CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 avril 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10235 F
Pourvoi n° A 17-13.546
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par :
1°/ Mme Brigitte X...,
2°/ M. Mohamed Y...,
3°/ M. Milan X... Y...,
domiciliés [...] ,
4°/ M. Brice Z..., domicilié [...] ,
5°/ M. B... Z... , domicilié [...] ,
6°/ Mme Flavie Z..., domiciliée [...] ,
contre l'arrêt n° RG : 16/02050 rendu le 27 octobre 2016 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Les Laboratoires Servier, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 mars 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme C..., conseiller rapporteur, M. Girardet, conseiller, Mme Randouin, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat de Mme Brigitte X..., de M. Mohamed Y..., de M. Milan X... Y..., de M. Brice Z..., de M. B... Z... et de Mme Flavie Z..., de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Les Laboratoires Servier ;
Sur le rapport de Mme C..., et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Brigitte X..., M. Mohamed Y..., M. Milan X... Y..., M. Brice Z..., M. B... Z... et Mme Flavie Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour Mme Brigitte X..., M. Mohamed Y..., M. Milan X... Y..., M. Brice Z..., M. B... Z... et Mme Flavie Z... .
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de dire n'y avoir lieu à référé du chef des demandes de provision formées par les consorts X... ;
AUX MOTIFS QUE la société intimée se prévaut de la cause d'exonération de responsabilité prévue à l'article 1386-11 du code civil qui dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve, 4°, que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ; que pour démontrer l'existence de cette cause d'exonération, elle fait notamment état de publications scientifiques en 2009 et 2011 et de documents établis les mêmes années par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ; que les deux études publiées en 2009 et 2011 (pièces et 8 de l'intimée) proviennent de médecins français ; que la première rapporte l'existence de cinq cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) grave et d'un cas d'atteinte valvulaire, apparus en 1999, 2002, 2006 et 2007, associés à la prise de benfluorex, signalés récemment, comme cela avait déjà été démontré chez des personnes exposées aux dérivés de la fenfluramine ; que l'étude conclut que si aucun effet causal entre l'atteinte cardiovasculaire et le benfluorex ne peut être catégoriquement établi à partir de ces études de cas, toutefois, dès lors que le benfluorex, comme la desfenfluramine et la fenfluramine, se métabolise en un métabolite actif, la norfenfluramine, d'autres évaluations plus approfondies de l'exposition au Médiator ou ses génériques chez des sujets souffrant d'HTAP ou d'atteinte valvulaire sont justifiées ; que la seconde étude, réalisée par des médecins de l'hôpital universitaire de Brest, rapporte le cas d'une personne admise en 2008 à l'hôpital, qui, prenant du benfluorex depuis cinq ans, présentait une insuffisance valvulaire mitrale et aortique. Elle conclut au fait que les résultats d'analyse sont fortement évocateurs d'une pathologie valvulaire toxique, le plus certainement induite par le benfluorex, seul coupe-faim pris par la patiente ; que cette étude, qui confirme la précédente, fait référence notamment à une étude de 2006 établie par d'autres médecins qui signalait trois cas isolés de pathologie valvulaire fibrotique signalés chez des sujets prenant du benfluorex, une étude de 2010 décrivant neuf cas d'affection valvulaire inexpliquée chez des patients qui avaient reçu du benfluorex sur une période moyenne de 64 mois ; qu'elle cite également une étude effectuée par des médecins espagnols, publiée en 2003, intitulée "Valvular heart disease associated with benfluorex use", soit la maladie valvulaire associée à la prise du benfluorex ; que le point d'information établi par l'AFSSAPS en novembre 2009 qui a trait à la suspension des autorisations de mise sur le marché et le retrait des médicaments contenant du benfluorex indique que c'est au printemps 2009 qu'elle a été amenée à examiner des données issues d'une série de cas de valvulopathies notifiées au système national de pharmacovigilance, conduisant à une forte suspicion d'un risque de valvulopathie induit de la prise du benfluorex, confortée par des études récentes du CHU de Brest, de la société Les laboratoires Servier et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ; que le document établi par l'AFSSAPS en 2011 a trait à l'envoi