CIV. 2
CGA
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 février 2018
Rejet non spécialement motivé
M. X..., conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10121 F
Pourvoi n° X 17-10.162
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Arcelormittal France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Sogepass, elle-même venant aux droits de la société Sacilor,
contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2016 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, dont le siège est [...] ,
2°/ au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 17 janvier 2018, où étaient présents : M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, Mme A..., conseiller rapporteur, M. Cadiot, conseiller, Mme Szirek, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Arcelormittal France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, de Me B... , avocat du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ;
Sur le rapport de Mme A..., conseiller, l'avis de Mme Y..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Arcelormittal France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Arcelormittal France et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante à chacun la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Arcelormittal France
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la société Sogepass prise en sa qualité d'ayant droit de la société Sacilor pour le site de [...]a commis une faute inexcusable directement à l'origine de la maladie puis du décès d'Alexandre Z..., fixé la majoration de rente à son taux maximum ainsi que le montant des réparations au titre des préjudices personnels et des préjudices moraux des ayants droit et d'AVOIR dit que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par Alexandre Z... est opposable à la société Arcelormittal France, venant aux droits de la société Sogepass ;
AUX MOTIFS QUE « sur l'inopposabilité de la décision de prise en charge. L'employeur soutient que : - la CPAM ne produit aucune pièce de nature à justifier le respect des formalités de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale à son égard, mais ne précise pas quelle formalité n'aurait pas été respectée, - la durée d'exposition au risque de 10 ans prévue au tableau 30 bis des maladies professionnelles n'est pas remplie. Au soutien de son appel, la CPAM fait valoir que le principe du contradictoire a été respecté tout au long de la procédure d'instruction, que la durée d'exposition au risque peut être constatée auprès du dernier employeur mais aussi auprès d'anciens employeurs, et qu'en conséquence la saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles n'était pas obligatoire. L'article R.441-11 du code de la sécurité sociale pose le principe du respect du contradictoire dans la procédure de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, de sorte que les caisses primaires sont tenues, préalablement à leur décision, d'assurer l'information de la victime ou de ses ayants droit et de l'employeur, sur la procédure d'instruction et les points susceptibles de leur faire grief. En l'espèce, la CPAM a : - par lettre datée du 27 avril 2009, réceptionnée le 29 avril 2009, envoyé copie de la déclaration de maladie professionnelle reçue le 22 avril 2009, - par lettre recommandée avec avis de réception réceptionnée le 21 juillet 2009, soit avant l'expiration du délai de 3 mois réglementairement prévu, informé l'employeur qu'un délai complémentaire d'instruction était nécessaire, - par lettre recommandée avec avis de réception réceptionnée le 28 août 2009, informé l'employeur de la fin de l'instruction, de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier préalablement à la prise de décision qui interviendra le 11 septembre 2009, - par lettre recommandée avec avis de réception du 27 août 2009, transmis à l'employeur les pièces constitutives du dossier. En informant l'employeur, par lettre du 27 août 2009, que l'instruction du dossier était terminée, de la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier, préalablement à la prise de décision, et de la date à laquelle la décision serait prise, la CPAM a satisfait à l'obligation d'information à laquelle elle est tenue. En l'espèce, la lettre de clôture de l'instruction a été réceptionnée par l'employeur le 28 août 2009, pour une prise de décision annoncée fixée au 11 septembre 2009. L'octroi d'un délai de 14 jours constitue, en conséquence, un délai suffisant pour consulter les pièces du dossier et faire part de ses observations. L'employeur a ainsi été en mesure de contester la décision de la caisse et il lui appartenait, le cas échéant, de demander une prolongation du délai de consultation du dossier, en cas de besoin. Le principe du contradictoire a, dès lors, été respecté par la CPAM dans l'instruction du dossier de M. Alexandre Z.... Le tableau n°30 bis des maladies professionnelles prévoit une durée d'exposition de 10 ans. L'employeur soutient que la durée d'exposition au sein de l'usine de [...]
n'est que de 9 ans et 8 mois. Si, en cas de succession d'employeurs, la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, la durée d'exposition au risque s'établit sur la totalité de la carrière de la victime et peut, dès lors, se caractériser auprès de plusieurs employeurs. Les informations apportées par le service administratif et rappelées par le colloque médico-administratif des maladies professionnelles du 4 juin 2009 constatent une durée d'exposition de 24 ans à partir de 1960. En l'espèce, la victime a travaillé à l'usine de [...] du 25 avril 1960 à septembre 1974 en qualité de grutier, puis à l'usine de [...]de septembre 1974 au 1er avril 1984. L'employeur ne conteste pas la durée d'exposition relevée au sein de l'usine de [...], soit 9 ans
et 8 mois. La victime, en date du 4 mai 2009, explique quels sont les travaux l'ayant mis en contact avec l'amiante au sein de l'usine de [...], comme suit : « les lingotières pleines d'acier en versant dessus de l'eau pour refroidir, ça dégageait des vapeurs de souffre et d'amiante, l'amiante qui faisait joint entre les lingotières et les chariots ». Il en résulte que les travaux exécutés en qualité de grutier au sein de l'usine de [...] ont forcément mis la victime en contact avec les poussières d'amiante, amiante contenue dans les plaques à poser dans les lingotières. D'ailleurs aucun élément du dossier ne permet de dire que les travaux à effectuer à haute température pour la préparation des lingotières ne comportaient pas l'utilisation de plaques contenant de l'amiante. Ayant exercé de 1960 à 1974 dans ces conditions, la victime a nécessairement été exposée au risque pendant au moins 4 mois, de sorte que la condition d'une durée d'exposition de dix ans exigée par le tableau n°30 bis des maladies professionnelles est remplie. D'ailleurs, le 4 mai 2009, l'inspecteur du travail indique également que « Compte tenu de l'utilisation massive de l'amiante dans la sidérurgie jusqu'à la fin des années 80, notamment pour les EPI, M Alexandre Z... a sans aucun doute été exposé au risque d'inhalation de fibres d'amiante au cours de son activité pour la société Unimétal à [...] ». La prise en compte de l'ensemble de ces éléments permet de dire que la condition d'exposition au risque d'une durée de dix ans est respectée concernant la maladie déclarée par M. Alexandre Z.... La saisine du CRRMP n'était, dès lors, pas obligatoire, les conditions exigées par le tableau n°30 bis des maladies professionnelles étant remplies. Le jugement sera, en conséquence, infirmé sur ce point, et la décision de prise en charge au titre du risque professionnel de la maladie déclarée est opposable à l'employeur. Sur la faute inexcusable de l'employeur : En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat ; le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il convient de rappeler que la preuve de la faute inexcusable incombe à la victime ou à ses ayants droit en leur qualité de demandeur à l'instance. L'employeur fait valoir qu'il n'est pas à l'origine de la maladie de la victime, la condition de durée d'exposition de 10 ans n'étant pas remplie, de sorte que la preuve du lien de causalité entre la maladie et le travail ne peut être rapportée chez l'employeur, et qu'il n'a pu avoir conscience du danger présenté par les fibres d'amiante. Le FIVA fait valoir que : - il existait bien avant toute réglementation spécifique à l'amiante, une réglementation préventive contre les affections respiratoires qui ne pouvait être ignorée des employeurs, - dès 1945, les risques liés à l'inhalation des poussières d'amiante furent officiellement reconnus, par l'inscription progressive des affections en résultant, dans un tableau de maladies professionnelles, et dès 1955, la liste des travaux susceptibles de provoquer ces maladies devint indicative, de telle sorte qu'un employeur comme Sogepass ne saurait soutenir qu'il ne pouvait légitimement ne pas en avoir conscience, - à l'époque à laquelle la victime a été exposée, un employeur un tant soit peu soucieux de la santé de ses salariés exposés au risque d'inhalation des poussières d'amiante, ne se trouvait pas démuni d'information sur le sujet. Il convient de rappeler que la maladie déclarée doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire. L'employeur soutient que le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles impose une durée d'exposition de dix années, alors que M. Z... n'a travaillé que durant neuf années et 8 mois au sein de la société AMF à [...]. Il convient de rappeler qu'en cas d'exposition au risque chez plusieurs employeurs, les conditions de délai de prise en charge de l'affection exigées par les tableaux de maladies professionnelles s'apprécient au regard de la totalité de la durée d'exposition au risque considéré. En conséquence, le fait que M. Alexandre Z... n'a travaillé que durant 9 années et 8 mois dans l'usine de [...], n'enlève pas sa part de responsabilité à ladite société dans la survenance de la maladie déclarée. La conscience du danger renvoie à l'exigence de prévision raisonnable des risques, ne suppose pas une connaissance effective de la situation créée, mais la conscience que l'employeur devait ou aurait dû normalement avoir du danger, laquelle suppose de prendre les mesures nécessaires à la préservation du salarié dudit danger. Le problème de l'inhalation des poussières a été connu très tôt, et dès 1893, une règlementation sur les prescriptions