour d'appel qui a statué par un motif impropre à justifier sa décision, a violé les articles L. 1121-1 du code du travail et 10§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattacini, avocat aux Conseils, pour la société Geodis BM.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le licenciement de M. X... dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné la société Geodis BM à lui verser les sommes de 30 000 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-5 du code du travail et 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
AUX MOTIFS QU'avec plus de pertinence, le salarié appelant conteste les motifs invoqués par l'employeur ; qu'en application de l'article L. 1235-1 du code du travail, il revient à la cour d'apprécier le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement expressément prononcé pour insuffisance professionnelle, et ce au vu des éléments apportés pour l'une et l'autre parties sur les sept motifs énoncés dans la lettre de licenciement ; que dans le premier motif, la société intimée a évoqué une dégradation du chiffre d'affaires, une baisse de résultat d'exploitation et une perte de clients en concluant que la direction dont M. Loïc X... était chargé enregistrait des dégradations plus importantes que les autres régions, alors qu'avant son arrivée, les résultats financiers étaient meilleurs que ceux des autres régions ; que la société intimée se limite cependant à justifier des chiffres qu'elle a avancés ; que le seul constat de la baisse des résultats, sur laquelle le salarié appelant conteste toute responsabilité, ne caractérise pas l'insuffisance professionnelle que la société intimée lui a imputée ; que dans le deuxième motif, la société intimée a en substance indiqué que concernant des plans de redressement mis en oeuvre, le salarié appelant ne s'était pas entièrement libéré pour assister aux réunions d'analyse stratégiques pour redresser les résultats de son établissement, qu'il avait des difficultés à gérer les priorités, qu'il n'avait pas présenté le plan qui lui avait été demandé pour améliorer les coûts de production, et qu'il n'avait pas fait ressortir, ni initié ni décrit les axes de travail à prendre en compte ; que la société intimée présente un seul élément, à savoir le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise que présidait M. Loïc X... le 21 septembre 2009, lequel n'atteste d'aucun des faits allégués ; qu'en revanche, le salarié appelant conteste la passivité qui lui a été imputée ; que dans le troisième motif de la lettre de licenciement, la société intimée a invoqué une absence d'analyse à la suite de la perte du client Norma, elle a reproduit le message par lequel le salarié appelant lui a annoncé cette perte en faisant un rapprochement avec la société Calbersan, et elle a conclu en ces termes : « A ce titre, nous nous interrogeons sur la réelle opportunité de comparer l'activité commerciale de Calbersan et la nôtre » ; que la société intimée a ainsi elle-même énoncé un motif dubitatif sans caractériser l'insuffisance qu'elle imputait au salarié appelant ; que dans le quatrième motif, la société intimée a rappelé qu'il avait été convenu que le salarié appelant procédât aux remplacements des chauffeurs ayant quitté l'entreprise en ayant recours à l'intérim, elle a relevé que le 27 octobre 2009, un salarié devait néanmoins respecter un préavis de sept mois et qu'il devait être affecté aux remplacements alors que tous les remplacements avaient déjà été pourvus, et elle a conclu en ces termes : « ceci démontre encore une fois le défaut de vision globale qui peuvent être sources d'erreurs préjudiciables » (sic) ; que le salarié appelant fait valoir que le préavis de sept mois bénéficiait à un chauffeur allemand d'une filiale qui n'était pas placée sous son autorité directe, et que son affectation en vertu de la loi allemande était neutre en termes de coût ; que la société intimée maintient que la décision lui était préjudiciable, mais qu'elle n'apporte aucun élément sur l'importance ni même la réalité de la perte financière qu'elle a alléguée ; qu'en tout cas, rien n'illustre le manque de vision globale invoqué ; que dans le cinquième motif, la société intimée a reproché au salarié appelant « un manque de proactivité » en ce qu'il avait tardé dans la négociation demandée le 13 octobre 2009 concernant « la refacturation d'un salarié allemand » et dans la négociation demandée le 22 septembre 2009 avec la société Geodis Allemagne ; que le salarié appelant conteste avoir reçu les demandes alléguées en soulignant que les négociations visées concernaient une filiale allemande sur laquelle il n'avait pas autorité ; qu'en tout cas, aucun élément n'étaye les assertions de l'employeur ; que dans le sixième motif, la société intimée a fait grief au salarié appelant, en dépit de relances régulières, de n'avoir pas ou d'avoir mal renseigné le document de suivi journalier du chiffre d'affaires ; que le salarié appelant fait valoir les difficultés rencontrées dans la saisie informatique de données auprès de cinq cadres différents, en admettant seulement cinq ou six retards dans la communication de ses chiffres et en affirmant avoir satisfait à son obligation à 97,8 % ; Qu'en tout cas, la société intimée n'apporte aucun élément sur l'importance ou la fréquence des défaillances qu'elle a imputées au salarié et qui, dès lors, ne peuvent suffire à caractériser l'insuffisance professionnelle alléguée ; que dans le septième et dernier motif de la lettre de licenciement, la