SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 avril 2018
Rejet non spécialement motivé
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10566 F
Pourvoi n° P 16-25.698
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Philippe Angel-Denis Y..., société civile professionnelle, dont le siège est [...] , représentée par M. Denis Y..., pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société E... I...,
contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2016 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme Christelle Z..., domiciliée [...] ,
2°/ au CGEA d'Amiens, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 14 mars 2018, où étaient présents : M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Basset, conseiller rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, Mme Becker, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la SCP Philippe Angel-Denis Y... , ès qualités, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme Z... ;
Sur le rapport de Mme Basset, conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCP Philippe Angel-Denis Y... , ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCP Philippe Angel-Denis Y... , ès qualités, à payer à Mme Z... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Philippe Angel-Denis Y..., ès qualités,
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul le licenciement de Mme Z... en raison du harcèlement moral subi ; d'avoir condamné Me Y... ès qualités de liquidateur de la SCP E... I... à verser à Mme Z... la somme de 4 925,74 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, outre 492,57 € de congés payés afférents et la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
AUX MOTIFS QUE Mme Z... a été engagée par la SCM E... devenue par la suite la SCP E... I... Wioland puis la SCP E... I... en qualité d'assistante de gestion, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 10 juin 2004 avec effet au 1er juin 2004 ; que sur les bulletins de paie de la salariée, il est fait mention d'un emploi de comptable ; que par jugement du tribunal de grande instance de Compiègne en date du 28 septembre 2010 confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Amiens en date du 9 juin 2011, la dissolution judiciaire anticipée de la SCP E... I... a été prononcée en application de l'article 1844-7 5e du code civil et par conséquent sa liquidation conformément à l'article 1844-8 du même code, Me Y... étant désigné en qualité de liquidateur ; que le 6 décembre 2010, Mme Z... a été placée en arrêt maladie jusqu'au 15 juin 2011 ; que le 16 juin 2011, la salariée a repris son activité professionnelle ; que la salariée a bénéficié d'un nouvel arrêt de travail du 23 au 28 juin 2011 ; que le 27 juin 2011, Mme Z... a exercé son droit de retrait qu'elle a maintenu par courrier adressé au liquidateur le 18 juillet 2011 ; que du 28 août 2011 au 22 juillet 2012, Mme Z... a bénéficié d'un arrêt de travail ; qu'à l'occasion de la visite médicale de reprise le 23 juillet 2012, le médecin du travail a conclu que la salariée était inapte définitif à son poste, l'avis d'inaptitude étant libellé comme suit : « Inapte à son poste dans l'entreprise. Caractère définitif de l'inaptitude à confirmer lors d'une 2e visite dans les 15 jours conformément à l'article R. 4624-31 du code du travail » ; que Mme Z... a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 octobre 2012 par lettre du 25 septembre précédent, puis licenciée pour inaptitude physique par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 octobre 2012, motivée comme suit : « Je fais suite à l'entretien préalable au licenciement en date du 4 octobre 2012 qui s'est tenu en mon étude, entretien auquel vous avez participé, assisté de Monsieur G.... Vous occupez actuellement le poste de comptable/assistante de gestion. À la suite des visites médicales en date des 23 juillet 2012 et 7 août 2012 et après étude de votre poste de travail dans l'entreprise, le médecin du travail vous a déclaré inapte à votre poste de travail selon les précisions suivantes : "inapte définitif à son poste. 2e visite : inaptitude définitive à son environnement professionnel au sein de l'entreprise." Consécutivement à la seconde visite médicale, j'ai recherché au sein de la SCP E... I... toutes les possibilités de reclassement interne au sein de l'entreprise, l'entreprise n'appartenant pas à un groupe au sens de la définition constante donnée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Avant de prendre toute décision sur votre dossier, j'ai interrogé dès le 9 août 2012 le médecin du travail afin d'avoir des précisions sur cette inaptitude et les préconisations à prendre, et ce en vue des recherches de reclassement à opérer. Par courrier en date du 13 août 2012, le médecin du travail a confirmé que, après étude des postes ainsi que des conditions de travail, votre état de santé ne permet pas de proposer des tâches ou des postes existant dans l'entreprise et que vous pourriez exercer. Compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule et après examen et des recherches approfondies, il s'avère qu'aucun poste n'est actuellement disponible dans l'entreprise sur l'un ou l'autre de ses établissements. De plus, tous les postes administratifs existants sont actuellement pourvus. En conséquence, je vous informe de ma décision de vous licencier pour inaptitude physique médicalement constatée par le médecin du travail et sans qu'aucun reclassement ne soit possible, y compris par mutation, transformation, adaptation de poste ou aménagement d'horaires au sein de l'entreprise. Votre préavis, conforme aux dispositions légales, débutera à la première présentation de la présente. Votre état de santé ne vous permettant pas d'effectuer votre préavis, celui-ci ne sera pas rémunéré et ne vous donnera pas droit à une indemnité compensatrice. (
