CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 février 2018
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10140 F
Pourvoi n° W 16-25.130
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Thales communication & security, société anonyme, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Thales rail signaling devenue Thales security solution et services, elle-même venant aux droits de la société Thales security systems,
contre l'ordonnance de référé rendue le 22 septembre 2016 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, dans le litige l'opposant à M. Olivier X..., domicilié [...] ),
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 janvier 2018, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Y..., conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de la société Thales communication & security, de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de M. X... ;
Sur le rapport de M. Y..., conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Thales communication & security aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société Thales communication & security.
Le moyen reproche à l'ordonnance attaquée d'avoir accordé l'exequatur à l'ordonnance de taxe n° 4162/2006 en date du 31 octobre 2006 et à l'ordonnance de taxe n° 4569/2006 en date du 1er décembre 2006 rendues par le juge taxateur du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau, ainsi qu'à l'arrêt n° 714/15 du 10 décembre 2015 de la Cour suprême de Côte d'Ivoire, Chambre judiciaire, Formation civile, et débouté la société Thalès Communication & Security de toutes ses demandes,
AUX MOTIFS QUE « Selon les articles 38 et 39 du Titre III consacré à l'exequatur en matière civile, commerciale et administrative de l'Accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Côte d'Ivoire du 24 avril 1961, le président du tribunal de grande instance correspondant au lieu où l'exécution doit être poursuivie, qui est saisi et statue suivant la forme des référés, se borne à vérifier si la décision dont l'exequatur est demandé remplit les conditions prévues à l'article 36 pour avoir de plein droit l'autorité de chose jugée. Le président doit procéder d'office à cet examen.
Aux termes de l'article 36 auquel renvoie l'article 39 :
"En matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire de la République de Côte d'Ivoire ont, de plein droit, l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes :
a. La décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'Etat où la décision est exécutée ;
b. La décision est, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ;
c. Les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ;
d. La décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans cet Etat et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée".
Il est sollicité par Maître X... l'exequatur de trois décisions, l'ordonnance de taxe n° 4162/2006 en date du 31 octobre 2006 et l'ordonnance de taxe n° 4569/2006 en date du 1er décembre 2006, ainsi que l'arrêt de la Cour suprême de Côte d'Ivoire du 10 décembre 2015 qui, cassant l'arrêt de la cour d'appel d'Abidjan du 29 juillet 2011, lequel avait confirmé le jugement du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau du 12 mars 2009, a évoqué l'affaire au fond et rendu son plein et entier effet aux deux ordonnances de taxe.
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Sur les demandes d'exequatur
Il convient d'examiner chacune des conditions de l'article 36 précité.
1 – Maître X..., huissier de justice à Abidjan, a saisi la juridiction compétente pour rendre les ordonnances de taxe, à savoir le tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau, en vertu de l'article 4 de la loi n° 97-514 du 4 septembre 1997 portant statut des huissiers de justice et abrogeant la loi n° 69-242 du 9 juin 1969 qui dispose que : "Les huissiers de justice relèvent de la juridiction dans le ressort territorial de laquelle ils sont établis". La condition de l'article 36 a) est donc remplie.
2 – L'article 28 de la loi n° 97-243 du 25 avril 1997 modifiant et complétant la loi n° 94-440 du 16 août 1994 déterminant la composition, l'organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême dispose que :
"En cas de cassation, la Chambre judiciaire évoque l'affaire dont elle est saisie.
Toutefois, le renvoi est obligatoire :
a) en cas de cassation pour incompétence, la Chambre judiciaire renvoie l'affaire à la juridiction compétente ;
b) en cas de cassation d'une décision intervenue sur l'action publique, la Chambre judiciaire renvoie l'affaire devant une autre juridiction de même nature expressément désignée ou devant la même juridiction autrement composée.
Lorsqu'après cassation d'un arrêt ou jugement rendu en dernier ressort, l'arrêt de cassation est attaqué par les mêmes parties procédant en la même qualité avec les mêmes moyens, soit par acte d'huissier, soit par requête déposée au Secrétariat général de la Cour suprême, dans le mois suivant la date de l'arrêt contradictoirement rendu ou réputé contradictoire ou de la signification s'il s'agit d'un arrêt de défaut, le Président de la Cour suprême saisit, par ordonnance de renvoi avec indication de la date d'audience, la chambre judiciaire qui statue toutes formations réunies.
Le recours contre les arrêts de la Cour suprême est formalisé en douze exemplaires et accompagné du mémoire de la partie demanderesse, à laquelle le président de la Cour suprême peut impartir un délai d'un (1) mois aux fins de dépôt du mémoire et pièces.
Les formations réunies de la Chambre judiciaire statuent sans possibilité de renvoi".
Il ressort des pièces aux débats que l'arrêt rendu par la Cour suprême le 10 décembre 2015 est un arrêt contradictoire à l'égard de la société Thalès qui a été représentée par son conseil à la procédure en cassation, de sorte qu'en vertu de l'article 28, le délai d'un mois ouvert pour le recours prévu à cet article contre cet arrêt dans lequel la Cour suprême a évoqué l'affaire dont elle était saisie, a couru à compter du 10 décembre 2015.
Le Secrétariat général de la Cour a délivré, le 9 février 2016, une attestation de non-recours.
Les ordonnances de taxe et l'arrêt de la Cour Suprême ont été signifiés par voie d'huissier de justice les 17 et 23 février 2016 à la société Thalès.
Il est dès lors établi que la condition de l'article 36 b) est remplie, les ordonnances de taxe des 31 octobre et 1er décembre 2006 et l'arrêt de la Cour suprême du 10 décembre 2015 étant, d'après la loi ivoirienne, passés en force de chose jugée et susceptibles d'exécution.
3 – La condition de l'article 36 c) est également remplie, ce que ne conteste pas la société Thalès. Il résulte en effet des décisions rendues que la société Thalès a été représentée devant le tribunal de première instance statuant sur l'opposition formée sur les ordonnances rendues sur procédure gracieuse, devant la cour d'appel et devant la Cour suprême, qu'elle a pu faire valoir contradictoirement ses moyens de défense devant chacune de ces juridictions.
4 – L'article 36 d) conduit à examiner si les décisions dont l'exequatur est sollicité ne contiennent rien de contraire à l'ordre public français ou aux principes de droit public applicables en France.
La société Thalès prétend que les demandes d'exequatur se heurteraient à l'ordre public français.
Le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français.
Quelle que soit la nature de la décision étrangère, le juge français ne peut pas, sans méconnaître ses pouvoirs, aborder le fond du litige déjà tranché à l'étranger en recherchant et le cas échéant, en censurant un mal-fondé de la décision étrangère.
Force est de constater que pour s'opposer à l'exequatur, la société Thalès invoque principalement des moyens qui touchent à l'appréciation du fond du droit et qui sont ceux qu'elle a soulevés devant les juridictions ivoiriennes, qui ont été examinés par ces juridictions et sur lesquels elles ont statué. Il en est ainsi de l'absence de mandat donné à Me X... et de communication, à l'huissier de justice, des sentences arbitrales, de l'affirmation selon laquelle la créance de la société Thalès n'a pas pu faire l'objet d'un recouvrement amiable, de la violation alléguée des dispositions des articles 85 et 97 du décret n° 75-51 du 29 janvier 1975 portant tarification des émoluments, frais et débours es auxiliaires de justice et officiers ministériels.
A cet égard, il suffit de lire tant le jugement de première instance que l'arrêt de cour d'appel pour constater que tous ces moyens ont été soulevés par la société Thalès et que la Cour suprême a définitivement statué dans son arrêt du 10 décembre 2015 en évoquant l'affaire au fond tant sur le mandat que sur l'application de la tarification.
Les prétentions de la société Thalès sur ce point ne visent en réalité qu'à obtenir la révision, sur le fond, des décisions en cause, et dès lors que l'ordre public international français de procédure a été respecté, que la société Thalès a pu faire opposition aux ordonnances de taxe rendues sur procédure gracieuse, faire valoir contradictoirement ses moyens en défense devant toutes les juridictions dans le cadre de procédures qui garantissaient le droit à un procès équitable, aucune violation de l'ordre public international n'est démontrée du seul fait que ces moyens au fond n'ont pas été retenus par l'arrêt de la Cour suprême statuant en dernier lieu.
La société Thalès prétend encore que l'exequatur permettrait un double paiement pour la même cause, ce qui, selon elle, "serait susceptible de caractériser une fraude", mais l'exequatur tend précisément à voir reconnaître l'autorité de chose jugée sur le territoire français de décisions rendues à l'étranger, aux fins notamment de procéder à des mesures d'exécution forcée en France. Il appartiendrait à la société Thalès de contester, le cas échéant, devant le juge de l'exécution, lesdites mesures si elles devaient conduire à un double paiement.
La société Thalès n'apporte pas de preuve de l'existence d'un double paiement. Elle n'allègue pas avoir à ce jour déjà réglé une quelconque somme sur les clauses des ordonnances de taxe et s'agissant de la saisie-attribution à laquelle Maître X... aurait procédé entre les mains de l'Etat ivoirien le 21 décembre 2006, dont il a donné mainlevée le 9 juillet 2010, la société Thalès n'a jamais soutenu, devant les juridictions successives qui ont connu des recours contre les ordonnances de taxe, qu'une partie de sa dette envers Me X... aurait été réglée entre 2006 et 2010 par l'effet de cette saisie entre les mains de l'Etat ivoirien, ce qui n'a notamment pas été mentionné dans l'acte de cession de créance du 22 mai 2012 qui fait référence à des saisies-conservatoires.
La société Thalès oppose également en vain à la demande d'exequatur un quelconque aveu judiciaire résultant de la mainlevée donnée qui n'emporte que renonciation de Maître X... à une mesure d'exécution forcée et non reconnaissance de l'inexistence de sa créance.
L'argument avancé selon lequel les causes de l'arrêt de la Cour suprême ne seraient pas chiffrées est dépourvu de caractère sérieux, les ordonnances de taxe auxquelles ledit arrêt restitue leur plein et entier effet, portant des condamnations précises et chiffrées.
