LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. Y... a été engagé par la société Idverde, qui vient aux droits de la société ISS EV Marseille ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de rappels de salaire et de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;
Attendu que pour condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts au salarié, l'arrêt retient que le non-versement par l'employeur des sommes qui lui étaient dues à titre d'heures supplémentaires sur plusieurs années a causé un préjudice ;
Qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence pour le salarié d'un préjudice indépendant du retard apporté au paiement par l'employeur et causé par sa mauvaise foi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Idverde à payer au salarié des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour non-versement des salaires, l'arrêt rendu le 18 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Idverde
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par infirmation du jugement entrepris, condamné la société Idverde à verser à M. Y... diverses sommes à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires, congés payés afférents, dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour non-versement de ces salaires, outre une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
AUX MOTIFS QUE « le salarié qui est rémunéré sur la base de 35 heures hebdomadaires, soutient que l'organisation du travail mise en place par l'employeur le contraint, comme tous les autres salariés, eu égard aux impératifs de préparation et de chargement du matériel, de prise de connaissance des consignes ... , à passer au dépôt de l'entreprise chaque matin, avant de se rendre sur le chantier où il est affecté, et en conséquence à y revenir en fin de journée, notamment pour déposer le matériel, voire décharger remblais et gravats, passer aux vestiaires, se doucher, sans que ce temps de présence et de trajet soit rémunéré en tant que travail effectif. Il réclame le paiement des heures supplémentaires ainsi effectuées pour la période du 1er janvier 2007 au 30 septembre 2014.
La société Idverde réplique que les salariés n'ont aucune obligation de passer par le dépôt et peuvent à leur convenance se rendre directement sur les chantiers par leurs propres moyens ou avec les moyens de transport mis à leur disposition à partir du dépôt et que, dans ces conditions, le temps de trajet ne peut être considéré comme du temps de travail, précisant que les salariés perçoivent à ce titre des indemnités de trajet.
En ce sens, elle se réfère à la convention collective applicable (article 27) et à l'accord d'entreprise sur l'aménagement du temps de travail en date du 1er juin 2009 qui dispose en son article 6.1 que :
« Le personnel commence son travail sur le chantier auquel il aura été affecté.
Son travail se terminera en fin de journée de la même façon sur le chantier auquel il aura été affecté.
Tous les déplacements en cours de journée sont considérés comme du temps de travail effectif et rémunérés comme tels.
La société ISS espaces verts peut mettre des moyens de transport à disposition, au départ de l'agence pour se rendre sur les chantiers et en revenir, pour le personnel qui le souhaite. Dans un souci d'organisation des transports, chaque salarié, sous réserve d'en informer sa hiérarchie 8 jours à l'avance, peut se rendre sur les chantiers par ses propres moyens ».
Aux termes des articles L 3121-1 du code du travail et L. 713-5 I du code rural, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Dès lors que le salarié est contraint de passer par l'entreprise avant de se rendre sur le chantier et d'en revenir, le temps de trajet entre le dépôt et le lieu d'exécution du travail constitue un temps de travail effectif.
Pour établir l'obligation qui lui est faite de passer au dépôt et d'y revenir, M. Mohamed Y... produit plusieurs pièces dont:
-le PV de comité d'entreprise du 23 mai 2012 qui indique en "5 questions diverses" : "les décisions pour savoir si les salariés sont en intempéries ou pas se prennent le matin à l'embauche à 7 heures avec la hiérarchie afin de pouvoir dispatcher les équipes au besoin",
- le compte-rendu délégués du personnel du 5 juin 2012 qui précise que "quand les conducteurs de travaux arrivent le matin, il faut qu'ils ... distribuent le matériel et les EPI (équipements de protection individuelle) en premier. Le soir on note les EPI qu'il faut et le lendemain il leur sera donné.",
- le compte-rendu du Chsct en date du 14 juin 2012 dans lequel le représentant de l'employeur indique que les salariés ont "des vestiaires et des douches au dépôt pour [se] laver et [se] changer avant de rentrer" chez eux,
- le compte-rendu du Chsct en date du 26 septembre 2012 dans lequel le directeur d'agence explique que "la distribution d'EPI + savons se fera entre 6h45 et 7h00 le matin. Le matin il y aura une sonnerie à 7h 00 et 7h 05 pour le départ des salariés",
- une note de service du 10 mars 2014 qui indique que des "causerie sécurité" ont lieu tous les deuxièmes vendredis de chaque mois "le matin à l'embauche",
- le compte-rendu de causerie sécurité du 5 mars 2015 qui relève que "les salariés sont dans l'obligation de repasser au dépôt pour se doucher et se changer ... "
- le tableau de remise des EPI effectuée par les conducteurs de travaux qui permet de constater que ces équipements sont remis au dépôt avec émargement des salariés.
- le règlement intérieur qui prévoit que "des douches sont mises à la disposition du personnel, ces douches seront utilisées au retour du chantier en priorité pour le personnel manipulant des produits de traitement et effectuant des travaux salissants",
- les plannings prévisionnels hebdomadaires des travaux qui prévoient l'affectation des salariés par véhicule de l'entreprise,
- la réponse de la société Idverde à une lettre d'observations de la direction du travail en date du 19 novembre 2015 rédigée dans les termes suivants : « Sur le point des vestiaires, le bungalow installé sur le chantier n'est en rien destiné à être utilisé comme vestiaire puisque l'embauche de nos collaborateurs se fait au départ des locaux de notre agence de Marseille. Locaux où sont présents leurs vestiaires et installations sanitaires complètes... ».