d'un courrier adressé en 2010 aux personnes ayant pris du Médiator ou un de ses génériques entre 2006 et 2009 ; que la production de ces documents est destinée à établir qu'il n'existait, avant novembre 2009, que des cas isolés d'atteinte par HTAP ou valvulopathie susceptibles d'être imputables à la prise de benfluorex, ce qui démontrerait que l'état des connaissances scientifiques n'aurait pas permis de déceler, avant cette date, le caractère défectueux du médicament ; que les intimés contestent cette affirmation ; qu'ils exposent que l'histoire du Médiator, mis sur le marché en 1976, est liée à celle des autres amphétamines (Isoméride et Pondéral qui étaient produits par le même producteur jusqu'à leur retrait)
en raison de la présence d'un métabolite commun : la norfenfluramine ; que le rapport de l'IGAS (Inspection générale de la Santé), qu'ils produisent, indique en effet qu'une partie de la structure chimique du Médiator est commune à celle de l'Isoméride et du Pondéral, qui ont été retirés du marché dès 1997 en raison d'effets indésirables cardiaques graves, que ces deux produits avaient fait en 1987 l'objet d'une enquête officieuse transmise à l'AFSSAPS ; qu'ils font valoir qu'en septembre 1993, le laboratoire anglais de la société Les laboratoires Servier a effectué une enquête mettant en évidence la présence de norfenfluramine dans le Mediator ; que depuis 1993, la société savait que le Mediator se métabolise en norfenfluramine, que la toxicité de la norfenfluramine est connue depuis 1995 par la publication des résultats de l'étude épidémiologique dite IPPHS (International Pritney Pulmonaly Hypertension Study), qu'une étude publiée en août 1997 dans une revue scientifique anglaise décrit l'aspect particulier des atteintes valvulaires après exposition à la fenfluramine et la phentermine ; qu'après cette publication, la "Food and Drug Administration" américaine a fait état de 113 cas de valvulopathies déclarés aux autorités sanitaires s'agissant de patients exposés à la fenfluramine ou à la desfenfluramine, souvent associées à la consommation de Phentermine, que le Médiator a été mis sous surveillance par l'AFSSAPS dès 1997 et que la Commission nationale de Pharmacovigilance a reconnu l'existence d'une enquête officieuse sur le benfluorex en raison de la nature de l'un des métabolites du benfluorex (norfenfluramine) et de la constatation d'une dérive de prescription comme anorexigène, enquête qui est devenue officielle en 1998 ; que la même année, à la demande des autorités sanitaires italiennes, le benfluorex a fait l'objet d'une évaluation au niveau européen ; qu'en novembre 1999, l'AFSSAPS a demandé au producteur de réévaluer les risques cardiovasculaires du Médiator chez l'homme, que cette étude ne sera réalisée par la société Les laboratoires Servier qu'en 2009 ; que les intimés produisent également les procès-verbaux de réunion en novembre 2005 et mars 2007 de la Commission nationale de pharmacovigilance ; qu'il y est indiqué que quelques cas d'HTAP ont été rapportés, que toutefois le nombre de cas d'HTAP idiopathique ne constitue pas un signal significatif de toxicité du Médiator dans la classe organe cardio-vasculaire ; qu'ils précisent en outre qu'en 2000, a été publiée dans un journal scientifique américain une étude du docteur Richard A... et d'autres démontrant le mécanisme d'implication de la fenfluramine et de son principal métabolite la norfenfluramine dans l'apparition de valvulopathies cardiaques, que la cardiotoxicité a été confirmée par une étude sur des animaux de laboratoire en 2007 et 2009 puis par les études effectuées l'année 2009 par des médecins du CHU de Brest et par le producteur, puis par la CNAMTS ; qu'ils ajoutent que le Médiator a été retiré en Suisse en 1998, en Espagne en 2003 et en Italie en 2005 en raison de la possible implication de la norfenfluramine dans les valvulopathies aortiques ; que la société Les laboratoires Servier rétorque que le rapport de l'IGAS, dont l'auteur a été mis en cause à raison de la situation de conflits d'intérêts dans laquelle il se serait trouvé contient des inexactitudes et n'est pas fiable, réplique qu'elle n'a jamais dissimulé la présence de norfenfluramine dans le Mediator, que l'étude IPPHS de 1995 n'évoque pas le rôle de la norfenfluramine ni n'explicite de manière précise le mécanisme de survenue d'une HTAP, que l'étude de Richard A... en 2000 n'évoque qu'une hypothèse du rôle causal de la norfenfluramine dans la survenue de valvulopathies, qu'avant 2009, seules deux publications, en 2003 et 2006, se sont interrogées