SOC.
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mai 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme B..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10756 F
Pourvoi n° X 16-26.948
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Cerner France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2016 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à M. Sébastien X..., domicilié [...] ,
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 2 mai 2018, où étaient présents : Mme B..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Y..., conseiller référendaire rapporteur, M. Pion, conseiller, Mme Lavigne, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Cerner France ;
Sur le rapport de Mme Y..., conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cerner France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Cerner France
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la prise d'acte de la rupture par M. X... s'analysait en un licenciement nul et d'avoir condamné en conséquence la société Cerner à lui verser les sommes de 9 039,93 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, de 33 000 € à titre d'indemnité de licenciement nul, de 15 845 € à titre d'indemnité de préavis, de 1 587,50 € au titre des congés payés afférents, de 31 750 € au titre de la violation du statut protecteur et de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE la prise d'acte de la rupture du contrat de travail entraîne la cessation du contrat ; qu'il appartient au salarié d'apporter la preuve des manquements de l'employeur et de ce qu'ils présentent un caractère réel et sérieux ; qu'il appartient au juge de prendre en compte l'ensemble des manquements dénoncés par le salarié, qu'ils l'aient été ou non dans la lettre de prise d'acte, et de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux ; que la prise d'acte produit, selon que les griefs invoqués par le salarié apparaissent fondés ou non, les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou d'un licenciement nul lorsque les conditions en sont remplies – ce qui serait le cas ici, s'agissant d'un salarié protégé) ou d'une démission ; qu'il convient donc en premier lieu d'analyser la lettre, en date du 20 décembre 2011, par laquelle M. X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail, à laquelle la cour renvoi expressément pour plus ample précision ; que la société a répondu point par point à ce courrier par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 mars 2012 ; que la lettre de M. X... se lit notamment de la manière suivante : (
) « 10) Du 25 juillet 2011 au 25 novembre 2011, la société CERNER m'a placé dans une situation de "suspension d'activité" correspondant à une sorte de "mise en disponibilité". J'ai été dispensé de me rendre sur mon lieu de travail et de travailler, à l'exclusion de mes activités de représentant du personnel qui nécessitaient ma présence...[Cela a été] particulièrement difficile à vivre, induisant une perte de repère, de relation à l'activité et une coupure avec les collègues de travail (...) [période] anxiogène et dévastatrice pour moi » ; que la société fait valoir, d'une part, que la « décision d'envisager de rompre [le]contrat de travail était motivée par la nécessité impérative de prendre une mesure visant à assurer la sécurité de nos salariés se plaignant d'une attitude harcelante ou agressive à leur égard de [la] part [de M. X...] » ; que d'autre part, elle a veillé à ce que, pendant la dispense d'activité, M. X... puisse « en toute sérénité, et sans la moindre difficulté ou entrave, exercer [ses] fonctions de représentant du personnel » ; que la cour doit relever ici que la société n'a toutefois pas engagé à l'encontre de M. X... une procédure de licenciement pour faute grave, dans le cadre de laquelle elle aurait pu envisager une mise à pied conservatoire, mais une procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse ; que l'employeur se doit de fournir du travail à son salarié ; que la circonstance que M. X... ait été rémunéré pendant sa « suspension d'activité » et qu'il ait pu continuer son activité d'élu du personnel n'est pas de nature à supprimer la faute qu'a commise l'employeur en le privant de travail ; (
) « 14) Le jeudi 8 décembre 2011 de 10h00 à 10h05 : M. Pierre Z..., mon responsable hiérarchique direct, m'a fixé une réunion de reprise d'activité...[Il] me demande de réaliser un objectif de 2 000 000,00 € avant le 31 mars 2012 selon un avenant à mon contrat de travail que j'ai refusé de signer. (...) Il ne me restitue pas les régions IDF et région Nord (..) ce qui constitue une modification substantielle de mon contrat de travail que j'ai refusée et une diminution très sévère de mes possibilités de prospection et de vente (...) je ne devrai pas prospecter le CHU de Nantes (le plus gros et sans doute le seul potentiel à court/moyen terme de ma région)... » ; qu'il résulte d'un échange de courriels du 5 décembre 2011 entre M. X... et M. A... que des discussions étaient en cours, que M. X... non seulement ne refusait pas d'y participer mais proposait à M. Z... de lui remettre une proposition écrite, afin qu'il puisse en parler à son conseil, M. Z... lui répondant en proposant que les conseils prennent contact pour « évoquer ensemble les modifications qui [lui] ont été proposées » ; qu'ainsi, M. X... ne peut prétendre avoir été surpris par la discussion, prévue, du 8 décembre, ni par son contenu ; qu'il faut noter, toutefois, que dans le courriel du 8 décembre par lequel M. Z... confirme à M. X... les propositions faites, les régions Ile de France et Nord ne figurent plus dans le portefeuille du salarié (pour le CHU de Nantes, l'explication donnée que des rapports directs entre directeurs généraux se sont instaurés n'est pas valablement remise en cause par M. X...) ; que les objectifs commerciaux ne sont pas chiffrés en montant mais en nombre de rendez-vous par semaine en dehors de la signature de nouveaux clients ; que la société ne répond pas, dans son courrier du 12 mars 2012, sur ce dernier point ; que s'agissant de la nouvelle sectorisation géographique, la cour relève que, dans sa décision de refus d'autoriser le licenciement, l'inspection du travail a considéré que « cette nouvelle sectorisation constituait une modification des conditions de travail du salarié qui aurait dû être soumise à son accord, s'agissant d'un salarié protégé, mais que tel n'a pas été le cas » ; que la cour considère que M. X... est, en tout état de cause, fondé à reprocher à la société d'avoir modifié son secteur de prospection, sans contrepartie ; (