M. Mohamed Y... verse également aux débats deux courriers du contrôleur du travail en date des 13 janvier et 28 septembre 2009 adressés à l'employeur qui mentionnent que "dans votre établissement, sauf cas particuliers, les salariés avaient pour obligation de se rendre au siège de l'établissement de charger le véhicule de l'entreprise, puis de se rendre sur le chantier, et de faire l'inverse au retour" et qui rappellent que conformément à l'article L 713-5 et suivant du code rural "est considéré comme tant de travail effectif le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. Il en est ainsi ... notamment du temps nécessaire au chargement et au déchargement du matériel et à l'entretien dudit matériel."
Ces courriers n'ont pas donné lieu à un constat d'infraction, mais n'en restent pas moins l'avis d'un agent assermenté qui s'est rendu sur place et a pu appréhender le mode de fonctionnement de l'entreprise.
Ces éléments qui, pour certains, sont certes postérieurs au départ de M. Mohamed Y... de l'entreprise, mais ne sont nullement contredits par l'intimée, établissent que l'organisation du travail qui avait été mise en place par la société ISS Espaces verts, aux droits de laquelle vient la société Idverde, contraignait les salariés affectés sur les chantiers à se rendre au dépôt de l'entreprise lors de l'embauche et à en revenir en fin de journée de travail et qu'en conséquence, ces temps de trajet constituaient un temps de travail effectif qui doit être rémunéré comme tel et non par le versement d'indemnités de transport.
En conséquence, après déduction des indemnités de déplacements perçues telles que résultant du tableau dressé par l'employeur, non remis en cause, mais après réintégration des primes de panier qui doivent rester acquises au salarié, la somme due à M. Y... à titre de rappel de salaire pour la période considérée ressort à la somme de 2580,92 euros net, outre celle de 258 euros au titre des congés payés y afférents, sommes qui seront augmentées des intérêt au taux légal à compter du 25 février 2011, date de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation
Sur la demande de dommages et intérêts pour non-versement des salaires Le non-versement par l'employeur des sommes qui lui étaient dues à titre d'heures supplémentaires sur plusieurs années a causé à M. Mohamed Y... un préjudice qui sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts »
1/ ALORS QUE le temps qui s'écoule entre le passage au siège de l'entreprise et l'arrivée sur le lieu de travail ne constitue un temps de travail effectif que si ce passage est obligatoire pour le salarié ; que l'obligation se caractérise par sa nature contraignante; que la société Idverde faisait valoir qu'un choix avait été offert aux salariés entre se rendre sur leur lieu de travail par leurs propres moyens et s'y rendre en bénéficiant des véhicules de l'entreprise, ce qui impliquait de passer par son siège, ainsi que cela résultait des accords d'entreprise et documents d'information des salariés qu'elle versait aux débats (conclusions d'appel de l'exposante reprises oralement à l'audience p 7 et s.); qu'en se bornant à constater au vu des pièces versées aux débats par M. Y... que les salariés bénéficiaient au dépôt de l'entreprise d'infrastructures telles que vestiaires et douches, qu'il leur était distribué le matériel et les EPI et donné des instructions au dépôt, et qu'ils utilisaient les véhicules de l'entreprise pour se rendre sur les chantiers, pour en déduire l'existence d'une organisation contraignant les salariés à passer par le dépôt, sans cependant rechercher, comme elle y était invitée, si cette organisation mise en place ne provenait pas du choix fait en amont par les salariés eux-mêmes d'une telle organisation pour bénéficier des moyens de transport de l'entreprise, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 3121-1 du Code du travail et L 713-5 du Code rural ;
2/ ALORS QUE la société Idverde contestait subsidiairement les calculs effectués par M. Y... en faisant valoir qu'ils reposaient sur une estimation de son temps de trajet ne correspondant pas à la réalité, appliquée à 20 jours par mois sur 12 mois sans déduction des jours fériés, de congés, de repos, et d'absences diverses au cours desquels aucun trajet n'avait été effectué (conclusions d'appel de l'exposante reprises oralement à l'audience p 10-11) ; qu'en condamnant la société Idverde à verser à chaque salarié une somme à titre de rappel de salaire qu'elle a elle-même déterminée, sans répondre à ce moyen péremptoire, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par infirmation du jugement entrepris, condamné la société Idverde à verser à M. Y... la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour non-versement de ces salaires, outre une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
AUX MOTIFS QUE « Le non-versement par l'employeur des sommes qui lui étaient dues à titre d'heures supplémentaires sur plusieurs années a causé à M. Y... un préjudice qui sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts »
ALORS QUE les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, lesquels ne courent que du jour de la sommation de payer ; que le juge ne peut allouer au créancier des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser un préjudice indépendant du retard de paiement ainsi que la mauvaise foi de l'employeur ; qu'en retenant pour allouer à M. Y... des dommages et intérêts pour non-versement de sommes dues à titre d'heures supplémentaires que ce non-versement pendant plusieurs années lui avait causé un préjudice, sans cependant caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil devenu l'article 1231-6 du code civil.