) » ; que contestant la licéité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, Mme Z... a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne, qui, statuant par jugement du 16 janvier 2014, dont appel, s'est prononcé comme indiqué précédemment ; que, sur la rupture du contrat de travail, indépendamment des modalités de constatation de l'inaptitude, le licenciement de la salariée qui en résulte se trouve frappé de nullité lorsque l'inaptitude a pour origine des faits de harcèlement moral ; que par ailleurs, la déclaration d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise faite par le médecin du travail n'a pas pour effet de dispenser l'employeur de son obligation préalable de reclassement, obligation dont le respect conditionne la légitimité du licenciement ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que dans le cadre du régime probatoire particulier institué par l'article L. 1154-1 du code du travail, la salariée n'a pas à proprement parler la charge de la preuve du harcèlement moral dont elle s'estime victime ; qu'il lui appartient seulement d'établir la matérialité des faits permettant de présumer l'existence d'une situation de harcèlement au sens de l'article L. 1152-1 du même code ; qu'il revient ensuite à l'employeur de prouver que les faits ou agissements qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments étrangers à tout harcèlement ; que dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser ; que Mme Z... verse aux débats plusieurs attestations, courriers, documents médicaux, non utilement contestés par le mandataire liquidateur, desquels il résulte qu'elle faisait l'objet sur son lieu de travail de brimades, pressions, reproches injustifiés, qu'une partie de ses tâches lui a été retirée (paiement des salaires
) et qu'elle a été expulsée par M. E... et Mme H... de son bureau sans possibilité de reprendre ses affaires personnelles, ces faits s'étant déroulés dans un contexte de crise entre les deux principaux associés de la SCP E... I... ; que Mme Z... justifie avoir déposé plainte pour harcèlement moral le 22 juin 2011 à l'encontre de M. E... et Mme H... relatant notamment les circonstances dans lesquelles il lui avait été violemment reproché d'avoir transmis le bulletin de paie d'un salarié à la seconde associée de la SCP, Mme I... ; que les pièces produites par la salariée font état d'un climat délétère sur le lieu de travail, d'autres salariés étant également victimes de faits similaires ; qu'il résulte des éléments versés aux débats par la salariée que l'inspection du travail a rappelé à l'ordre l'employeur concernant les dysfonctionnements constatés au sein de la SCP dès le 14 octobre 2008 ; que la salariée verse aux débats ses arrêts de travail pour « syndrome anxio-dépressif », « stress secondaire à un conflit professionnel » ainsi que la copie de ses prescriptions médicales ; que Mme Z... établit ainsi suffisamment de faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés sont étrangers à tout harcèlement moral ; que Me Y..., ès qualités de liquidateur de la SCP E... I... ne produit aucune pièce au soutien de ses dénégations, n'apporte aucun élément justifiant le comportement de l'employeur ou son absence de réaction face au harcèlement moral subi par Mme Z... ; que les faits de harcèlement moral sont ainsi suffisamment établis ; que le harcèlement moral devant en l'espèce, eu égard aux éléments rappelés ci-dessus et à la motivation de l'avis d'inaptitude, être reconnu comme étant directement à l'origine de l'inaptitude physique de Mme Z... ayant abouti à son licenciement, celui-ci doit par conséquent être déclaré nul par infirmation de la décision entreprise qui a statué en sens contraire ; que la nullité du licenciement étant prononcée, la salariée peut par conséquent prétendre à hauteur des sommes non spécifiquement contestées dans leur quantum à une indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents ; que ne sollicitant pas sa réintégration, Mme Z... est également en droit d'obtenir une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement d'un montant au moins égal à l'indemnisation minimum prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail ; qu'en considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt ;
ALORS QUE le harcèlement moral au travail doit s'apprécier objectivement, au regard d'un comportement normal de l'employeur ; qu'en jugeant que les relations tendues entre la salariée et sa direction dans un contexte de conflit entre associés révélaient une situation de harcèlement, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Me Y... ès qualités de liquidateur de la SCP E... I... à verser à Mme Z... la somme de 4 211,30 € à titre de rappel de salaire, outre 421,13 € de congés payés afférents ;
AUX MOTIFS QU'il résulte de l'application des articles L. 4131-1 et suivants du code du travail que lorsque le salarié a un motif raisonnable de penser qu'il existe un danger grave et imminent pour sa santé ou sa sécurité, il ne peut être sanctionné pour avoir exercé son droit de retrait, même si le risque ou le danger s'avère ensuite inexistant et aucune retenue ne peut être pratiquée sur son salaire quelle que soit la durée du retrait ; que le risque susceptible de justifier l'exercice du droit de retrait peut résulter d'une organisation défectueuse du travail ou de méthodes de management ou d'encadrement inadaptées susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à la santé mentale ou physique des salariés ; qu'il ressort en l'espèce des éléments du dossier que la décision de retrait de la salariée signifiée à Me Y..., ès qualités de liquidateur de la SCP E... I... , à la SCP E... I... et à chacun des associés par courrier du 27 juin 2011 est intervenue dans un contexte de souffrance morale et de stress, la salariée ayant déposé plainte pour des faits de harcèlement moral le 22 juin précédent ; que la décision de retrait est également intervenue alors que la salariée reprenait son activité professionnelle après un arrêt maladie de plusieurs mois en lien avec un état dépressif et qu'elle venait d'adresser au liquidateur, le 17 juin 2011, une lettre de détresse relatant l'existence d'une souffrance de la part d'un certain nombre de salariés au sein de la société ; que dans un tel contexte la salariée a pu légitimement craindre que la poursuite de son activité pouvait lui faire courir le risque d'une nouvelle dépression ; que l'employeur ne peut demander au salarié qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent ; que s'il ressort des pièces du dossier que par courrier du 12 juillet 2011 Me Y... a contesté le droit de retrait de la salariée, il n'est pas établi que les conditions dans lesquelles celui-ci s'était exercé aient cessé, la société étant toujours constituée des mêmes associés entretenant des relations conflictuelles l'un avec l'autre et la salariée n'ayant pas été affectée sur un autre site de travail que celui sur lequel elle a été victime de harcèlement moral ; qu'en l'état et par application des principes ci-dessus rappelés, les retenues sur salaires pratiquées doivent en conséquence être restituées à la salariée dans les conditions et suivant les modalités qui seront précisées au dispositif de l'arrêt ;
ALORS QUE la cassation du chef du dispositif de l'arrêt déclarant nul le licenciement de Mme Z... en raison du harcèlement moral subi entraînera l'annulation des condamnations au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail en application de l'article 624 du code de procédure civile.