SOC.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 mai 2018
Rejet non spécialement motivé
M. FROUIN, président
Décision n° 10530 F
Pourvoi n° M 17-16.178
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société résidence La Martegale, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 8 février 2017 par la cour d'appel de [...] A chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme Dominique X..., épouse Y..., domiciliée [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 13 mars 2018, où étaient présents : M. Frouin, président, Mme Z..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller, Mme A..., avocat général, Mme Lavigne, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société résidence La Martegale, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme X... ;
Sur le rapport de Mme Z..., conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société résidence La Martegale aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à Mme X... ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société résidence La Martegale.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement du 10 janvier 201l est intervenu sans cause réelle et sérieuse, et d'AVOIR en conséquence condamné la société Résidence La Martegale à verser à Mme Y... les sommes de 2 094 € de rappel de salaire sur mise à pied et 209, 40 € de congés payés afférents, 6 307 € d'indemnité compensatrice de préavis, et 630,70 € de congés payés afférents, 1536 € d'indemnité de licenciement, 20 000 € de dommages-intérêts pour licenciement abusif, et 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
AUX MOTIFS QUE « L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.
Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motifs.
La faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis et situe nécessairement le débat sur le terrain disciplinaire.
En l'espèce la lettre de licenciement repose sur quatre griefs.
Premier grief:
«En raison de problèmes de dénutrition constatés chez certains des résidents de l'établissement au mois d'août 2010, nous avons alerté notre prestataire restauration, la société Avenance.
Une rencontre a eu lieu en votre présence le 10 août 2010, au cours de laquelle vous vous êtes engagée, dans le cadre de vos fonctions d'infirmière référente, à établir et communiquer à notre prestataire une liste des résidents concernés par ces problèmes de dénutrition.
Sans raison ni explication cette liste n'a jamais été établie ni communiquée à notre prestataire.
Plus grave encore, vous étiez (toujours dans la perspective de résoudre ces problèmes de dénutrition) chargée de conduire en parallèle à l'étude nutritionnelle réalisée par notre prestataire, une étude mesurant l'absorption alimentaire des résidents lors des petits déjeuners et des goûters, dont la décision a été prise lors de la réunion du 28 octobre 2010 avec la société Avenance.
La directrice vous a demandé de lui remettre les conclusions de cette étude conduite du 8 novembre au 14 novembre 2010 pour le vendredi 19 novembre 2010.
Le jour convenu vous lui avez demandé un nouveau délai jusqu'au lundi 22 novembre 2010, ce qu'elle vous a accordé.
Ce nouveau délai n'a pas été plus respecté que le précédent et l'étude que vous étiez chargée d'établir ne l'a jamais été. »
Deuxième grief:
«Le lundi 29 novembre 2010 à 15h10, une aide-soignante est venue alerter la directrice que l'état de santé d'une résidente (Mme E) nécessitait son hospitalisation d'urgence après avis de son médecin traitant (le Docteur B...).
Après vous avoir recherchée sans résultat, alors que vos horaires de travail étaient de 8h- 15h30, nous avons été contraints de constater que vous aviez quitté votre poste de travail avant l'horaire prévu sans prévenir votre hiérarchie ni transmettre aucun justificatif.
Il s'agit d'un abandon pur et simple de votre poste, attitude en soit inacceptables mais qui en l'espèce a eu des conséquences néfastes sur la santé de l'un de nos résidants en retardant sa prise en charge. »
Les faits visés dans ces deux griefs étaient connus de l'employeur avant le 8 décembre 2010, en effet le premier grief était apparent depuis le 22 novembre 2010 et le second depuis le lundi 29 novembre 2010.
L'employeur qui a notifié le 8 décembre 2010 un avertissement à Mme Y..., avertissement qui ne fait pas mention de ces deux griefs, a épuisé son pouvoir disciplinaire, il ne peut donc plus par la suite prononcer une nouvelle sanction visant ces faits.
Ces deux griefs ne peuvent donc plus être invoqués à l'appui du licenciement.
Troisième grief:
« Le 8 décembre 2010, le Docteur C..., médecin coordonnateur de l'établissement, a constaté que le plan de traitement d'une résidente (Mme 11) comportait plusieurs erreurs graves.
Le Docteur D..., son médecin traitant, lui avait prescrit le 20 octobre 2010 un traitement pour les douleurs abdominales dont souffrait la résidente et qu'il renouvelait chaque mois.
Pourtant ce traitement ne figurait pas sur le plan de traitement servant à la réalisation des piluliers, édité le 7 décembre par vos soins. Par contre des médicaments non prescrits par le médecin traitant depuis le dernier renouvellement y figuraient encore, médicaments susceptibles d'entraîner une somnolence et de favoriser les chutes de cette résidence ce qui s'est produit à trois reprises depuis le début du mois, heureusement sans conséquences graves.
De telles négligences sont gravissimes, de nature là encore à porter atteinte à l'intégrité physique de nos résidants et, dès lors, à voir la responsabilité pénale de notre établissement engagée. »
Ces faits sont concomitants au prononcé de l'avertissement mais n'ont été portés à la connaissance de la direction que par courrier du docteur C... en date du 10 décembre 2010, ils peuvent donc être invoqués à l'appui du licenciement.
Ces faits sont attestés par le Docteur C... médecin coordonnateur, qui dans son courrier adressé à la direction, précise que sur la fiche de traitement de la résidente éditée le 7 décembre 2010, le médicament prescrit par le médecin traitant le 20 octobre 2010 et renouvelé chaque mois était absent alors que certains médicaments qui n'avaient pas été renouvelé depuis cette date y figuraient, et que la fiche de traitement qui avait été éditée le 7 décembre 2010 mentionnait un médicament à 2 comprimés par jour alors que le médecin l'avait ordonné à un comprimé par jour, Mme Y... conteste formellement avoir commis ces erreurs dans l'établissement du plan de traitement de Mme V.
Il est exact que la société Résidence la Martegale ne produit débats la fiche de traitement éditée le 7 décembre 2010.
En outre il ressort des deux attestations établies par le Docteur D... médecin traitant de Mme V, que les traitements concernant cette patiente étaient difficiles, car elle se plaignait en permanence, qu'il n'a jamais été informé ni par l'administration de la maison de retraite, ni par le médecin coordonnateur que des erreurs avaient été commises dans l'administration des médicaments, que comme cette patiente se plaignait de manière permanente de son ventre, il avait souvent échangé téléphoniquement avec Mme Y... car la demande de la patiente était quotidienne, et il lui était arrivé à trois reprises de demander à celle-ci de donner du Spasfon (sous-entendu médicament ne figurant pas dans les prescriptions) à cette résidente.
Il en résulte que le troisième grief allégué à l'encontre de Mme Y... n'est pas établi.
Quatrième grief:
«Le vendredi 10 décembre 2010, le Docteur C... a eu l'occasion de constater plusieurs autres faits graves.
-En premier lieu elle s'est aperçue que les plans de traitement des derniers mois concernant Mme V avaient disparu, y compris celui édité le 7 décembre 2010 et qu'il ne restait plus qu'une fiche éditée le 8 décembre et corrigée en fonction des remarques qui vous avaient été faites. »
La société Résidence la Martegale ne produit pas aux débats la fiche éditée le 8 décembre 2010 qui aurait été corrigé par Mme Y... suite aux remarques qui auraient été faites par le médecin coordinateur ce même jour, élément matériel qui aurait facilement corroboré les affirmations contenues dans l'attestation du Docteur C..., qui sont formellement contestés par Mme Y....
Il n'est donc pas démontré que Mme Y... est à l'origine de la disparition des plans de traitement de Mme V.
«En second lieu, lorsque le Docteur C... vous a rencontré à 12h45 pour discuter des problèmes urgents des résidents, vous lui avez répondu qu'il n'y en avait pas.
Pourtant lors de la réunion pluridisciplinaire hebdomadaire de coordination qui s'est tenue à 13h45, elle a appris avec stupéfaction en raison des plaintes du fils d'un résident (M E...) à 14h30, que celui- ci avait chuté vers 10 heures du matin et qu'il souffrait terriblement depuis.
Le fils du patient s'inquiétait fort logiquement de ne pas avoir été prévenu par le personnel infirmier, ce qui était votre rôle, et de ce que son père se trouvait torse nu sur son lit.
Le Docteur C... a alors pris connaissance du fait, qu'après avoir contacté son médecin traitant, vous n'étiez plus intervenue auprès du résidant alors même que ce médecin vous avait informé qu'il ne pourrait pas se déplacer avant 14 heures.
Vous avez donc volontairement pris la décision de laisser un résident souffrir sans traitement pour la douleur pendant 5 heures au lieu de demander qu'il soit transféré aux urgences.
Tenant la douleur du résidant et la nécessité d'agir, le Docteur C... et l'infirmière ayant pris la relève (Mme F...) ont immédiatement demandé son transfert aux urgences où il a été constaté qu'il souffrait d'une luxation de l'épaule droite, pathologie connue pour être particulièrement douloureuse.
Il s'agit là d'une décision que vous auriez dû prendre immédiatement après avoir eu le médecin traitant au téléphone, sans compter le fait que vous auriez due en faire part au Docteur C... dès son arrivée.
Par votre abstention et votre négligence, vous auriez pu mettre en danger la santé de ce résident ». Mme Y... ne conteste pas le fait que suite à la chute de ce résident, elle a appelé le médecin traitant de celui-ci, et a décidé en accord avec ce dernier d'attendre sa visite qui devait avoir lieu à 14 heures.
Elle ne conteste pas ne pas avoir informé le Docteur C... de ce fait lors de la prise de fonction de celle-ci à 12h45, mais fait seulement valoir qu'elle avait mentionné à 13h29 cet événement dans le carnet de liaison.
Il est donc démontré en l'espèce une exécution défectueuse de la prestation de travail par Mme Y....
«En dernier lieu, elle a été alertée par la famille d'une résidente (mme C) dont vous aviez la charge, que le remplacement de son passement n'avait pas été fait depuis deux matins. A considérer que l'impossibilité de changer les pansements de la résidente puisse être justifiée, il est inacceptable que vous n'ayez pas pris soin a minima d'alerter vos collègues de travail prenant le relais l'après-midi de procéder à votre place. »
La société Résidence la Martegale ne produit aucune pièce confirmant les déclarations du Docteur C... qui affirme qu'informée oralement par la famille du résident, elle s'est rendue compte que le pansement qui devait être effectué par Mme Y... le matin ne l'avait pas été depuis 2 jours.
Eu égard à la contestation des faits par Mme Y... et à l'absence de preuve matérielle, il en sera déduit que la réalité de ce grief n'est pas établie.
La seule exécution défectueuse de la prestation de travail démontrée à l'encontre de Mme Y... concerne donc la prise en charge de M.R, suite à la chute intervenue le 10 décembre 2010.
La société Résidence la Martegale ne démontre pas que cette exécution défectueuse qui résulte d'une insuffisance professionnelle est due à une abstention volontaire ou à la mauvaise volonté délibérée de Y....
Sachant qu'il ressort des attestations de Mme G..., aide-soignante, de Mme F..., infirmière, de Mme H..., aide à domicile, personnes qui ont travaillé avec Mme Y... dans l'établissement en 2009 et 2010, que Mme Y... a toujours fait preuve de sérieux et de professionnalisme dans l'exercice de ses fonctions et qu'elle faisait preuve d'écoute et d'humanité auprès des personnes âgées; que de plus, les Docteurs I..., J... et K..., médecins traitant de résidents, ont attesté que Mme Y... était disponible, souriante et compétente dans la prise en charge des patients, et qu'elle les avait toujours contactés dès la survenue d'une question ou d'un problème; il en résulte que la seule exécution défectueuse intervenue le 10 décembre 2010 ne constitue pas une faute susceptible de justifier un licenciement disciplinaire.
Le licenciement intervenu le 10 janvier 201l sera donc déclaré sans cause réelle et sérieuse, le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les conséquences du licenciement:
Mme Y... est donc fondée à solliciter le versement par la société Résidence la Martegale du rappel de salaire correspondant à sa mise à pied soit 2 094 €, l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 6 307 € ainsi que l'indemnité de congés payés correspondant à ces deux sommes, ainsi que l'indemnité de licenciement à hauteur de 1 536 €.
Mme Y... avait plus de deux ans d'ancienneté lors de son licenciement. Il n'est pas soutenu par la société Résidence la Martegale que celle-ci emploie moins de 1l salariés, Mme Y... a donc droit l'indemnité prévue aux dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.
Il n'est pas contesté que le salaire moyen brut mensuel des derniers mois d'activité de Mme Y... était de 3226 €, il sera alloué à celle-ci à titre d'indemnité la somme de 20000 € »
1/ ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations; que la Cour d'appel a relevé d'office que le grief pris du défaut de signalement de la chute d'un patient et sa non prise en charge médicale immédiate par Mme Y... qu'elle a jugé établi, relevait d'une insuffisance professionnelle et non d'une faute susceptible de justifier un licenciement disciplinaire; qu'en statuant ainsi sans inviter les parties à faire valoir leurs observations sur la qualification de ce grief, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile;
2/ ALORS QUE caractérise une faute et non une simple insuffisance professionnelle le fait pour un membre du personnel soignant référent dans un établissement de soins de ne pas assurer la prise en charge médicale immédiate d'un résident se plaignant de fortes douleurs, ayant eu pour conséquence de retarder le diagnostic et de lui occasionner d'importantes souffrances pendant plusieurs heures; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que bien que témoin des fortes douleurs dont se plaignait un résident qui venait de faire une chute le 10 décembre 2010, Mme Y... n'avait pas informé, lorsqu'elle l'avait rencontré deux heures plus tard, le médecin coordonnateur de l'établissement de la chute et des douleurs de ce résident, qu'elle n'avait pas non plus fait transporter le résident aux urgences ni traité sa douleur qui s'était avérée causée par une luxation de l'épaule, préférant attendre la visite de son médecin traitant prévue 4 heures après la chute; qu'en jugeant que ce comportement de Mme Y... caractérisait une insuffisance professionnelle et non une faute pour en déduire que son licenciement disciplinaire était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la Cour d'appel a violé les articles L 1232-1 et L 1234-1 du Code du travail ;
3/ ALORS QU'en qualifiant ces faits d'insuffisance professionnelle après avoir relevé que Mme Y... avait toujours fait preuve de sérieux et de professionnalisme dans l'exercice de ses fonctions et qu'elle faisait preuve d'écoute et d'humanité auprès des personnes âgées, qu'elle était disponible, souriante et compétente dans la prise en charge des patients, et qu'elle avait toujours contacté les médecins dès la survenue d'une question ou d'un problème, la Cour d'appel s'est fondée sur des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L 1232-1 et L 1234-1 du Code du travail.