) que M. X... conclut sa lettre dans les termes suivants : « Tous les faits qui précèdent sont la preuve du harcèlement moral mené à mon encontre pour me pousser injustement vers la sortie et me faire céder psychologiquement. Ces faits sont les témoins de la concrétisation d'une situation de souffrance morale au travail qui a progressivement remis en cause mon identité sociale et ma place dans la société (...) A ce jour, je suis détruit et dévasté psychologiquement, outre le fait que mon poste de travail est purement et simplement vidé de toute substance (...) Je suis donc contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail, aux torts et griefs exclusifs de la société Cerner, prenant effet dès la date de première présentation de la présente (...) » ; que la cour observe qu'il résulte des pièces soumises par M. X... que le médecin du travail a alerté, le 14 mars 2011, la direction de l'entreprise sur la situation de souffrance au travail de M. X... ; qu'en tout état de cause, compte tenu de ce qui précède, la cour considère qu'en ne fournissant pas de travail à son salarié sans motif légitime pendant plusieurs mois puis en modifiant de manière significative son périmètre d'activité sans contrepartie, la société a commis des manquements à ses obligations à l'égard de M. X... dont ce dernier était fondé à prendre acte ; que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. X... produit les effets d'un licenciement ; que la cour confirmera le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point, avec cette précision que, M. X... étant un salarié protégé à l'époque, le licenciement en cause est nécessairement nul ;
ALORS, D'UNE PART, QUE si la lettre de convocation à l'entretien préalable doit mentionner l'objet de l'entretien proposé, elle n'a pas à mentionner les motifs du licenciement envisagé ; que, pour faire droit aux demandes du salarié et requalifier sa prise d'acte en licenciement nul, la cour d'appel a retenu que la lettre du 27 juillet 2011 qui le convoquait à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement et lui notifiait une dispense d'activité dans l'attente de la décision à intervenir, n'indiquait pas que la procédure de licenciement avait été engagée pour faute grave, de sorte que la mise à pied ainsi notifiée ne pouvait être considérée comme conservatoire et que la dispense d'activité qui en résultait constituait un manquement de nature à imputer la rupture à la société Cerner France ; qu'en statuant de la sorte, la cour a ajouté aux dispositions légales une condition qu'elles ne prévoyaient pas et a violé en conséquence les articles L.1332-3 et L.1231-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en affirmant que M. X... était fondé, au soutien de sa prise d'acte de la rupture, à reprocher à la société Cerner France d'avoir modifié son secteur de prospection, quand la société n'avait fait que lui formuler le 8 décembre 2011 une proposition de modification, d'un élément de surcroît non contractualisé, proposition qu'il avait refusée de sorte que son employeur ne pouvait être tenu pour fautif de la lui avoir simplement présenté, la cour d'appel a violé l'article L.1231-1 du code du travail ;
ALORS, ENSUITE, QUE la prise d'acte de la rupture des relations contractuelles par un salarié ne produit les effets d'un licenciement injustifié que si les manquements invoqués sont non seulement établis mais également suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail ; qu'en se bornant, pour imputer la rupture à la société Cerner France et lui faire produire les effets d'un licenciement nul, à retenir qu'en ne fournissant pas de travail au salarié pendant la procédure de licenciement et en modifiant son périmètre d'activité, elle aurait commis des manquements à ses obligations à l'égard de M. X... dont ce dernier était fondé à prendre acte, sans indiquer en quoi ces manquements auraient rendu impossible la poursuite des relations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1231-1 du code du travail ;
ET ALORS, ENFIN, QU'en imputant la prise d'acte de la rupture à la société Cerner France et en condamnant cette dernière à verser à M. X... des indemnités substantielles à ce titre, sans répondre au moyen des écritures de la société (conclusions p. 36 et s) tiré de ce que le salarié, au moment même où il avait notifié cette prise d'acte, le 20 décembre 2011, avait été engagé en qualité d'ingénieur d'affaires par une société concurrente, la société Intersystems, située également à Courbevoie et spécialisée comme elle dans le « conseil en systèmes et logiciels informatiques », notamment dans le domaine de la santé, de sorte que sa décision de prendre acte de la rupture de son contrat n'avait d'autre but en réalité que de lui permettre de rejoindre immédiatement son nouvel employeur, le mécanisme de la prise d'acte de la rupture ayant ainsi été galvaudé, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.