SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juin 2018
Rejet non spécialement motivé
M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10793 F
Pourvoi n° H 16-28.406
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par :
1°/ la société Schneider Electric industries, société par actions simplifiée,
2°/ la société Schneider Electric France, société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège [...] ,
contre l'ordonnance de référé rendue le 14 décembre 2016 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, dans le litige les opposant au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail Schneider Electric région parisienne, dont le siège est [...] ,
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 mai 2018, où étaient présents : M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Z..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Basset, conseiller, Mme Lavigne, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Rousseau et Tapie, avocat des sociétés Schneider Electric industries et Schneider Electric France, de la SCP Didier et Pinet, avocat du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail Schneider Electric région parisienne ;
Sur le rapport de Mme Z..., conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Schneider Electric industries et Schneider Electric France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Schneider Electric industries et Schneider Electric France à payer la somme de 3 000 euros au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail Schneider Electric région parisienne ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour les sociétés Schneider Electric industries et Schneider Electric France
Il est reproché à l'ordonnance attaquée d'avoir dit n'y avoir lieu à annulation de la délibération rendue par le CHSCT Schneider Electric région parisienne du 14 septembre 2016, et d'avoir condamné les sociétés Schneider Electric Industries et Schneider Electric France à payer au CHSCT la somme de 5 832 euros sur le fondement de l'article L. 4614-13 du code du travail ;
Aux motifs que selon l'article L. 4614-12-du code du travail, le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé que lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement ; que le risque grave n'implique pas la constatation d'un accident ou d'une maladie professionnelle, la logique de prévention dominant le droit de la santé au travail ; que l'accumulation d'indices ou d'incidents mineurs, voir un incident isolé, peut révéler la potentialité d'accidents plus graves et la nécessité d'une prévention ; que pour autant, le risque doit être constaté, identifié et actuel ; que la preuve d'un risque grave incombe au CHSCT ; que pour l'apprécier, le juge utilise la méthode du faisceau d'indices en matière de risques psychosociaux ; que la probabilité de réalisation du risque est sans incidence sur son existence, l'importance du dommage prévisible justifiant l'expertise, non fondée si en raison du caractère ponctuel d'un évènement, l'employeur a engagé des diligences immédiates ; que des éléments concrets et objectifs doivent permettre de constater l'existence d'un risque grave identifié et actuel ; que le CHSCT produit un rapport du Dr Y... du 14 avril 2016 concluant à une augmentation significative croissante des visites occasionnelles à la demande des salariés et médecins (+1%), effectuées soit pour le suivi maintien en emploi (lien entre une maladie chronique et l'adaptation au poste de travail) soit pour des risques psychosociaux (RPS) et une augmentation légère par année du nombre soumis aux RPS ; qu'elle considère que cette légère augmentation n'est pas alarmante ; que le procès-verbal du comité d'établissement du 31 mars 2016 indique que pour les RPS, les actions sont toujours les mêmes ; qu'en prévention primaire et secondaire, le service intervient en support du management par rapport à des situations collectives ; qu'en prévention tertiaire, 36 situations sont connues et une situation collective est suivie avec le CHSCT ; que le procès-verbal du CHSCT du 7 avril 2016 fait état d'une salariée en accident du travail pour cause de RPS démissionnaire pour ces raisons ; que le CHSCT a abordé une première démarche pluridisciplinaire de prévention par l'exploitation de questionnaires concernant le service International Mobility center et une seconde démarche concernant le service finance ; qu'examinant le bilan annuel du service de santé 2015, le CHSCT relève 36 cas d'exposition aux RPS, en