CIV. 2
CGA
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 mai 2018
Rejet non spécialement motivé
M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10367 F
Pourvoi n° N 17-10.659
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par M. Raoul Y..., domicilié [...] ,
contre l'arrêt rendu le 18 octobre 2016 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant à la société Blédina, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 11 avril 2018, où étaient présents : M. Savatier, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller, Mme Mainardi, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. Y..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Blédina ;
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, l'avis de M. Grignon umoulin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande, le condamne à payer à la société Blédina la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. Y...
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné l'employé (M. Y..., l'exposant) d'une entreprise de distribution de produits alimentaires (la société Blédina) à payer à son employeur une indemnité de 263 000 € en réparation du préjudice consécutif au détournement de cette somme, ainsi que celle de 10 000 € à titre d'indemnité complémentaire ;
AUX MOTIFS QU' il résultait de la procédure pénale produite aux débats que le versement de la somme de 263 000 € à la société Memark s'inscrivait dans un contexte de détournements frauduleux reconnus par M. Y... au profit de sociétés qu'il contrôlait directement ou indirectement (BTL et Medi-Marketing), faits pour lesquels il avait été déclaré coupable par le tribunal correctionnel de Villefranche sur Saône ; qu'il avait attendu le 6 septembre 2012 pour rembourser la somme due au titre des détournements BTL et Medi-Marketing, soit plus de quatre ans après la constatation des faits ; que la "réserve" de 263 000 € constituée auprès de la société Fortune Promo Seven avait été mise en place dans un premier temps selon le même mode opératoire : la société Fortune Promo Seven avait été incitée à émettre des factures non causées, transmises à la société Blédina qui les lui avait réglées ; que M. Y... avait reconnu avoir participé à ce montage ; qu'il était établi et reconnu par lui qu'il avait donné l'ordre à cette société de transférer les fonds à la société Memark, dont la directrice financière était la mère de M. B... ; que M. Y... soutenait de manière erronée que ces montages avaient reçu l'agrément de la société Blédina, ce qui n'était établi par aucune pièce ; qu'au contraire, il apparaissait que c'était après une enquête interne et comptable approfondie que la société Blédina avait eu la révélation des faits ; que l'enquête pénale avait en effet démontré que la société Blédina avait découvert ces faits à l'occasion d'autres malversations commises par M. B... ; que M. C..., alors directeur export, avait précisé aux enquêteurs que s'il arrivait à la société Blédina de régler des factures de "charges constatées d'avance auprès de certains fournisseurs", c'était uniquement parce que ces factures correspondaient à une réalité économique, à savoir une prestation à la charge de cette société ; que le responsable de secteur, en l'espèce M. B..., était chargé de vérifier ces opérations ; que, pour les factures Fortune Promo Seven et Memark, il n'y avait aucun motif économique à faire facturer des charges constatées d'avance ; que M. Y... ne justifiait d'aucune prestation qu'aurait réalisée la société Fortune Promo Seven ou Memark ou un autre partenaire pouvant justifier économiquement la "réserve" constituée ; que ces factures étaient donc radicalement non causées ; que la somme de 263 000 € ne pouvait s'apparenter à la pratique des réserves, telle qu'elle était admise à l'époque par la société Blédina ; que la directrice de la comptabilité au sein de la société Blédina avait indiqué qu' « avant cette affaire » elle n'avait pas connaissance de pratiques de ce type ; qu'elle avait précisé que Blédina n'avait jamais eu connaissance de l'avoir relatif à la réserve Fortune Promo Seven, laquelle n'avait jamais été incorporée dans la comptabilité de Blédina et que cette opération avait donc été dissimulée au service comptable ; que M. Y... avait indiqué lui-même qu'il avait « demandé » à M. B... si Blédina avait donné son agrément pour le transfert des sommes de Fortune Promo Seven à Memark, ce qui établissait que celui-ci savait que ce genre d'opération n'était pas licite ; qu'en tout état de cause, soit la réserve créée en 2006 existait toujours dans les comptes de la société Memark et il était alors facile pour M. Y... d'en obtenir le remboursement au profit de la société Blédina, soit elle avait été utilisée pour des prestations effectuées par la société Memark ou par un autre partenaire de la société Blédina dans le domaine de la communication et des services commerciaux, et M. Y... aurait dû être en mesure de justifier des factures correspondantes ou des prestations réalisées, ce qu'il ne faisait pas ; qu'il ne pouvait arguer qu'il aurait été empêché d'en justifier en raison de la remise de son ordinateur à son employeur, quand la société Blédina lui avait demandé des explications à ce sujet bien avant son licenciement ; qu'en conséquence, la matérialité du détournement frauduleux et, par voie de conséquence, la faute de M. Y... et son obligation d'indemnisation étaient établies (arrêt attaqué, pp. 5 et 6) ;