de sécurité en matière d'évacuation des poussières a été mise en place, pour aboutir à la création en 1945 d'un premier tableau de maladie professionnelle consacré à la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante, puis en 1950 à la création d'un tableau de maladie professionnelle n° 30 consacré à l'asbestose professionnelle, puis au décret de 1977 quantifiant les fibres d'amiante dans l'air, et à l'interdiction de l'usage de l'amiante en 1996. La société Sogepass, entreprise faisant partie d'un groupe d'une certaine taille dotée d'un service de médecine du travail, n'a pu ignorer l'existence de la réglementation très ancienne en matière d'inhalation de poussières. L'employeur ne peut dès lors soutenir qu'il n'a pas eu conscience du danger auquel étaient exposés ses salariés. Par ailleurs, il ne résulte pas des documents produits, que M. Alexandre Z... a été informé du risque amiante, ni que des mesures de protection spécifiques ont été mises en oeuvre, l'employeur soutenant qu'il n'avait pas conscience du danger. Il convient en conséquence, au vu des éléments ci-dessus, de dire que l'employeur a eu conscience du danger auquel était exposé M. Alexandre Z..., mais n'a pas pris toutes les mesures de protection nécessaires à mettre en oeuvre pour l'en préserver. L'employeur a, en conséquence, manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de M. Alexandre Z... qui caractérise une faute inexcusable imputable à l'employeur. Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris sur ce point. L'indemnisation des préjudices et de la majoration des rentes de la victime et des ayant droits n'étant pas contestée, il n'y a pas lieu de statuer sur leur fixation à hauteur de cour. Sur la demande d'imputation au compte spécial : l'employeur sollicite l'affectation au compte spécial des conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée. L'appréciation de l'affectation des dépenses liées à la prise en charge de la maladie professionnelle d'un salarié sur le compte spécial relève de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale lorsque la notification définitive du taux accident du travail n'a pas encore été effectuée à l'encontre de l'employeur. En l'espèce, l'employeur ne justifie pas que ladite notification du taux accident du travail n'a pas été effectuée à son encontre. Il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement sur ce point, en ce qu'il a rejeté toutes autres prétentions » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la faute inexcusable de l'employeur ne peut être retenue que pour autant que l'affection déclarée par la victime revêt le caractère d'une maladie professionnelle ; qu'il incombe, en cas de contestation, à la juridiction saisie de rechercher, après débat contradictoire, si la maladie a un caractère professionnel au regard des dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il incombe au salarié et à la CPAM qui prétendent établir que le caractère professionnel sur le fondement d'un tableau de maladie professionnelle de rapporter la preuve que l'ensemble des conditions du tableau sont remplies ; que la preuve de l'exposition au risque et de sa durée ne saurait résulter de seules déclarations du salarié qui ne sont corroborées par aucun élément objectif produit aux débats ; qu'au cas présent, pour estimer que la durée d'exposition aurait été d'au moins dix ans, conformément aux exigences du tableau n°30 bis, la cour d'appel s'est fondée exclusivement sur les déclarations du salarié au cours de l'instruction faisant état d'une exposition à l'amiante au sein des aciéries de [...] et à relever qu' « aucun élément du dossier ne permet de dire que les travaux à effectuer [
] ne comportaient pas l'utilisation de plaques contenant de l'amiante » (arrêt p. 6) ; qu'en se fondant ainsi sur les seules déclarations du salarié, qui n'étaient corroborées par aucun autre élément de preuve produit aux débats, pour estimer que le salarié aurait été exposé au risque au sein de l'usine de [...] et que la condition de durée d'exposition était remplie, la cour d'appel a violé les articles 1315 du code civil et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble le tableau de maladies professionnelles n°30 bis ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le caractère professionnel d'un cancer broncho-pulmonaire ne peut être établi sur le fondement du Tableau n°30 bis qu'à condition que le salarié ait accompli pendant plus de 10 ans des travaux susceptibles de l'exposer à l'amiante figurant dans une liste limitative et ne peut donc être établi au vu de la seule exposition du salarié à l'inhalation de poussières d'amiante ; que, pour juger que la condition tenant à la durée d'exposition serait remplie, la cour d'appel s'est bornée à relever que « L'employeur ne conteste pas la durée d'exposition relevée au sein de l'usine de [...], soit 9 ans et 8 mois » et que « les travaux exécutés en qualité de grutier au sein de l'usine de [...] ont forcément mis la victime en contact avec les poussières d'amiante, amiante contenue dans les plaques à poser dans les lingotières » ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à caractériser une exposition résultant de l'accomplissement de travaux figurant dans la liste limitative du tableau n°30 bis pendant au moins dix ans, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de ce tableau et de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.