SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juin 2018
Rejet non spécialement motivé
M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10788 F
Pourvoi n° G 17-14.289
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Bressor, société anonyme, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2017 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme Augustine Y..., domiciliée [...] ,
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 mai 2018, où étaient présents : M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme G..., conseiller rapporteur, Mme Basset, conseiller, Mme Lavigne, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Bressor, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme Y... ;
Sur le rapport de Mme G..., conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bressor aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Bressor à payer à Mme Y... la somme de 1 500 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Bressor
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le licenciement de Madame Augustine Y... est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la SA Bressor à payer à Madame Augustine Y... les sommes suivantes 1.085,04 € bruts au titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire, 162,76 € bruts au titre de la prime d'ancienneté, 124,78 € bruts au titre des congés payés afférents, 1.158,28 € bruts au titre de la prime de fin d'année, 115,83 € bruts au titre des congés payés y afférents, 3.132,24 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 469,84 € bruts au titre de la prime d'ancienneté, 360,21 € bruts au titre des congés payés afférents, 12.975,72 € bruts au titre de l'indemnité de licenciement, 16.500 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'avoir ordonné d'office à la société Bressor le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Madame Augustine Y... dans la limite de trois mois d'indemnisation, et d'avoir condamné la société Bressor à payer à Madame Augustine Y... la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;
AUX MOTIFS QUE « qu'en l'espèce, la société BRESSOR invoque des faits de harcèlement moral commis par Augustine Y... au préjudice de Aurélie Z... et Paula A... ; que la société BRESSOR est donc tenue d'en rapporter la preuve ; qu'aux termes de la lettre de licenciement, il apparaît que la société BRESSOR reproche à Augustine Y... en ce qui concerne Aurélie Z... d'avoir le 1er avril 2014 eu une violente altercation avec cette salariée au cours de laquelle Augustine Y... lui a tenu des propos mensongers en lui déclarant "un conducteur doit vérifier les produits, former les intérimaires car ce n'est pas notre travail et nous ne sommes pas payés pour le faire", l'a accusée d'être une menteuse et d'avoir "couru pour reprendre la palette" afin de faire accuser à tort ses collègues, et a menacé de la frapper en lui déclarant: "elle ne nous connaît pas bien, et bien elle va bientôt apprendre"; que la société BRESSOR reproche en outre à Augustine Y... d'avoir depuis deux ans d'une part tenu des propos humiliants à l'égard de Aurélie Z... en la désignant non pas par son prénom mais par l'expression "l'autre" et d'autre part d'avoir refusé d'exécuter les consignes qui lui communiquait Aurélie Z... en sa qualité de conductrice de ligne; que ces agissements ont conduit le médecin du travail à préconiser un changement de service de Aurélie Z... ; Mais attendu qu'il convient de constater que la société BRESSOR s'est seulement limitée à procéder dans la lettre de licenciement à la retranscription des agissements dénoncés par Aurélie Z... dans son courrier du 2 avril 2014 qui décrit très longuement sa propre version de l'altercation intervenue le 1er avril 2014; que pour le surplus, les faits invoqués ne sont pas datés et sont donc d'une totale imprécision de sorte qu'ils ne sont pas fondés ; qu'il apparaît que pour justifier le grief de harcèlement moral, la société BRESSOR s'appuie sur quatre attestations de salariés (Claire B..., Carole C..., Christophe D... et Olivier E...) dont aucune ne fait allusion aux agissements dont auraient été victimes Aurélie Z... de la part de Augustine Y...; qu'en outre, il convient pour l'honnêteté des débats de relever que le courrier du médecin du travail du 4 avril 2014 n'impute pas l'état de santé dégradé de Aurélie Z... aux agissements de Augustine Y... que le praticien a indiqué en effet : "Il semble exister des conflits dans l'équipe incompatibles avec un travail serein et normal qui contribuent grandement à la dégradation de l'état de santé de la salariée"; que les faits concernant Aurélie Z... ne sont donc pas justifiés ; que s'agissant de Paula A..., la société BRESSOR reproche à Augustine Y... d'avoir menacé cette salariée si elle continuait à « bien travailler » en lui déclarant "à cause de toi, on nous donne plus de travail pour le même salaire" et de lui avoir indiqué comme à Aurélie Z... "elle ne nous connaît pas bien, et bien elle va bientôt apprendre"; qu'il est en outre reproché à Augustine Y... de tenir des propos humiliants et dégradants dans l'entreprise au sujet de Paula A... ; que Augustine Y... a ainsi déclaré à des salariés intérimaires en évoquant Aurélie Z...: "e//e est sale, elle n'a aucune hygiène, elle mange des choses pas fraîches", en disant à ces mêmes intérimaires de ne pas s'approcher de Paula A... car "elle est malade et contagieuse" et "elle pue, elle e les cheveux dégueulasses" Mais attendu que la cour ne peut qu'une fois encore constater que la société BRESSOR reproduit en très large partie les termes du courrier de dénonciation de la salariée du 9 avril 2014 sans les étayer par aucune pièce ; qu'en outre, force est de constater qu'aucun témoignage direct des intérimaires n'est produit aux débats; que l'employeur ne produit en réalité qu'un tableau établi par Claire B.... responsable des ressources humaines, mentionnant des faits que lui ont rapportés par des intérimaires dont au surplus certains ont refusé de révéler leur identité; qu'il y a donc lieu de dire que les faits concernant Paula A... ne sont pas démontrés ; qu'en définitive, la société BRESSOR n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble ou séparément, soient de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de Aurélie Z... et de Paula A... en ce qu'ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de leurs conditions de travail susceptibles notamment d'altérer leur santé physique ou mentale. Attendu que le grief reposant sur les faits de harcèlement moral au préjudice de Aurélie Z... et de Paula A... doit donc être écarté. 1.2. sur le comportement délétère qu'en premier lieu, la société BRESSOR reproche à Augustine Y... d'avoir sapé l'autorité de Sonia F... lorsque cette dernière était responsable du service emballage entre le 1 décembre 2010 et le 1 octobre 2012 par des "ricanements et bavardages incessants" lors des réunions TPM hebdomadaires; par des interpellations agressives devant les collègues; que ces agissements ont contribué à l'installation chez Sonia F... d'un état de fatigue physique et moral ; Mais attendu que ces faits ne sont que la retranscription de l'attestation établie par Sonia F... et ne se trouve étayés par aucune des pièces du dossier ; qu'ils ne sont donc pas fondés ; qu'il ressort de la lettre de licenciement que la société BRESSOR reproche en outre à Augustine Y... d'avoir eu un comportement vexatoire visant à humilier Christophe D..., nouveau responsable du service emballage après Sonia F..., en arrivant systématiquement en retard aux réunions ou aux animations auxquelles, en outre, Augustine Y... prenait la parole de manière inappropriée et démontrait du dédain pour le contenu des informations fournies par Christophe D... ; qu'enfin, Augustine Y... ne suivait pas les consignes de rotation des postes au suremballage malgré les relances du manager. Mais attendu que ces faits, qui là encore ne sont que la retranscription de l'attestation établie par Christophe D... qui est versée au dossier, ne sont étayés par aucune pièce du dossier: qu'il y a donc lieu de dire qu'ils ne sont pas établis ; que la société BRESSOR reproche enfin à Augustine Y... tout une série d'agissements visant à humilier deux salariés intérimaires, Mais attendu que la cour relève d'emblée que la société BRESSOR admet dans la lettre de licenciement que les intérimaires concernés souhaitent conserver l'anonymat ; que dès lors, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les agissements en cause, il convient de dire que les faits commis au préjudice de deux personnes qu'aucun élément ne permet d'identifier ne sauraient fonder un licenciement pour faute grave. Attendu que le grief reposant sur le comportement délétère doit donc être écarté. Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société BRESSOR ne justifie aucun des faits qu'elle impute à Augustine Y..., que ces faits ne sont donc pas établis ; que la cour considère après analyse des pièces du dossier que l'employeur, quelques jours après une altercation survenue au sein de l'équipe du service emballage, a manifestement pris une décision hâtive en mettant en oeuvre une procédure disciplinaire à l'encontre de Augustine Y... sur la base de dénonciations émanant de Aurélie Z... et de Paula A..., sans prendre au préalable la précaution de mener une enquête interne visant à vérifier la réalité des faits en cause ; que faute de preuve de la violation par Augustine Y... des obligations découlant de son contrat de travail telle qu'elle rend impossible le maintien de cette salariée dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis, il y a lieu