ALORS QUE, de première part, la motivation par voie de référence à des causes déjà jugées équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant que « le règlement de la somme de 263 000 € à la société Memark s'inscrivait dans un contexte de détournements frauduleux reconnus par M. Y... au profit de sociétés qu'il contrôlait directement ou indirectement (BTL et Medimarketing), faits pour lesquels il avait été déclaré coupable par le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône », et que « la réserve de 263 000 € constituée auprès de la société Fortune Promo Seven avait été mise en place dans un premier temps selon le même mode opératoire », sans jamais constater que, à l'instar des sociétés BTL et Medimarketing, l'exposant aurait eu effectivement des intérêts directs ou indirects dans les sociétés Fortune Promo Seven ou Memark, ce qu'il contestait fermement, quand elle était tenue de se prononcer exclusivement au vu des circonstances particulières de l'espèce au jour où elle statuait, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif, ne satisfaisant pas ainsi aux prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de deuxième part, l'exposant faisait valoir (v. ses conclusions signifiées le 1er mars 2016, p. 34, §1.3/ ; p. 43, § 1.5/) qu' « il était matériellement et techniquement impossible de constituer des réserves sans que la hiérarchie en ait eu connaissance et qu'elle ait validé cette constitution (
), (que) si des factures non causées avaient été réglées, elles l'avaient forcément été avec l'aval de la hiérarchie qui avait accepté qu'il fût dérogé à la procédure ordinaire de contrôle et de paiement (
), (que) cela valait particulièrement pour les factures d'un montant de plus de 30 000 € qui devaient être systématiquement validées par la direction de Blédina », précisant ainsi bénéficier à titre personnel d'une délégation de signature limitée à 5 000 €, et ajoutant que toute facturation devait identifier la prestation correspondante, tandis que son paiement ne pouvait intervenir que sur justification de sa réalisation effective ; qu'en se bornant à affirmer que la société Blédina n'avait eu connaissance de l'émission et du règlement par la comptabilité des factures en cause qu'au résultat d'une enquête interne et comptable approfondie diligentée à l'occasion d'autres faits ayant révélé que des détournements avaient été opérés au profit d'autres sociétés, sans répondre aux conclusions dont elle était saisie de nature à administrer la preuve que le règlement par la société Blédina de factures émises à titre de réserve, par hypothèse dépourvues de tout justificatif relatif aux prestations ainsi facturées, et d'un montant chacune supérieur à 30 000 €, avait nécessairement reçu l'approbation de sa direction, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de troisième part, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en considérant que la connaissance par la direction de la constitution de "réserves", consistant à régler par anticipation à des partenaires de confiance des factures dépourvues de contrepartie économique au moment de leur établissement, mais destinées à être utilisées ultérieurement, n'était établie par aucune pièce, quand l'exposant versait aux débats deux attestations certifiant l'utilisation courante de cette pratique et son approbation par les plus hauts dirigeants, ainsi qu'un échange de courriels attestant de l'usage desdites réserves en toute connaissance de cause dans l'intérêt de la société, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de quatrième part, le droit à réparation naît d'une faute, d'un préjudice et d'un lien causal entre les deux ; qu'en se bornant à relever que « soit la réserve créée en 2006 existait toujours dans les comptes de la société Memark (
), soit elle avait été utilisée pour des prestations effectuées par la société Memark ou par un autre partenaire de la société Blédina dans le domaine de la communication et des services commerciaux », cela après avoir seulement retenu que la constitution de réserves dans les comptes des partenaires de la société Blédina n'était pas autorisée, s'abstenant ainsi de se prononcer sur l'existence d'un préjudice, tout en faisant droit à la demande indemnitaire dont elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
ALORS QUE, de cinquième part, tout jugement doit être motivé; qu'en affirmant que l'exposant ne pouvait prétendre être empêché de justifier de l'utilisation des réserves constituées auprès de la société Memark du fait de la confiscation de son ordinateur au mois de juillet 2008, quand l'employeur lui avait réclamé des explications à ce sujet bien avant son licenciement, sans viser ni analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve sur lesquels elle se serait fondée pour constater ce fait qui n'était pas même allégué, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, en toute hypothèse, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en considérant que l'auteur du détournement allégué ne justifiait pas de l'utilisation de la réserve dans l'intérêt de la victime, notamment par la production de factures correspondantes ou par la justification des prestations réalisées, quand il incombait à cette dernière de prouver le détournement qu'elle alléguait, partant le préjudice dont elle avait souffert, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du code civil.
Le greffier de chambre