SOC.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 mars 2018
Rejet non spécialement motivé
M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10409 F
Pourvoi n° M 16-22.246
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Multypack, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 30 juin 2016 par la cour d'appel de [...] chambre), dans le litige l'opposant à M. Bernard Y..., domicilié [...] ,
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 28 février 2018, où étaient présents : M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, M. Z..., conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller, M. A..., avocat général, Mme Becker, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Multypack, de la SCP Capron, avocat de M. Y... ;
Sur le rapport de M. Z..., conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Multypack aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Multypack et condamne celle-ci à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Multypack.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Multypack à verser à M. Y... les sommes de 5 000 € au titre de la réparation du préjudice moral résultant du harcèlement et de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QU'en droit, il sera rappelé qu'en application des articles L.1152-1, L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'il appartient au salarié d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que la décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nulle de plein droit ; qu'en l'espèce, M. Y... établit l'existence d'actes susceptibles de relever de la qualification de harcèlement moral ; que s'agissant en premier lieu de la rétrogradation des fonctions, M. Y... produit de nombreux messages électroniques échangés avec les clients courant 2011, 2012 et 2013, sur lesquels il se présente comme le directeur commercial de la société Multypack ; que le gérant de la société, M. B..., est le plus souvent destinataire de ces messages, en copie, de sorte que ce dernier ne pouvait pas ignorer l'usage de cette qualification professionnelle ; que des cartes de visite ont été également établies au bénéfice de M. Y... avec la qualification de directeur commercial ; que la société Multypack ne conteste pas en outre que M. Y... figure avec cette qualification sur les cahiers des charges des entreprises clientes pour le contact commercial, ni l'authenticité d'un mail de M. B... en date du 18 décembre 2013 qui affirme qu'il a laissé M. Y... « se servir de ce titre pour des raisons d'ego
sans avoir rien à redire jusqu'à ce jour » ; que M. B... poursuit dans ce message en indiquant qu'il a demandé de supprimer « le mot directeur commercial de la base des mails
et d'utiliser des cartes de visite sans nom » ; que dans une lettre du 15 février 2014, M. B... évoque une réunion du 20 décembre 2013 au cours de laquelle il a demandé aux secrétaires de ne plus faire apparaître M. Y... comme directeur commercial, ce que celui-ci a considéré comme « une dégradation sur la place publique » ; que M. B... évoque « le pseudo titre de directeur commercial », considérant que M. Y... n'exerçait pas des fonctions de ce niveau, pouvant seulement prétendre à un titre de commercial ; que toutefois dans sa lettre du 7 avril 2014, M. B... indique « si vous souhaitez conserver ce titre que vous êtes octroyé (sic), j'accepte par souci d'apaisement de vous le laisser » ; que dans ce même courrier, M. B... pose comme conditions le maintien de la rémunération et la non intervention de M. Y... dans les relations avec les fournisseurs, l'exigence d'un rapport précis des incidents et le respect des collègues pour cesser de les interpeller directement ; qu'à compter d'avril 2014, les bulletins de paie de M. Y... portent la mention de directeur commercial ; qu'au vu de ces pièces, il est incontestable que le gérant de la société Multypack a entretenu une situation confuse sur la position de M. Y... dans l'entreprise, dont il a accepté qu'il se présente comme le directeur commercial pendant plusieurs années, et en tous cas depuis 2011, et ce non pas seulement dans l'intérêt du salarié, mais également dans l'intérêt de l'entreprise, pour donner l'image d'une structure cohérente, alors qu'il est soutenu par ailleurs, qu'à compter de 2010, M. B... gravement malade, a été contraint de subir des hospitalisations, qui l'ont mis en retrait de la direction de la société ; que la société Multypack considère que M. Y... a profité de la maladie de M. B... pour prendre sa place et tenir des propos négatifs à son encontre ; que toutefois, cette prétention est en contradiction avec la situation de fait qui s'est déroulée entre 2010 et 2013, la société ayant continué son activité malgré la maladie de son gérant, sans aucun doute grâce à l'action commerciale de M. Y... dont les qualités professionnelles ont été reconnues dans le message du gérant du 18 décembre 2013 ; que les prétendus propos dénigrants tenus par M. Y..., s'ils étaient avérés, auraient conduit le gérant à engager une procédure de licenciement sur la base de ces griefs, ce qui n'a pas été le cas, ces griefs n'étant apparus que dans le cadre du contentieux, postérieur au licenciement intervenu pour cause d'inaptitude ; que M. Y... a donc subi une rétrogradation qui l'a conduit à saisir l'inspection du travail, laquelle a adressé à la société Multypack un courrier du 28 janvier 2014 pour que figurent les niveaux de qualification des salariés sur les bulletins de paie, cette intervention étant de nature à expliquer la régularisation opérée le 7 avril 2014 au bénéfice de M. Y... ; que peu importe que cet acte de rétrogradation ne constitue pas un agissement volontaire de dénigrement, le salarié démontrant qu'il a été de nature à avoir un effet sur sa santé, dès lors qu'il sera arrêté pour maladie dès le 7 janvier 2014, le médecin ayant relevé une « dépression pour harcèlement professionnel » ; que par ailleurs, M. Y... démontre qu'il a été victime d'actes antérieurs de dénigrement pour lesquels il a déposé des mains courantes, auprès des services de police, le 20 mars 2012, déclarant que M. B... l'avait menacé de lui « mettre un coup de hache
un coup de kalachnicov
de l'égorger (lui) et sa femme » ; que le 10 juin 2013, M. Y... a déposé une main courante aux termes de laquelle M. B... aurait menacé de le frapper, « l'a jeté dehors en lui disant de dégager de l'entreprise
l'a insulté en le traitant d'alcoolique
l'a menacé de licenciement et de le crever » ; que le 12 juin 2013, une nouvelle main courante était déposée pour se plaindre de messages laissés par le gérant sur son portable personnel, le menaçant de signaler sa disparition à la police car il n'était pas venu au bureau, alors qu'il avait un rendez-vous commercial ; que si l'employeur conteste formellement ces faits, il sera relevé qu'aucune procédure n'a été engagée pour en contester la véracité et qu'en tous cas, ces éléments concordent avec le mode de management autoritaire de M. B... qui, outre avoir retiré la qualification de directeur commercial à M. Y... fin décembre 2013, sans envisager les incidences pour le salarié, lui a notifié trois avertissements en réponse aux observations que celui-ci présentait pour se plaindre de harcèlement, les 15 février 2014, 23 mai 2014 et 24 mai 2014, sanction disciplinaire prononcée au surplus sans la tenue d'un entretien préalable ; que ces actes sont constitutifs d'agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour effet une dégradation des conditions de travail de M. Y..., une atteinte à ses droits, à sa dignité et une altération de sa santé mentale ; que la société Multypack ne démontre pas que ces agissements sont étrangers à des faits de harcèlement ; que les attestations des salariés de la société, non circonstanciés dans leur contenu, produites par la société Multypack sont peu convaincantes en ce que les salariés sont en état de craindre pour leur situation professionnelle ; qu'elles sont révélatrices d'un climat de tensions sociales au sein de la société, avérées par le rapport Sistel du 10 décembre 2014 établi suite à la demande de l'inspection du travail, rapport qui confirme l'existence d'éléments négatifs sur le fonctionnement et l'organisation de l'entreprise, en ce que les missions et les rôles de chacun restent opaques, avec des insuffisances dans la tenue de réunions et la communication au sein de la société ; que la société Multypack soutient également que les certificats médicaux ne permettent pas d'établir avec certitude l'origine professionnelle des arrêts de travail ; que s'agissant d'un contentieux prud'homal, la cour relève l'existence d'un lien entre les actes dont se plaint M. Y... et notamment la rétrogradation intervenue fin 2013, et les arrêts de travail prescrits à compter de janvier 2014, qui visent tous un stress professionnel, avec prescription d'anti-dépresseurs, une hospitalisation fin mars 2014, et une orientation aux urgences psychiatriques par le médecin du travail le 5 mai 2014 ; qu'en outre, le retrait de la plainte pénale invoquée par la société Multypack, comme la clôture de l'enquête de gendarmerie sur la plainte, ne sont pas de nature à faire obstacle aux prétentions de M. Y..., dans la mesure où le retrait de la plainte déposée le 21 mai 2014 est intervenu le 26 mars 2015, M. Y... pouvant légitimement considérer que seule son action prud'homale devait être poursuivie ; que de la même manière, la cour relève que la déléguée du personnel, consultée sur les possibilités de reclassement, n'a pas émis d'avis sur l'existence du harcèlement moral ; qu'en définitive, les faits de harcèlement moral sont avérés ;
ALORS, D'UNE PART, QU'il ne saurait y avoir rétrogradation que s'il est établi que le salarié a réellement exercé les fonctions qui lui auraient été retirées ; qu'en concluant à l'existence d'une rétrogradation de M. Y... constitutive d'un agissement caractéristique d'un harcèlement moral, résultant de ce que, en décembre 2013, M. B... aurait fait supprimer de ses courriels et cartes de visite la mention de ce qu'il aurait été directeur commercial de la société, sans jamais avoir constaté que M. Y... aurait réellement exercé ces fonctions au sein de l'entreprise, la cour d'appel a d'ores et déjà privé sa décision de base légale au regard des articles L.1221-1, L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'il ne saurait y avoir rétrogradation que s'il est établi que la qualification dont le salarié s'est trouvé privé, sans exercer les fonctions correspondantes, résulterait d'une manifestation claire et non équivoque de son employeur de le surclasser ; qu'en concluant à l'existence d'une rétrogradation de M. Y... constitutive d'un agissement caractéristique d'un harcèlement moral au seul motif que la société ne pouvait ignorer qu'il se présentait auprès des clients comme le directeur commercial de la société, quand le silence de l'employeur ne signifiait pas qu'il y aurait expressément consenti et qu'il incombait aux juges de caractériser l'existence d'une volonté claire et non équivoque de sa part de surclasser le salarié, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L.1221-1, L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;
ALORS, ENSUITE, QUE la cour d'appel a retenu que l'acte de rétrogradation imposé à M. Y... était de nature à avoir un effet sur sa santé dès lors qu'il avait été arrêté pour maladie le 7 janvier 2014 et que son médecin avait relevé une « dépression pour harcèlement professionnel » ; qu'en concluant ainsi à l'existence d'un harcèlement moral du salarié sans caractériser, autrement que par l'opinion qu'avait pu exprimer son médecin traitant du salarié, l'existence d'un lien entre la dégradation de son état de santé et la rétrogradation imputée à la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1 et L.1154 du code du travail ;
ALORS, ENCORE, QU'en retenant, pour conclure à l'existence d'un harcèlement moral, que M. Y... aurait été victime d'actes antérieurs de dénigrement pour lesquels il avait déposé trois mains courantes auprès des services de police, quand les allégations du salarié devant ces services n'avaient été confirmées par aucun élément tangible, que l'enquête des gendarmes avait conclu qu'aucun de ses collègues n'avait constaté, ni n'avait été victime de harcèlement moral et que le salarié avait lui-même retiré sa plainte le 26 mars 2015, de sorte que ces mains courantes étaient insusceptibles de caractériser un tel harcèlement, la cour d'appel a violé les articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;
ALORS, EGALEMENT, QUE la cour d'appel a constaté que la gendarmerie avait clos l'enquête en constatant l'absence de preuve d'un harcèlement et que le salarié avait retiré sa plainte pénale ; qu'en retenant néanmoins que ces deux éléments n'étaient pas de nature à faire obstacle aux prétentions de M. Y..., au motif que le retrait de la plainte déposée le 21 mai 2014 était intervenu le 26 mars 2015, M. Y... pouvant légitimement considérer que seule son action prud'homale devait être poursuivie, quand l'un et l'autre attestaient de l'absence de véracité des accusations formulées par l'intéressé dans ces mains courantes et étaient donc déterminants pour l'appréciation de la réalité du harcèlement moral invoqué, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et l'a privée encore une fois de base légale au regard des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la preuve préalable d'agissements de nature à caractériser un harcèlement moral incombe au salarié ; qu'en concluant de l'absence de procédure engagée par la société Multypack, la véracité des propos tenus par le salarié dans les mains courantes déposées auprès des services de police, la cour d'appel a violé l'article L.1154-1 du code du travail ;
ALORS, AU SURPLUS, QU'aux termes du rapport Sistel du 10 décembre 2014, il avait été constaté que les salariés de la société Multypack reconnaissaient unanimement l'absence d'exigence sur le plan émotionnel, l'autonomie et la liberté précieuse dont ils disposaient, ainsi que l'absence de toute violence physique et que le dialogue social dans l'entreprise était facile, « le ton et la teneur des relations sont respecteux » et les « situations d'humiliation ou d'intimidation complètement absentes », le soutien entre collègues étant favorisé et la valorisation du travail réelle et exprimée (p. 6) ; que l'expert notait encore que « l'exploitation globale de tous les points abordés au cours de la totalité des entretiens fait ressortir un niveau général de risque psycho-social assez faible » (p. 11) ; qu'en affirmant que les tensions sociales au sein de la société auraient été avérées au vu de ce rapport dans la mesure où les missions et les rôles de chacun seraient opaques et où il n'y aurait pas assez de communication et de réunions, quand il en ressortait au contraire l'absence de comportements psycho-sociaux à risque et l'absence de pressions subies par le personnel, la cour d'appel a dénaturé ledit rapport en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ;
ET ALORS, ENFIN, QU'en se bornant, pour conclure à l'existence d'un harcèlement moral dont aurait été victime M. Y..., à affirmer qu'elle relevait l'existence d'un lien entre les actes dont il se plaignait et ses arrêts de travail, sans caractériser l'existence de ce lien autrement que par les considérations de praticiens extérieurs à l'entreprise, non habilités à porter un jugement sur les causes d'un arrêt maladie, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du licenciement de M. Y... et d'avoir condamné la société Multypack à lui verser les sommes de 40 000 € au titre du licenciement nul, de 17 961 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 1 796,10 € au titre des congés payés afférents et de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE le licenciement de M. Y... est fondé sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail, qui trouve sa cause dans le harcèlement moral dont le salarié a été l'objet ; que par suite, il convient de faire droit à la demande de nullité de ce licenciement ;
ALORS, D'UNE PART, QUE ces motifs seront censurés par voie de conséquence de la cassation à intervenir sur le premier moyen, par application de l'article 625 du code de procédure civile ;
ET ALORS, D'AUTRE PART (et subsidiairement), QU'une faute ou une négligence commise à l'occasion de l'exécution du contrat de travail ne peut engager la responsabilité de l'employeur que si sont établies à la fois l'existence de cette faute ou de cette négligence, le dommage qui en serait résulté pour le salarié ainsi que le lien de causalité entre la faute et le dommage ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à affirmer que l'inaptitude de M. Y... trouverait sa cause dans le harcèlement moral dont il aurait été l'objet, de sorte que son licenciement serait nul, sans cependant caractériser le lien de causalité entre les agissements imputés à la société Multypack et cette inaptitude ; qu'en statuant de la sorte, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil, L.1152-1 et L.1226-2 du code du travail.