de dire que le licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef » ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, QUE (p.8) « que la charge de la preuve de la faute grave incombe exclusivement à l'employeur (Cour de Cassation, Chambre Sociale du 9 Octobre 2001 n399-42.204) ; que lorsqu'il existe un doute sur la faute grave reprochée, le doute profite au salarié ; qu'en l'espèce, la Société BRESSOR n'a pas respecté dans son enquête sur les faits révélés, le caractère contradictoire qui s'imposait, tant par une consultation des représentants du personnel qu'au cours des réunions d'information de l'ensemble du personnel ; que les salaries, ayant accepté de témoigner peur Madame Y..., déplorent l'absence d'enquête menée et le fait de ne pas avoir, par conséquent, été entendus au soutien de Madame Y... ; qu'il subsiste un doute sur la réalité de l'ensemble des faits reprochés et sur leur imputabilité à Madame Y... ; que, pour l'ensemble des motifs susvisés, la Société BRESSOR ne rapporte pas la preuve de la faute grave reprochée à Madame Y..., motivant le licenciement du 30 Avril 2014, lequel est ainsi dépourvu de toute cause réelle et sérieuse » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'article L.1152-5 du Code du travail qui amène l'employeur à faire usage d'un pouvoir disciplinaire spécial pour mettre fin à des agissements de harcèlement imputables à certains salariés dont sont victimes d'autres salariés n'est pas une disposition de droit commun ; qu'en reprochant au chef d'entreprise de fonder le licenciement sur les dénonciations des victimes qui, à son égard, constituent des témoignages directs, et de ne pas avoir levé intégralement l'anonymat des autres témoins, sans exiger de Madame Y... une démonstration inverse et qui, en conséquence, fait supporter à l'employeur la charge entière de la preuve d'une situation conflictuelle à laquelle il est personnellement étranger, la cour de Lyon a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE la responsabilité de l'employeur est engagée envers les victimes de harcèlement commis par les salariés de l'entreprise et qu'il lui incombe, pour satisfaire à l'obligation de sécurité de résultat dont il est débiteur envers l'ensemble du personnel de prendre sans délai des mesures propres à faire cesser un tel trouble ; qu'étant admis que le comportement de Madame Y... avait donné lieu le 2 avril à la plainte d'une salariée, le 4 avril à une alerte du médecin du travail, le 9 avril à la plainte d'une autre salariée, corroborées par le recueil des témoignages de plusieurs intérimaires, et par les responsables successifs du service, Madame F... et Monsieur D..., la cour d'appel, qui se contente d'émettre un doute qu'il lui incombait de lever pour décider que l'employeur ne pouvait prononcer un licenciement destiné à mettre un terme aux faits de harcèlement dont il était saisi, ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur cette mesure disciplinaire et prive sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1, L.1152-3 et L.1152-5 et L.4121 du Code du travail ;
ALORS, DE TROISIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QU'une absence de faute grave ne dispense nullement le juge de rechercher si le comportement du salarié impliqué dans des faits de harcèlement ne constitue pas cependant une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en énonçant obscurément que ne serait pas « impossible le maintien de cette salariée dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis » et que, en conséquence, « le licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse » (p.7 al.1), la cour d'appel ne met pas davantage la Cour de cassation en mesure de se prononcer sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse, indépendante de l'exécution ou de l'inexécution d'un préavis ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard tant des articles L.1234-1, L.1234-4, L.1234-5 du Code du travail que des articles L.1152-4, L.1152-5 et L.4121-1 du même Code ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE les victimes ayant désigné Madame Y... comme auteur direct de leur harcèlement, lequel était confirmé par d'autres agents ou d'autres salariés, aucun texte n'imposait à l'employeur de procéder de surcroît à une enquête interne spécifique, le contradictoire étant légalement assuré par la convocation régulière à l'entretien préalable de la personne mise en cause ; qu'en faisant reproche à la société Bressor d'avoir eu recours à la procédure disciplinaire « sans prendre au préalable la précaution de mener une enquête interne » (p.7 al.1) la cour de Lyon ajoute à la loi une condition qui n'y figure nullement en violation des articles L.1152-4 et L.1152-5 du Code du travail ainsi que les articles L.1232-1, L.1232-2, L.1232-3 et L.1232-5 du même Code.