société intimée a évoqué de 'nombreux problèmes qualité' non traités en visant des retards non expliqués, des livraisons non faites, une absence de contact et des pénalités facturées par le client Siat Braun d'une part, et des mauvaises performances et une absence de réaction à l'égard du client Steelcase d'autre part ; que concernant le client Siat Braun, le salarié appelant fait valoir que les difficultés rencontrées étaient imputables aux agissements fautifs d'un affréteur qui a été disciplinairement sanctionné, ce que ne conteste pas la société intimée ; que concernant le client Steelcase, le salarié appelant affirme qu'il s'est personnellement impliqué pour régler les difficultés ; qu'il souligne que les relations commerciales ont été conservées avec l'entreprise Steelcase, ce qu'admet la société intimée ; qu'en définitive, aucun des motifs d'insuffisance professionnelle ne pouvant être retenu, le licenciement s'avère dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en application de l'article L 1235-5 du code du travail, le salarié appelant est fondé à obtenir l'indemnisation du préjudice que lui a fait subir le licenciement abusivement prononcé alors qu'il avait moins de deux ans de présence dans l'entreprise ; qu'au vu des éléments que le salarié appelant produit sur l'étendue de son préjudice, spécialement caractérisé en ce qu'il n'a pu retrouver qu'un emploi moins rémunéré, une exacte appréciation conduit la cour à fixer à 30.000 euro le montant des dommages et intérêts qui l'indemniseront intégralement ;
1. ALORS QUE la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse n'incombe spécialement à aucune des parties ; que la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve des faits d'insuffisance professionnelle invoqués à l'appui du licenciement exclusivement sur l'employeur, a violé l'article L. 1235-1 du code du travail ;
2. ALORS en tout état de cause QUE l'insuffisance professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constaté que l'employeur justifiait des chiffres qu'il avançait, selon lesquels la direction dont M. Loïc X... était chargé enregistrait des dégradations plus importantes que les autres régions, alors qu'avant son arrivée, les résultats financiers étaient meilleurs que ceux des autres régions ; qu'en se bornant à affirmer que le seul constat de la baisse des résultats ne caractérisait pas une insuffisance professionnelle, sans s'expliquer sur la comparaison avec les résultats enregistrés avant son arrivée, et depuis son arrivée avec ceux des autres régions, de nature à établir l'imputabilité de la situation au salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Geodis BM à verser à M. X... les sommes de 10 906 € en paiement d'un arriéré de salaire, 339,76 € pour solde de l'indemnité de licenciement, et 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
AUX MOTIFS QUE Sur la demande d'arriéré de salaire : qu'un salarié ne peut être privé de la rémunération qui lui est due en contrepartie du travail qu'il a effectivement accompli ; qu'en l'espèce, il était convenu d'une rémunération pour partie fixe et versée sur douze mois, et pour partie variable versée dans le courant du semestre suivant l'année de référence après connaissance des résultats de l'entreprise ; que la part variable de la rémunération, en ce qu'elle est la contrepartie d'un travail effectif attesté par l'atteinte des objectifs fixés au salarié, reste due nonobstant la stipulation du contrat de travail selon laquelle son paiement est conditionné à « l'absence de notification de rupture du contrat de travail pour quelque motif que ce soit à la date du versement » ; qu'il s'ensuit que la société intimée ne pouvait se dispenser au seul prétexte que M. Loïc X... avait quitté l'entreprise au temps du versement en 2010, de payer au salarié appelant la part variable de sa rémunération pour 2009 dès lors qu'elle admet qu'il avait atteint les objectifs fixés ; que par conséquent, et comme l'ont dit les premiers juges, il s'impose de faire droit à la demande en paiement d'un arriéré de 10.906 euros avec intérêts au taux légal à compter de la demande introduite le 16 juin 2010 ; Sur la demande de solde de l'indemnité de licenciement : (...) qu'en second lieu et avec plus de pertinence, le salarié appelant réclame un calcul sur une base intégrant la part variable de sa rémunération que, comme il est dit plus haut, la société intimée reste lui devoir ; qu'il doit donc être fait droit à la demande pour le montant de 339,76 euros que le salarié appelant calcule exactement ;
1. ALORS QUE le paiement d'une rémunération variable peut être conditionné à la présence du salarié dans l'entreprise à la date de son versement ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2. ALORS en tout état de cause QUE le droit à un élément de la rémunération afférent à une période travaillée n'est acquis que lorsque cette période a été intégralement travaillée ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que M. X... avait été dispensé d'activité à compter du 6 novembre 2009 et licencié le 7 décembre 2009, de sorte que cette absence de près de deux mois justifiait qu'il ne perçoive pas le bénéfice de la rémunération variable de l'année 2009 (conclusions d'appel, p. 27) ; qu'en se bornant à affirmer que la société ne pouvait se dispenser du versement de la rémunération variable pour 2009 au seul prétexte que M. X... avait quitté l'entreprise au temps du versement en 2010, sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.