sur le rôle causal éventuel du Mediator dans l'apparition de valvulopathies mais qu'elles ne concernaient chacune qu'un seul patient, ce qui ne constituait pas un signal significatif ; que la société observe que si le benfluorex (Mediator) et la desfenfluramine (Isoméride) présentent une parenté chimique et ont un métabolite commun, leurs effets sont différents, comme en justifient des études de professeurs et de pharmacologues ; qu'elle soutient que le retrait du Mediator est intervenu en Suisse en raison de l'absence de demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché, en Italie et en Espagne pour des raisons économiques et commerciales ; qu'il n'appartient pas à la cour, statuant en matière de référé, de dire si la société Les laboratoires Servier rapporte la preuve de la cause d'exonération de la responsabilité de plein droit dont elle se prévaut ; qu'il y a lieu de constater que, par les pièces qu'elle produit au soutien de son moyen, il existe une contestation sérieuse à son obligation de réparation ;
1°) ALORS QUE l'invocation devant le juge des référés d'une cause d'exonération de responsabilité constitue une contestation sérieuse qu'il entre dans son office d'examiner ; qu'il lui appartient alors d'analyser les allégations des parties et de confronter les pièces invoquées à leur soutien afin de dire si les circonstances ainsi exposées sont suffisamment étayées en fait pour faire naître une contestation sérieuse quant au bien fondé de la demande de référé ; qu'en se bornant à relever, après avoir relevé les arguments respectifs des parties, que les pièces produites par la société Les Laboratoires Servier font naître une contestation sérieuse, sans examiner si, comme le faisaient valoir les consorts X..., la présence dans le médicament litigieux d'un métabolite dont le caractère toxique était avéré depuis le milieu des années 90, ne conduisait pas à s'interroger sur sa nocivité dès cette époque, si ce ne sont pas ces signes, ajoutés à des alertes relevées en France et dans certains pays européens sur les effets indésirables du Médiator, qui n'avaient pas conduit à son retrait dans des pays étrangers à la fin des années 90 et au début des années 2000 et pourquoi la demande de l'Afssaps faite en 1999 au laboratoire de procéder à une réévaluation des risques cardiovasculaires de ce médicament n'était intervenue que dix ans plus tard, toutes circonstances faisant obstacle à ce que le laboratoire puisse prétendre que le défaut n'était pas décelable en l'état des connaissances techniques et scientifiques au moment de la mise sur le marché du produit litigieux et à faire naître une contestation sérieuse de leur obligation d'indemnisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1245-10, 4°, nouveau du code civil, ensemble l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'invocation devant le juge des référés d'une cause d'exonération de responsabilité constitue une contestation sérieuse qu'il entre dans son office d'examiner ; qu'il doit tenir compte des conditions restrictives dans lesquelles la cause d'exonération peut être accueillie ; que le producteur ne peut utilement invoquer la cause d'exonération pour risque de développement, à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ; qu'il y a lieu de prendre en considération l'état objectif des connaissances scientifiques et techniques dont le producteur est présumé être informé ; que selon les énonciations de l'arrêt attaqué, le laboratoire faisait valoir qu'il n'existait, avant novembre 2009, que des cas isolés d'atteinte par HTAP ou valvulopathie susceptibles d'être imputables à la prise de benfluorex, ce qui démontrerait selon lui que l'état des connaissances scientifiques n'aurait pas permis de déceler, avant cette date, le caractère défectueux de son médicament ; que, eu égard à l'appréciation restrictive des conditions du risque de développement, ces circonstances invoquées en défense à la demande de provision, dont il résultait l'existence de signalements de pathologies associées à la prise du Médiator dès 1999 et de questionnements dans la communauté scientifique, à les supposer établies, excluaient que puissent être reconnu un risque de développement et écartée la demande de provision en raison d'une contestation sérieuse de l'obligation de réparer le dommage causé par la défectuosité du Médiator ; qu'en considérant néanmoins qu'il existait une contestation sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 1245-10, 4°, nouveau du code civil, ensemble l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile.