CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 mars 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10178 F
Pourvoi n° B 17-17.365
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Forézienne d'entreprises, société en nom collectif, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 14 mars 2017 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant à la société Guintoli, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 février 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, M. X..., conseiller rapporteur, Mme Wallon, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Forézienne d'entreprises, de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Guintoli ;
Sur le rapport de M. X..., conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Forézienne d'entreprises aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Guintoli la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Forézienne d'entreprises
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Forézienne d'Entreprises de son recours en annulation de la sentence arbitrale rendue le 17 août 2015, fondé sur l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le premier moyen d'annulation tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral (article 1492, 2° du code de procédure civile) :
QUE la SFE fait valoir que Me Y..., conseil de Guintoli dans la procédure arbitrale, est l'un des quatre avocats membres du comité juridique de la FNTP et qu'il bénéficie à ce titre d'une influence intellectuelle et/ou d'une proximité avec les arbitres ; que cette circonstance, qui était de nature à créer une doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité du tribunal arbitral n'a pas été mentionnée par les arbitres dans leurs déclarations d'indépendance. La SFE soutient que la situation de Me Y... auprès de la FNTP n'était nullement notoire mais ne pouvait être découverte que par une complexe recherche sur le site internet de la Fédération, recherche à laquelle elle ne s'était livrée que lorsqu'elle avait réalisé que Guintoli n'avait eu recours aux services de Me Y... que pour l'instance arbitrale et qu'elle avait conservé son conseil habituel, la SCP de Angelis, devant les juridictions étatiques ; que les dispositions de l'article 1466 du code de procédure civile ne pouvaient donc lui être opposées.
Qu'aux termes de l'article 1466 du code de procédure civile : « La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir » ;
Qu'il a été porté à la connaissance de la SFE par la requête d'arbitrage du 9 juillet 2013, que Guintoli avait fait choix, pour l'instance arbitrale, de Me Y... et non de la SCP de Angelis, son avocat constitué devant le tribunal de grande instance puis devant la cour d'appel de Paris ;
Que la SFE n'a, à aucun moment au cours de l'instance arbitrale, formulé de réserves sur la composition du tribunal et notamment sur une éventuelle proximité de ses membres avec Me Y..., alors que la participation de ce dernier au comité juridique de la FNTP est une information consultable sur le site de cette fédération au terme d'une recherche qui, contrairement à ce que prétend la recourante, est d'une grande simplicité ;
Que la SFE soutient qu'elle aurait découvert après la reddition de la sentence du 17 août 2015, que Guintoli n'avait nullement renoncé aux services de la SCP de Angelis devant les juridictions étatiques et qu'elle avait par conséquent choisi Me Y..., non pas en raison de médiocres prestations de son conseil habituel devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel, mais en considération des services particuliers que Me Y... pouvait lui procurer du fait de sa situation auprès de la FNTP;
Mais considérant que la SFE ne démontre pas que Guintoli aurait, à quelque moment que ce soit, changé de conseil devant les juridictions étatiques, de sorte qu'il n'a pu lui échapper, dès le début de la procédure arbitrale, que la partie adverse avait fait choix de Me Y... pour cette seule instance ; qu'il s'en déduit que si ce choix lui avait paru suspect, elle aurait dû en faire état dès qu'elle l'a connu;
Que, dès lors, en excipant tardivement de griefs dont elle n'établit pas qu'elle n'en aurait pas eu ou pu avoir connaissance antérieurement, la SFE a manqué à son obligation de loyauté procédurale, de sorte qu'elle est irrecevable à critiquer la sentence en reprochant aux arbitres une méconnaissance de leur obligation de révélation » ;
ALORS QUE le recours en annulation d'une sentence est ouvert si le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; qu'il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité ; qu'en l'espèce, la société Forézienne exposait, dans ses écritures d'appel, que les arbitres avaient omis de mentionner, dans leur déclaration d'indépendance, la situation de conflit d'intérêt dans laquelle ils se trouvaient du fait de leur proximité avec Me Y..., avocat de la société Guintoli ; qu'elle ajoutait que cette circonstance, si elle avait été connue par elle, aurait été de nature à créer une doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité du tribunal arbitral (conclusions, p. 12-14) ; que pour rejeter son recours en annulation de la sentence fondée sur l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que « la participation de (Me Y...) au comité juridique de la FNTP est une information consultable sur le site de cette fédération au terme d'une recherche qui (
) est d'une grande simplicité » (arrêt, p. 4 § 4), et, d'autre part, qu'il n'aurait « pu échapper (à la société Forézienne), dès le début de la procédure arbitrale, que la partie adverse avait fait le choix de Me Y... pour cette seule instance ; qu'il s'en déduit que si ce choix lui avait paru suspect, elle aurait dû en faire état dès qu'elle l'a connu » (arrêt, p. 4 § 5) ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la déclaration d'indépendance de l'arbitre ne revêtait pas un caractère tronqué et réducteur, dès lors que des éléments importants y manquaient, et alors que rien, au regard des circonstances révélées, n'imposait à la société Forézienne de procéder à des investigations particulières, eussent-elles été « d'une grande simplicité », sur les arbitres et l'avocat de la partie adverse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1492, 2° du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Forézienne de son recours en annulation de la sentence arbitrale rendue le 17 août 2015, fondé sur le caractère d'ordre public de la violation de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2012, qui avait statué sur la contribution de chacun des intervenants responsables et de leurs assureurs à la dette envers la société Lesseps Promotion, maître de l'ouvrage ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le second moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public (article 1492, 5° du code de procédure civile) :
Que la recourante soutient que la sentence méconnaît l'autorité de chose jugée par le jugement du 9 février 2010 et par l'arrêt confirmatif du 14 septembre 2012.
Que l'autorité de chose jugée n'est pas d'ordre public sauf au cours d'une même instance quand il est statué sur les suites d'une précédente décision irrévocable ;
Que la saisine par le maître de l'ouvrage des juridictions étatiques pour voir prononcer sur les responsabilités contractuelles et délictuelles des locateurs d'ouvrage, de leurs sous-traitants, et des compagnies d'assurance, d'une part, et, d'autre part, la saisine d'une juridiction arbitrale pour statuer sur la contribution à la dette de deux sous-traitants liés par une convention de société en participation et par une convention de groupement momentané d'entreprises solidaires, constituent deux instances distinctes, de sorte que le moyen tiré de l'autorité de chose jugée par l'arrêt de la cour d'appel du 14 septembre 2012 n'est pas d'ordre public et ne peut donc être invoqué à l'appui d'un recours en annulation de la sentence ;
Qu'au demeurant, qu'il n'y a pas d'inconciliabilité entre la décision de la cour d'appel qui statue sur l'obligation à la dette à l'égard du maître de l'ouvrage et la sentence arbitrale qui règle sa répartition conventionnelle entre deux sous-traitants;
Que le second moyen ne peut donc être accueilli » ;
1) ALORS QUE le juge ne peut pas dénaturer les documents de la cause ; que pour décider que la sentence arbitrale n'aurait pas méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2012, la cour d'appel a retenu que, par son précédent arrêt, elle se serait bornée à statuer « sur l'obligation à la dette (des constructeurs) à l'égard du maître de l'ouvrage », alors que « la sentence arbitrale (aurait réglé) sa répartition conventionnelle entre deux sous-traitants » (arrêt, p. 5 § 2) ; qu'en statuant ainsi, alors que, saisie de recours en garantie réciproques, la cour d'appel de Paris, avait, dans son dispositif, et en des termes clairs et précis, statué sur la contribution de chacun des coobligés condamnés in solidum dans la réparation du dommage, la cour d'appel a dénaturé l'arrêt susvisé en violation du principe précité ;
2) ALORS QUE le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si celle-ci est contraire à l'ordre public ; qu'il résulte de l'article 1351, devenu 1355, du code civil que le moyen tiré de la chose jugée est d'ordre public quand, au cours de la même instance, il est statué sur les suites d'une précédente décision passée en force de chose jugée ; qu'en l'espèce, il est constant qu'un précédent arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 14 septembre 2012 dans la même instance, et devenu irrévocable sur ce point, avait déclaré les différents intervenants responsables in solidum envers la société Lesseps Promotion, maître de l'ouvrage, et avait statué sur la contribution de chacun de ces intervenants - et de leurs assureurs - à la dette, retenant notamment une part de 15 % pour la société Forézienne et de 40 % pour la société Guintoli ; qu'il en résulte que cet arrêt avait acquis autorité de chose jugée sur ce point et que, lors de l'instance devant le tribunal arbitral, le montant même de la contribution à la dette des sociétés Forézienne et Guintoli ne pouvait être remis en cause ; qu'en décidant au contraire que les deux instances auraient été distinctes, « de sorte que le moyen tiré de l'autorité de chose jugée par l'arrêt de la cour d'appel du 14 septembre 2012 n'est pas d'ordre public et ne peut donc être invoqué à l'appui d'un recours en annulation de la sentence », cependant que l'arrêt rendu le 14 septembre 2012 par la cour d'appel de Paris avait déjà fixé la répartition de la charge indemnitaire pesant sur chacun des sous-traitants au titre de leur contribution à la dette, répartition constituant l'objet de l'instance arbitrale, la cour d'appel a violé le caractère d'ordre public de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 14 septembre 2012, ensemble l'article 1492 du code de procédure civile ;
3) ALORS QU'en matière d'arbitrage interne, l'article 1492°-5 du code de procédure civile permet d'annuler une sentence chaque fois que celle-ci s'avère inconciliable avec une décision antérieure en vigueur dans l'ordre juridique ; que sont inconciliables les décisions dont les conséquences juridiques s'excluent mutuellement ; qu'en l'espèce, constituent des décisions inconciliables concernant les mêmes parties et le même objet, d'une part, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2012 qui statue sur la contribution de chacun des intervenants responsables - et de leurs assureurs - à la dette envers le maître de l'ouvrage, et, partant, sur la question de la répartition même de la dette au sein du groupement terrassier Forézienne/Guintoli (à hauteur respectivement de 27,22 %/72,72 %), et, d'autre part, la sentence arbitrale du 25 juillet 2014 statuant sur la répartition conventionnelle à la dette entre les sociétés Forézienne et Guintoli, à hauteur respectivement de 55 % et de 45 % ; qu'en décidant au contraire qu'il n'y aurait pas « d'inconciliabilité entre la décision de la cour d'appel qui statue sur l'obligation à la dette à l'égard du maître de l'ouvrage et la sentence arbitrale qui règle sa répartition conventionnelle entre deux sous-traitants », la cour d'appel a violé l'article 1492°-5 du code de procédure civile.