CIV. 1
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 juin 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10403 F
Pourvoi n° S 17-10.617
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par M. Ivan X..., domicilié [...] ,
contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2016 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant à l'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié [...] ,
défendeur à la cassation ;
L'Agent judiciaire de l'Etat a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 mai 2018, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Y..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Wallon, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Briard, avocat de M. X..., de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat ;
Sur le rapport de Mme Y..., conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen unique de cassation du pourvoi principal et le moyen unique de cassation du pourvoi incident annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Briard, avocat aux Conseils, pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR limité la condamnation de l'Agent judiciaire de l'État à payer à Monsieur Ivan X... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice financier ;
Aux motifs propres que le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en état de l'être mais aussi plus largement tout manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ; que le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'État à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes ; qu'en l'espèce, la responsabilité de l'État pour dysfonctionnement du service public de la justice ne peut être recherchée qu'à compter de la transmission de la demande d'exequatur au ministère français de la justice le 29 septembre 2003, demande dont le tribunal a retenu à juste titre qu'elle avait été transmise avec célérité au parquet de Lille le 17 octobre 2003 ; qu'en revanche, le délai de traitement de quatre ans et neuf mois de cette demande subi par M. X... qui ne pouvait intervenir avant l'ordonnance d'exequatur rendue le 31 juillet 2008 présente un caractère déraisonnable qui ne peut s'expliquer par la complexité de la procédure même à la suite de la réforme de 2006 et c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu l'existence d'un déni de justice et a alloué à M. X... la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ; que ce délai est à l'origine d'une perte de chance pour M. X... de recouvrer sa créance d'honoraires qui s'élevait en principal à plus de 80 000 euros car même si la décision slovaque a été transmise plus de deux ans après son prononcé aux autorités françaises, il restait un délai de sept mois entre le 29 septembre 2003 et le 27 avril 2004 pour permettre à l'appelant d'obtenir l'ordonnance d'exequatur et le recouvrement forcé de sa créance avant l'ouverture de la procédure collective dont son débiteur a fait l'objet à cette date, la société Éric Lebas étant encore in bonis et en définitive, il s'est écoulé un délai d'un mois et demi entre la requête établie le 12 juin 2008 et l'ordonnance d'exequatur du 31 juillet 2008 ; qu'enfin, si M. X... a attendu près d'un an avant de mandater un huissier, rien ne permet de considérer qu'il en aurait été de même alors que la société Éric Lebas était encore in bonis ; que cependant la chance pour M. X... d'obtenir dans ce bref délai à la fois l'ordonnance d'exequatur et le recouvrement forcé de sa créance en mandatant un huissier demeure faible et en conséquence il lui sera alloué la somme de 10 000 € en réparation de la perte de chance de recouvrer le montant de sa créance si le jugement slovaque avait été revêtu de l'exequatur dans un délai raisonnable ;
Et aux motifs adoptés que le délai de quatre ans et neuf mois qui s'est écoulé avant que n'intervienne la décision d'exequatur est à l'évidence excessif ; que l'agent judiciaire de l'État ne le discute au demeurant pas ; que cette durée déraisonnable de traitement de la procédure d'exequatur est constitutive d'un déni de justice, au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ; que l'action en responsabilité engagée par le justiciable dont la requête n'a pas été jugée dans un délai raisonnable lui ouvre le droit à réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, qui ont pu lui être causés ; que le délai de six mois écoulé après la transmission de la décision de condamnation de la société débitrice de M. X... aux autorités judiciaires pour exequatur était d'évidence insuffisant pour permettre à la fois que la procédure d'exequatur soit menée à son terme et qu'une procédure de recouvrement forcée soit diligentée ;
1°) Alors que l'indemnisation octroyée à la victime d'un déni de justice doit être à l'exacte mesure de la chance qu'elle a perdue de ce fait ; que, pour limiter la somme destinée à réparer le préjudice financier subi par M. X... du fait de la durée excessive d'instruction de sa demande d'exequatur, la cour d'appel a estimé que la chance d'obtenir à la fois l'ordonnance d'exequatur et le recouvrement forcé de sa créance en mandatant un huissier était faible (arrêt, p. 3) ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait tant des constatations de l'arrêt (sur l'absence de complexité de la procédure : pp. 3 et 4) que des écritures de M. X... (sur le délai suffisant pour déclarer sa créance : p. 6) que cette chance était manifestement élevée, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) Alors que les juges du fond doivent s'expliquer sur les moyens qui leur sont proposés, dès lors que ces moyens sont susceptibles de modifier la portée du litige ; qu'en jugeant que la chance pour M. X... d'obtenir dans le bref délai de sept mois « à la fois l'ordonnance d'exequatur et le recouvrement forcé de sa créance en mandatant un huissier » était faible, la cour s'est abstenue de répondre au moyen, susceptible de modifier la portée du litige, tiré de ce que le délai excessif d'instruction de sa demande d'exequatur par les juridictions françaises avait, à tout le moins, empêché M. X... de « déclarer de sa créance en temps utile » (conclusions, p. 6, §14) ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat.
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a retenu la responsabilité de l'Etat, considéré que Monsieur X... avait un droit à réparation s'agissant de son préjudice financier et condamné l'Etat à lui payer une somme de 10.000 euros ;
AUX MOTIFS TOUT D'ABORD QUE « la responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice ne peut être recherchée qu'à compter de la transmission de la demande d'exequatur au ministère français de la justice le 29 septembre 2003, demande dont le tribunal a retenu à juste titre qu'elle avait été transmise avec célérité au parquet de Lille le 17 octobre 2003. En revanche le délai de traitement de quatre ans et neuf mois de cette demande subi par M X... qui ne pouvait intervenir avant l'ordonnance d'exequatur rendue le 31 juillet 2008 présente un caractère déraisonnable qui ne peut s'expliquer par la complexité de la procédure même à la suite de la réforme de 2006 et c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu l'existence d'un déni de justice
» (arrêt p. 3, avant dernier alinéa) ;
ET AUX MOTIFS ENCORE QUE « ce délai est à l'origine d'une perte de chance pour M X... de recouvrer sa créance d'honoraires qui s'élevait en principal à plus de 80 000E car même si la décision slovaque a été transmise plus de deux ans après son prononcé aux autorités françaises, il restait un délai de sept mois entre le 29 septembre 2003 et le 27 avril 2004 pour permettre à l'appelant d'obtenir l'ordonnance d'exequatur et le recouvrement forcé de sa créance avant l'ouverture de la procédure collective dont son débiteur a fait l'objet à cette date, la société Eric LEBAS étant encore in bonis et en définitive il s'est écoulé un délai d'un mois et demi entre la requête établie le 12 juin 2008 et l'ordonnance d'exequatur du 31 juillet 2008 ; qu'enfin si M X... a attendu près d'un an avant de mandater un huissier, rien ne permet de considérer qu'il en aurait été de même alors que la société Eric LEBAS était encore in bonis ; que cependant la chance pour M X... d'obtenir dans ce bref délai à la fois l'ordonnance d'exequatur et le recouvrement forcé de sa créance en mandatant un huissier demeure faible et en conséquence il lui sera alloué la somme de 10 000 € en réparation de la perte de chance de recouvrer le montant de sa créance si le jugement slovaque avait été revêtu de l'exequatur dans un délai raisonnable » (arrêt p. 3 dernier alinéa, p. 4, alinéas 2 et 3) ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, si, dans le cadre de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, l'autorité de l'Etat requis peut saisir le juge compétent pour obtenir que la décision étrangère soit revêtue de l'exequatur, il incombe au premier chef au bénéficiaire de la condamnation de faire le nécessaire pour parvenir à l'exécution forcée ; qu'à cet égard, l'article 16 in fine de la Convention rappelle que le dispositif mis en place ne fait pas obstacle à ce que la demande d'exequatur soit présentée directement par le créancier ; qu'à raison de cette circonstance, il était exclu que Monsieur X... puisse se prévaloir d'un droit à réparation ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles L.141-1 et L.141-3 du Code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 16 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et en tout cas, avant de retenir une perte de chance, même faible, au titre de la période comprise entre le 29 septembre 2003, date de saisine du ministère de la justice, et le 27 avril 2004, date d'ouverture de la procédure collective, les juges du fond devaient s'expliquer, au moins sommairement, sur la situation financière de la société Eric LEBAS au vu des éléments fournis par Monsieur X... au cours de cette période ; qu'à défaut de s'être expliqué sur ce point, l'arrêt attaqué encourt la censure pour défaut de base légale au regard des articles L.141-1 et L.141-3 du Code de l'organisation judiciaire, ainsi que des articles 15 à 17 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980.