augmentation de plus de 30% par rapport à 2014 ; que lors de la réunion extraordinaire du CHSCT du 19 avril 2016, après le premier suicide d'une salariée, il est fait état de l'absence de lien entre ce drame et le travail suite à l'enquête de police, l'inspection du travail n'ayant pas été saisie ; que les membres du CHSCT signalent que des postes d'assistantes sont très exposés du fait de leur surcharge de travail et de conditions de travail souvent difficiles et que l'environnement de travail est globalement en voie de dégradation ; que les membres ont demandé une expertise pour risque grave, qui n'a pas été adoptée à la majorité ; que le CHSCT produit 7 attestations dont 3 de représentants du personnel faisant état de la dégradation des conditions de travail du fait de la suppression de poste de changement de logiciel, de l'application obligatoire de la nouvelle plate-forme e-learning, impliquant une mise à niveau, du renouvellement de l'entretien performance ; qu'un cadre technique explique qu'entre 2005 et 2011, le groupe Schneider a engagé un important processus de mondialisation de ses activité avec délocalisation d'une partie des productions ; qu'une crise en 2008 a induit une réduction des coûts de structure ; que le comité exécutif du groupe s'est installé à Hong-Kong ; qu'à partir de 2011, des services supports ont été délocalisés (administratif RGH en Pologne et en Inde), ce qui a impacté la gestion de l'entreprise en France ; que les fonctions RH ont été restructurées avec transfert important de responsabilités vers le management de premier niveau, alourdissant le travail et la responsabilité des managers ; que deux salariés prétendent que les assistantes de direction ont des surcharges de travail et se sont confiés, à ceux, étant au bord du burn-out ; que le groupe a déployé un programme global de reconnaissance en vue de développer une culture de feedback permanent et de reconnaissance positive entre collègues de tous les pays ; que ce dispositif a été critiqué par les syndicats considérant que cela ouvrait à la porte à des dérives sans apporter en matière de prévention des RPS ; qu'une déléguée du personnel relate une situation de risque grave et imminent concernant trois personnes le 10 novembre 2016 ; que le CHSCT produit une analyse des RPS du 14 novembre 2016 sur la base d'un questionnaire confirmant des conditions de travail délétères (urgence et pression), une surcharge de travail, la surcharge d'informations via les courriels, webex, e-learning et des problèmes informatiques ; que l'employeur produit le rapport annuel 2015 du service santé au travail, aux termes duquel il existe une prévention tertiaire : prise en charge des situations individuelles dégradées, un support au management et des rencontres régulières au sein de la commission des RPS ; qu'il existe des actions collectives de prévention : santé/sécurité, mélanome, dons du sang, semaine du bien-être
une enquête comparative de 2013, 2014, et 2015 a été réalisée auprès des résidents qui concluent à la satisfaction générale de leurs conditions de travail ; que ce rapport doit être relativisé car seuls 35% des salariés ont participé ; qu'un accord sur la prévention des RPS a été conclu le 10 juillet 2012, prévoyant une prévention primaire consistant à agir directement sur les conditions d'exercice du travail pour réduire les potentiels RPS, une prévention secondaire qui vise à réduire le risque potentiellement présent malgré les actions menées en prévention primaire, et une prévention tertiaire qui a pour objectif d'assurer l'orientation et la prise en charge de l'individu, à prendre en charge la santé des salariées lorsqu'elle est affectée ; que les membres du CHSCT prétendent que la prévention primaire et secondaire n'a pas été mise en place ; qu'il apparaît que la direction n'a pas mis en place concrètement des actions de prévention primaire et secondaire contrairement à l'accord signé le 10 juillet 2012 ; que les membres du CHSCT rapportent la preuve d'éléments actuels, objectifs et précis démontrant l'existence d'une dégradation des conditions de travail suite aux restructurations des services des ressources humaines en France qui a impacté des conditions de travail des salariés ; que la survenance de deux suicides de deux assistantes de direction dans un délai de six mois, même à supposer qu'ils ne soient pas en lien avec les conditions de travail, a nécessairement induit des interrogations sur les conditions de travail de toutes les assistantes et les managers ; que l'employeur s'est borné à mettre en place une politique de prévention tertiaire qui reste insuffisante ; que dès lors que l'existence d'un risque grave est caractérisé, il n'y a pas lieu d'annuler la résolution du 14 septembre 2016 ;
