SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 avril 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme Z..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10441 F
Pourvoi n° W 16-19.748
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par Mme Rosaria X..., épouse Y..., domiciliée [...] ,
contre l'arrêt rendu le 11 avril 2016 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Banctec Business Outsourcing, dont le siège est [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 mars 2018, où étaient présentes : Mme Z..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme A... , conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller, Mme Becker, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme Y..., de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Banctec Business Outsourcing ;
Sur le rapport de Mme A... , conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le changement de lieu de travail de la salariée devait s'analyser en un simple changement des conditions de travail, d'avoir dit que le licenciement de la salariée reposait sur une faute grave, et de l'avoir en conséquence déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail et de l'article 700 du Code de procédure civile.
AUX MOTIFS QUE Sur la modification du contrat de travail : L'article 1134 du Code civil dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Selon les dispositions de l'article L. 1221-1 du Code du travail « Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter ». Il résulte de l'application de ce texte que l'employeur ne peut modifier le contrat de travail de son salarié qu'avec l'accord de ce dernier. Toutefois, s'agissant du lieu de travail, à défaut de clause précise indiquant que le salarié exécutera son travail exclusivement dans tel lieu, l'employeur peut l'affecter dans un autre lieu situé dans le même secteur géographique sans qu'il s'agisse d'une modification du contrat de travail nécessitant l'accord du salarié, étant précisé que le même secteur géographique est un périmètre objectivement identifiable pouvant correspondre à la région, au bassin d'emploi ou à la zone d'emploi. En outre, en cas de transfert à l'intérieur d'un même secteur géographique, aucune disposition légale n'impose à l'employeur de prendre en compte la localisation des résidences personnelles des salariés. La Société BBO soutient qu'en transférant de Vaux Le Pénil à Noisiel le lieu d'exercice de l'activité professionnelle de Mme Y..., elle n'a pas modifié son contrat de travail mais qu'il s'agissait d'un aménagement de ses conditions de travail puisque le site de Noisiel est situé à une distance de 42 kilomètres de l'ancien site. Elle précise que ce transfert répondait non seulement à la logique de regrouper deux sites situés à proximité, mais que les locaux de Melun n'étaient plus adaptés aux besoins et exigeaient des travaux de réhabilitation liés à l'amiante, ajoutant qu'elle avait informé les salariés lors de deux réunions et, pour tenir compte des situations individuelles de chacun d'entre eux, avait prévu quatre mesures d'aides alternatives pour leur permettre de choisir la plus adaptée et que seules deux salariées sur les vingt concernées ont refusé d'aller sur le site de Noisiel. S'agissant de Mme Y..., la société BBO. déclare lui avoir aussi proposé différents plannings horaires, hebdomadaires ou mensuels pour limiter ses déplacements alors que son temps de trajet n'augmentait que de vingt minutes. Au soutien de cette absence de modification du contrat de travail, la Société BBO. verse aux débats le contrat de travail initial signé entre Mme Y... et la société A.I.M. en 1988, le jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 19 août 2013, ayant prononcé à son profit la cession de l'activité « moyens de paiement » de la société SAFIG, les courriers qu'elles ont échangés concernant le transfert des activités de Vaux-Le-Pénil à Noisiel. Pour considérer que le transfert du lieu de travail constitue une modification de son contrat de travail, Mme Y... expose que son contrat de travail ne contient pas de clause de mobilité, qu'il fait référence à Vaux Le Pénil comme lieu d'exercice de l'activité et qu'elle demeure à [...] , distant de 25,5 kilomètres de Vaux Le Pénil alors que le site de Noisiel est distant de 67 kilomètres. Elle précise que la société CANON France s'est installée dans les lieux délaissés par la société BBO. ce qui dément l'existence d'amiante dans les locaux, ce qu'elle démontre en versant aux débats le rapport de diagnostic amiante établi par le Cabinet A. établi le 26 octobre 2009 Au soutien de son argumentation, elle verse aux débats les deux trajets issus du logiciel Via Michelin ainsi que le contrat de travail à durée déterminée qu'elle a conclu avec la société CANON France le 23 octobre 2014 avec effet à compter du 27 octobre 2014. Les pièces versées aux débats démontrent que le contrat de travail de Mme Y..., signé en 1988, mentionne que le lieu de travail est situé [...], sans que les parties aient indiqué dans une clause précise et expresse que le travail s'exécuterait exclusivement dans ce lieu. Le lieu de travail est ainsi indiqué à titre indicatif. La société BBO démontre que les villes de Vaux Le Pénil et Noisiel sont distantes de 42 kilomètres et il est attesté qu'elle a mis en place quatre mesures d'aides alternatives pour faciliter le transfert des salariés, à savoir : - soit la prise en charge des frais de transport collectifs à hauteur de 60 %, - soit l'attribution d'un véhicule de société partagé avec une carte d'essence, - soit la prise en charge des frais de déménagement à hauteur de 1.000 euros, - soit l'attribution d'une carte d'essence permettant l'approvisionnement à hauteur de 50 litres par mois. L'employeur démontre que le trajet de Mme Y... pour se rendre à Vaux Le Pénil était de 40 minutes avant décembre 2013 et de 1 heure 05 à partir de cette date puisqu'elle ne disposait plus de véhicule et utilisait les transports en commun, et que le changement de lieu de travail se traduisait par un trajet en voiture de 1 heure 03 et un trajet en transport en commun d'une durée de 1 heure 44. Mme Y... invoque un doublement de son temps de trajet sans démontrer comment elle parvient à une telle durée en contradiction avec celle attestée par l'employeur et considère que les deux villes ne sont pas situées dans le même secteur géographique, sans toutefois verser des éléments probants alors que les deux sites sont situés non seulement dans la même région, mais aussi dans le même département. C'est dans l'exercice de son pouvoir de direction que la société BBO a décidé le transfert de ce site à Noisiel, ville qui est située dans le même secteur géographique que Vaux Le Pénil. En agissant ainsi, l'employeur n'a pas procédé pas à une modification du contrat de travail mais simplement des conditions de travail. Il n'avait donc pas à faire signer un avenant aux salariés concernés. En outre, il est justifié que la société a pris en compte la situation personnelles de ses salariées, en mettant en place des modalités d'aide, allant au-delà de ce que prescrit la loi, laquelle, en application des dispositions de l'article L. 1221-1 du Code du travail précité, n'impose pas à l'employeur de prendre en compte la localisation de la résidence personnelle de ses salariés. Par ailleurs, si selon les termes de l'article L. 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi, aucun comportement déloyal ne peut être reproché à la société BBO. En effet, bien qu'elle se soit engagée à conserver le site de Melun lors du rachat des activités 'Moyens de paiement' de la société SAFIG, la société BBO n'a fait qu'user de son pouvoir de direction, compte-tenu de la vétusté des locaux et de la présence d'amiante et dans un souci légitime d'efficacité économique, en décidant de regrouper les sites de Vaux Le pénil et Melun situé le même secteur géographique. Il n'est pas démontré que la modification des conditions de travail est contraire à l'intérêt de l'entreprise. Dès lors, l'argument d'exécution déloyale du contrat de travail soulevé par Mme Y... ne peut être retenu pour justifier son refus de se rendre sur le nouveau site.
ET AUX MOTIFS QUE Sur le licenciement pour faute grave : Selon les termes de l'article L. 1232-1 du Code du travail, tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse. La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit la prouver et les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables, étant précisé que la faute grave est non seulement privative de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de congés payés afférents mais également privative de l'indemnité de licenciement. En application de l'article L. 1232-6 du Code du travail, la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige. En l'espèce, la société BBO. verse aux débats la lettre de licenciement pour faute grave notifiée à Mme Y... le 30 mai 2014, qui lui fait grief de ne pas s'être présentée sur son lieu de travail de NOISIEL à compter du 28 avril 2014 dans les termes suivants. « Lors de l'entretien' vous nous avez indiqué que vous étiez bien présente sur l'ancien site de B.B.O. Melun ce du 28 avril 2014, malgré la fermeture de nos locaux, comme l'atteste votre pointage effectué sur la badgeuse de la société CANON ! Après enquête et vérification le pointage était bien toléré sur la badgeuse de la société CANON. En conséquence, nous vous payerons cette journée de présence non travaillée mais pointée. Quoi qu'il en soit, votre comportement est doublement inqualifiable : il est, d'une part, constitutif d'un abandon de poste depuis plus d'un mois. D'autre part, il nuit gravement à la crédibilité de la direction de Banctec car il est de nature à faire croire au personnel de Melun que ce changement ne s'imposait pas à lui, contrairement à la jurisprudence et à ce que nous disons depuis novembre 2013. Par ailleurs, vous nous avez bien informée, lors de l'entretien que cette position de ne pas suivre vos collègues sur Noisiel était une décision personnelle motivée par un projet qui l'était tout autant. Vous ne pouvez pas tenter de nous imposer de gérer votre dossier sur le terrain de la modification d'un élément essentiel de votre contrat, vous opposer au déroulement normal de votre contrat de travail sur votre nouveau lieu de travail situé à Noisiel, les conditions d'une telle modification n'étant pas réunies, ce dont vous avez en outre été clairement informée à plusieurs reprises, sans prise en compte de votre part de cette situation. En conséquence, nous sommes au regret de devoir vous notifier un licenciement pour faute grave. Il ressort des pièces versées aux débats que Mme Y... a refusé de regagner le site de Noisiel le 28 avril 2014, date à laquelle elle s'est rendue dans les anciens locaux de la société et occupés par la Société CANON et que, malgré les mises en demeure de l'employeur, elle a persisté dans son refus de regagner le nouveau site. Le refus de Mme Y... de se présenter sur le site de Noisiel, constitue, compte tenu de ce qui précède, un abandon de poste, ce qui justifie le licenciement pour faute grave que lui a notifié la société BBO. Mme Y... est donc déboutée de l'ensemble de ses demandes. Le jugement déféré est confirmé en toutes ces dispositions. Mme Y... est condamnée aux dépens. Pour faire valoir ses droits, la société B.B.O. a dû engager des frais non compris dans les dépens. Au vu des éléments de l'instance, Mme Y... est condamnée à lui payer la somme de 2.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Mme Y... est déboutée de ce chef de demande.
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE Sur la faute grave et sur le licenciement pour faute réelle et sérieuse : il résulte des pièces versées au dossier et des explications fournies à l'audience que Madame Y... été licenciée pour faute grave. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail. L'article L. 1235-1 du code du travail dispose : "En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié." En l'espèce, en l'absence de clause de mobilité, il convient de vérifier le secteur géographique pour constater si la modification du lieu de travail constitue une modification du contrat de travail et si elle a pour effet d'affecter la salariée dans un autre secteur géographique. Il convient d'écarter le lieu d'habitation de la salariée qui ne rentre pas en compte. Le lieu de travail soit une simple indication dans le contrat de travail et qu'aucune mention expresse n'existe. Le site de VAUX LE PENIL comportait de l'amiante et dans un état de délabrement, que l'employeur doit veiller à la santé du travailleur et leurs conditions de travail. En l'espèce le secteur géographique est distant de 42 km, que le temps supplémentaire non contesté par la salariée est de 26 minutes en voiture et 39 minutes en transport en commun. La salariée n'argue aucune difficulté personnelle ou familiale, hormis qu'elle n'a pas de voiture, mais sans justificatif. Néanmoins, l'entreprise a, sans aucune obligation, mis des mesures d'accompagnement en place, entre autre une navette pour amener les salariés à leur nouveau lieu de travail, pour une durée indéterminée, comme en atteste les pièces au dossier. Le salarié s'est obstiné dans son refus de mutation, en considérant que celle-ci est une modification de son contrat de travail. Elle a réitéré ses refus, elle ne s'est pas présentée à son nouveau lieu de travail. L'entreprise a été contrainte de la licencier pour faute grave, pour insubordination. Le refus d'obtempérer au pouvoir de direction de l'employeur est une exécution du contrat de travail de mauvaise foi. En conséquence le bureau de jugement dit que le licenciement pour faute grave est justifié.
ALORS QUE, si un changement du lieu de travail ne constitue pas nécessairement une modification du contrat de travail, il en va autrement lorsque le changement envisagé augmente de manière considérable le temps de transport du salarié et est ainsi de nature à mettre en péril sa vie personnelle ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir qu'elle avait refusé de se rendre sur son nouveau lieu de travail au motif que ce lieu, situé à plus de 42 km de son lieu de travail initial, lui imposait un doublement de son temps de transport, et avait nécessairement un impact sur sa vie personnelle, justement construite autour de son lieu de travail initial ; que pour débouter la salariée, les juges du fond ont considéré que le nouveau lieu de travail était situé dans la même région, et que la salariée ne démontrait pas le doublement de son temps de transport ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté expressément que le temps de trajet de 1h 05 en transports en communs, mode de transport utilisé par la salariée qui ne disposait pas d'un véhicule personnel, avait été porté à 1h 44, ce dont résultait un allongement très significatif, sans rechercher si cette allongement du temps de travail n'était pas à lui seul de nature à mettre en péril la vie personnelle de la salariée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du Code du travail.
ALORS au demeurant QU'en se contentant d'affirmer que l'employeur avait pris en considération la situation personnelle de ses salariés en mettant en place des modalités d'aide, sans préciser si les aides mises en place suffisaient à pallier les inconvénients de l'augmentation considérable du temps de trajet, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du Code du travail.
ALORS ENSUITE QUE, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir, au moyen d'itinéraire Mappy produits au procès, que son temps de transport avait été doublé du fait du changement de lieu de travail ; que pour débouter la salariée, les juges du fond ont considéré que le nouveau lieu de travail était situé dans la même région, que l'employeur avait pris en considération la situation personnelle de ses salariés en mettant en place des modalités d'aide, et que la salariée ne démontrait pas le doublement de son temps de transport ; que pourtant, les pièces produites par la salariée laissaient expressément apparaitre un doublement du temps de transport ; qu'en considérant que la salariée ne démontrait pas le doublement de son temps de transport, sans examiner même succinctement les itinéraires produits par la salariée exposante, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
ET ALORS en toute hypothèse et subsidiairement QUE, le refus par un salarié d'un changement de ses conditions de travail, s'il peut rendre son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave ; qu'en l'espèce, pour dire que le licenciement de la salariée constituait une faute grave, la Cour d'appel a considéré que le refus de Mme Y... de se présenter sur le site de Noisiel, constituait un abandon de poste qui justifiait à lui seul son licenciement pour faute grave ; qu'en statuant ainsi, sans préciser si, compte tenu de l'ancienneté de la salariée et de la satisfaction qu'elle avait donné tout au long de ses années de travail, le licenciement pour faute grave n'était pas constitué, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103, anciennement 1134 du Code civil.