La société Thalès est également mal fondée à prétendre que, du fait de l'absence de convention d'honoraires établie préalablement avec Me X..., les décisions litigieuses se heurteraient à l'ordre public français, en invoquant les dispositions de l'article L. 444-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, alors qu'il s'agit à l'évidence de dispositions d'ordre interne visant à réguler la concurrence pour des prestations accomplies non soumises à un tarif réglementé entre les professionnels mentionnés au 1er alinéa de cet article et d'autres professionnels. Dans ces circonstances, l'absence d'exigence d'une convention d'honoraires pour reconnaître l'existence d'un mandat confié à Maître X... et faire application de l'article 85 du décret n° 75-51 du 29 janvier 1975, même contraire à une règle de droit interne français dont le caractère impératif n'est pas démontré, ne heurte aucun principe essentiel du droit français et ne saurait être considéré comme une violation de la conception française de l'ordre public économique international.
Enfin, la société Thalès invoque, tout au long de ses écritures, la fraude au jugement et à la loi ivoirienne qui interdirait d'accorder l'exequatur. Elle prétend qu'elle serait victime d'une démarche délibérée de spoliation portant atteinte à son droit au respect de ses biens au sens de l'article 1er du protocole 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de manoeuvres de Maître X..., que cette fraude serait caractérisée par le fondement manifestement erroné de l'ordonnance de taxe rendue le 31 octobre 2006, par le fait que les émoluments proportionnels de l'article 85 du décret de 1975 sont sans base légale, le caractère excessif des émoluments accordés.
La fraude est caractérisée en cas de réalisation d'un ou plusieurs actes ou manoeuvres destinés à induire le juge en erreur. Or, aucune démonstration de la fraude alléguée n'est apportée par la société Thalès, laquelle se contente d'affirmations répétées dans ses écritures, ne reposant sur aucun élément probant. Les circonstances alléguées par la société Thalès, qui relèvent de l'appréciation du fond du droit, ne sont pas de nature à apporter la preuve de manoeuvres dolosives de Maître X.... En l'absence de fraude établie aux droits de la société Thalès, les développements sur l'absence de cas d'ouverture de la voie de la révision en cas de fraude sont dépourvus d'intérêts.
Il est établi et non contesté que Maître X... a produit aux débats les pièces exigées par l'article 41 de l'Accord de coopération.
Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit aux demandes d'exequatur présentées par Maître X... »,
ALORS, D'UNE PART, QUE l'exequatur ne peut être accordée à une décision étrangère contraire à l'ordre public international français de fond en ce qu'elle comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; que ces principes ne permettent pas l'accueil d'une demande en paiement d'un huissier de justice en l'absence de convention écrite passée avec son mandant, détaillant les frais afférents aux diligences convenues de sorte qu'en écartant le moyen de la société Thalès tendant à refuser l'exequatur des ordonnances de taxe n° 4162/2006 du 31 octobre 2006 et n° 4569/2006 du 1er décembre 2006 rendues par le juge taxateur du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau, ainsi que de l'arrêt n° 714/15 du 10 décembre 2015 de la Cour suprême de Côte d'Ivoire redonnant leur plein et entier effet à ces ordonnances après leur annulation par jugement du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau du 12 mars 2009, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'Abidjan du 29 juillet 2011, après avoir constaté l'absence de convention d'honoraires écrite passée entre l'huissier de justice et son prétendu mandant, le Président du tribunal a violé les articles 39 et 36, d) de l'Accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Côte d'Ivoire du 24 avril 1961, ensemble l'ordre public international français ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'exequatur ne peut être accordée à une décision étrangère contraire à l'ordre public international français de procédure en ce qu'elle comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français au nombre desquels figurent l'exigence d'une motivation suffisante si bien qu'en accordant l'exequatur aux ordonnances de taxe n° 4162/2006 du 31 octobre 2006 et n° 4569/2006 du 1er décembre 2006 rendues par le juge taxateur du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau, ainsi qu'à l'arrêt n° 714/15 du 10 décembre 2015 de la Cour suprême de Côte d'Ivoire, cependant qu'il résultait des pièces de la procédure ivoirienne versées aux débats, d'une part, que les deux ordonnances de taxe étaient dénuées de motivation et, d'autre part, que la Cour suprême s'était bornée, pour restituer à ces ordonnances leur plein et entier effet après leur annulation par jugement du tribunal de première instance d'Abidjan-Plateau du 12 mars 2009, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'Abidjan du 29 juillet 2011, à relever qu'il résultait suffisamment de l'ensemble des productions qu'à la demande de la société Thalès, l'huissier avait servi une sommation de payer à l'Etat de Côte d'Ivoire, puis avait adressé à la société Thalès une demande de règlement de frais et honoraires que cette société avait honorée, ce qui aurait établi l'existence d'un mandat donné par cette société à l'huissier, le Président du tribunal a violé les articles 39 et 36, d) de l'Accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Côte d'Ivoire du 24 avril 1961, l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe essentiel du droit français de motivation des décisions juridictionnelles et l'ordre public international français.