Alors 1°) que le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé que lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; que le risque grave doit être préalable à l'expertise, qui n'a pour but que de l'analyser, et être mentionné dans la délibération adoptée par le CHSCT ; que la résolution du CHSCT du 14 septembre 2016 a invoqué comme risque grave « le suicide de 2 collaboratrices (toutes 2 assistantes) de l'établissement en 5 mois, [qui] représente une alerte supplémentaire sur la dégradation des conditions de travail sur laquelle l'attention de la direction a été attirée à de nombreuses reprises » ; qu'en déduisant néanmoins l'existence d'un risque grave de l'absence de mise en place concrète d'actions de prévention primaire et secondaire contrairement à l'accord signé le 10 juillet 2012, d'une dégradation des conditions de travail à la suite des restructurations des services des ressources humaines en France et d'une politique de prévention tertiaire insuffisante, circonstances qui ne figuraient pas dans la résolution du CHSCT, laquelle ne constatait aucun risque grave, identifié et actuel, le président du tribunal a violé l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Alors 2°) que le risque grave doit être préalable à l'expertise et être mentionné dans la délibération adoptée par le CHSCT ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'il y était invité, si le souhait du CHSCT, à travers sa demande d'expertise, de « mettre en lumière les faisceaux d'éléments objectifs professionnels pour permettre l'identification des facteurs de risques auxquels sont exposés les salariés [et] pour évaluer les pratiques de prévention mises en place », ainsi que les très nombreux objectifs assignés à l'expert, ne mettaient pas en évidence que la mission de l'expert avait pour but, non pas d'analyser un risque avéré, mais d'effectuer un audit des conditions de travail et mesures de prévention en matière de RPS, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Alors 3°) qu'en ayant relevé que des attestations invoquaient une « dégradation des conditions de travail » ou des « conditions de travail délétères » ou une surcharge de travail, inopérantes pour mettre en évidence un risque grave et actuel, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Alors 4°) que le recours à un expert implique un risque grave et actuel ; que l'ordonnance a relevé qu'un cadre technique expliquait qu'entre 2005 et 2011, le groupe avait engagé un processus de mondialisation de ses activité avec délocalisation d'une partie des productions ; qu'une crise en 2008 avait induit une réduction des coûts de structure ; que le comité exécutif du groupe s'était installé à Hong-Kong ; qu'à partir de 2011, des services supports avaient été délocalisés impactant la gestion de l'entreprise en France ; que les fonctions RH avaient été restructurées avec transfert important de responsabilités vers le management de premier niveau, alourdissant le travail et la responsabilité des managers ; que la direction n'avait pas mis en place des actions de prévention primaire et secondaire contraire à l'accord signé le 10 juillet 2012 ; qu'en statuant par des motifs ne caractérisant, à la date du 14 septembre 2016, ni situation d'urgence ni risque grave, identifié et actuel, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Alors 5°) que le risque grave doit présenter un caractère professionnel ; qu'en constatant que les suicides de deux assistantes en six mois, à les supposer sans lien avec les conditions de travail, avaient « nécessairement induit des interrogations sur les conditions de travail de toutes les assistantes et les managers », cependant que ces deux situations dramatiques individuelles n'établissaient aucun risque grave identifié au sein d'un établissement comptant plus de 1 500 salariés, d'autant que les suicides n'avaient eu lieu ni au temps ni sur le lieu du travail, que les salariées n'étaient pas en arrêt de travail, que leurs ayants droit n'avaient pas effectué de déclaration d'accident du travail, qu'aucun élément ne rattachait ces situations au travail et qu'après le premier suicide, le CHSCT avait déjà refusé de voter le recours à un expert le 19 avril 2016, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail.