CIV.3
CGA
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2018
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10014 F
Pourvoi n° F 16-28.750
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par Mme Monique X..., épouse Y..., domiciliée [...] ,
contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2016 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme Nathalie Z..., épouse A...,
2°/ à M. Thierry A...,
tous deux domiciliés [...] ,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 décembre 2017, où étaient présents : M. Chauvin, président, Mme Meano, conseiller référendaire rapporteur, Mme Masson-Daum, conseiller doyen, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme X..., de Me Haas, avocat de M. et Mme A... ;
Sur le rapport de Mme Meano, conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ; la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme A... ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR débouté Mme Y... de sa demande tendant notamment à voir constater que Mme Y... était bien propriétaire, outre du Moulin de [...] , des ouvrages accessoires nécessaires à son exploitation, en particulier du canal d'amenée et des francs bords situés de part et d'autre de cet ouvrage, constater qu'elle était tenue d'une obligation d'entretien et de curage dudit canal nécessitant de pouvoir passer et déposer les produits de curage sur les francs-bords, en conséquence condamner sous astreinte les époux A... à retirer toute entrave ou obstacle interdisant l'accès au bief amont ou canal d'amenée et francs bords, de manière à ce qu'elle ou toute autre personne de son chef puisse y accéder afin de réaliser les travaux d'entretien et de curage nécessaires au maintien en bon état des ouvrages et condamner solidairement les époux A... à lui verser la somme de 18 872,88 € au titre de la remise en état du bief et la somme de 3 000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il n'est pas discuté que l'immeuble dénommé Moulin de [...] et ses ouvrages de prise et d'adduction d'eau existaient antérieurement à la révolution française de 1789 comme le prouvent un bail de 1752 et un acte de vente du 2 août 1779 versés aux débats ; que ce moulin bénéficie donc d'un droit fondé en titre à l'usage de l'eau ; que les parties s'opposent sur le point de savoir si Mme Y... a ou non perdu ce droit invoqué au soutien de ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 546 du code civil ; que le droit à l'usage de l'eau attaché à un moulin fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages destinés à son utilisation ; qu'en l'espèce, si les ouvrages de prise et d'adduction d'eau du Moulin de [...] sont toujours présents, il ressort des pièces produites que la roue à aubes a disparu à une date indéterminée ainsi que toutes la machinerie nécessaire à la transformation de l'énergie hydraulique à l'intérieur de l'immeuble ; que son titre de propriété en date du 3 novembre 1987 désigne en outre le bien acquis par Mme Y... ainsi qu'il suit : « commune de [...] (Orne) lieudit " [...] " : un immeuble sis à [...] (Orne) en bordure du chemin vicinal ordinaire n° 6 de [...] à [...] , comprenant : 1 Maison d'habitation ancienne distribuée en : salle de séjour, une chambre, cabinet de toilettes et WC, une cave et deux garages (eau et électricité) ; 2 Maison rénovée comprenant : - au rez-de-chaussée : salle de séjour, cuisine, une chambre et WC – à l'étage : trois grandes chambres, salle de bains, WC, deux cabinets de toilette (chauffage central électrique, eau et électricité) Jardin autour et verger de l'autre côté de la route » ; que le même acte rappelle que l'immeuble tel que désigné a été vendu le 27 février 1980 par les consorts D... E... à M. Y... et à Mme Ginette F... divorcée Y..., vendeurs de Mme X... épouse Y... ; que l'acte de vente du 3 novembre 1987 fait ainsi clairement apparaitre que Mme Y... a acquis un immeuble à usage d'habitation et non un moulin hydraulique, que l'ancien moulin a été désaffecté à une date que la cour ne peut déterminer faute de disposer des titres de ses auteurs mais nécessairement antérieure au 27 février 1980, date à laquelle ses propres vendeurs ont acquis l'immeuble dans l'état qui est aujourd'hui le sien ; que l'immeuble acheté par Mme Y... est dépourvu de toute fonction utilitaire autre que celle d'habitation, ce que confirment la disparition ancienne de la roue à aubes et de la machinerie de l'ancien moulin à l'intérieur de l'immeuble ainsi que l'absence de toute référence aux ouvrages de prise et d'adduction d'eau dans son titre ; que le moulin de [...] ayant cessé d'être utilisé comme tel avec les conséquences qui s'attachaient à cette utilisation pour devenir un bien exclusivement affecté à l'habitation Mme Y... a perdu le droit d'usage de l'eau qui y était attaché ; que par conséquent l'appelante ne peut revendiquer l'application à son profit de la présomption de propriété de l'emprise du canal et des francs bords résultant des dispositions de l'article 546 du code civil ni contraindre les époux A..., propriétaires de la parcelle empruntée par ce canal à lui laisser le passage pour procéder à son entretien et le jugement déféré doit être confirmé dans ses dispositions déboutant Mme Y... de toutes ses demandes ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE comme le soutient Mme Y... la présomption légale de propriété vise les canaux d'amenée et de fuite du moulin si trois conditions sont réunies ; le canal doit avoir été creusé par la main de l'Homme pour le service exclusif du moulin sans qu'aucun titre contraire ne vienne s'opposer à cette accession ; que la jurisprudence a, en outre, assez récemment exigé que le moulin soit en activité pour que la règle s'applique (Arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2011 n° 10 14645) ; qu'il est constant que le moulin de [...] ne dispose plus d'une toue à eau, que si Mme Y... déclare que cette absence est provisoire, elle n'indique pas à quelle date elle aurait été enlevée ; que les photographies produites au dossier par Mme Y... permettent de constater que cette absence est ancienne puisque si la chute d'eau est toujours en place, l'emplacement de la roue dans le mur des bâtiments n'existe plus, le mur ayant été totalement rebouché à une date sûrement ancienne ; que d'ailleurs l'acte de vente du 3 novembre 1987 à Mme Y... ne mentionne pas qu'il s'agit d'un moulin ; qu'il y est mentionné une maison d'habitation ancienne et une maison rénovée ; que ce titre de propriété de Mme Y... de 1987 décrit donc l'achat d'une maison d'habitation sans mention d'un mécanisme de moulin ; que le lieudit est d'ailleurs "[...] " et non moulin de [...] ; qu'il n'existe plus sur la propriété de Mme Y... d'ouvrage ou de matériel susceptible d'utiliser la force motrice de l'eau ; que les précédents propriétaires ont donc renoncé à une date indéterminée avant 1987 à leur droit d'usage de l'eau ; qu'il en résulte que le bien de Mme Y... est un ancien Moulin transformé en habitation ; que l'acte de propriété de cette dernière ne fait pas plus référence au canal d'accès et surtout les actes font clairement apparaître qu'il s'agit seulement d'une maison d'habitation ; que cet ancien moulin antérieur à la révolution est ainsi privé de toute fonction utilitaire autre que celle d'habitation et cela antérieurement à l'acquisition par Mme Y... ; qu'à défaut d'exploitation du moulin, Mme Y... ne peut se prévaloir de la présomption de propriété du bief et de ses francs bords ; qu'elle ne peut disposer de plus de droits que ses auteurs ; que par conséquent Mme Y... ne peut se prévaloir de l'article 546 du code civil pour se prétendre propriétaire par accession du canal d'amenée d'eau objet du litige ; qu'en application de l'article L. 215-2 du Code de l'environnement ce d'eau appartient aux propriétaires des rives jusqu'à la moitié du lit en présence de deux propriétaires riverains dudit cours d'eau sauf titres ou prescription contraires ; qu'au surplus, les pièces produites par Madame Y... ne permettent pas d'établir clairement que ce canal sinueux a été creusé de la main de l'homme puisque les rapports de l'aspirant ingénieur des ponts et chaussées de 1839 et 1840 sont contredits par les éléments cadastraux tendant à démontrer que le ruisseau du [...] serait distinct de ceux des [...] et de [...] ; qu'il est également difficile de comprendre comment le lit naturel du ruisseau du [...] se transformerait en ruisseau de [...] pour ensuite se dénommer à nouveau ruisseau du [...] après le passage de l'ancien moulin de [...] , la démonstration n'est pas clairement établie puisque dans les rapports des ponts et chaussée de 1839 et 1840, il est également mentionné que les locataires des prés voisins du ruisseau du [...] (canal litigieux) l'utilisent pour l'irrigation ; qu'à cet égard, une photographie d'une clé d'irrigation ancienne est produite aux débats ; que ses deux conditions faisant ainsi défaut, la présomption de ce fait sera écartée ;
1°) ALORS QUE le droit d'eau, fondé en titre, ne se perd pas par le non-usage dès lors que la force motrice du cours d'eau est susceptible d'être utilisée en raison de la persistance des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau, peu important que le moulin soit délabré et n'ait pas été utilisé depuis longtemps ; qu'en retenant, pour estimer que « Mme Y... a[vait] perdu le droit d'usage de l'eau » (arrêt page 4, al. 5) que le moulin n'était plus utilisé depuis longtemps, que la roue à aubes et la machinerie de l'ancien moulin avaient disparu et que l'immeuble acquis n'était plus affecté qu'à l'habitation (arrêt page 4, al. 4), quand elle constatait que « les ouvrages [essentiels] de prise et d'adduction d'eau du Moulin de [...] [étaient] toujours présents » (arrêt page 3, al. 6) de sorte que la force hydraulique du cours d'eau pouvait être utilisée, moyennant une remise en état de la machinerie, la cour d'appel a violé l'article 546 du code civil ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, Mme Y... soulignait que « grâce à la chute d'eau du moulin et à la force de l'eau qui y circule, M. et Mme Y... exploitent sur le site depuis 2015 une petite turbine hydroélectrique qui utilise l'énergie hydraulique et produit l'électricité nécessaire à leur consommation personnelle » et en concluait que « contrairement à ce que sout[enaient] les époux A... non seulement la faculté d'utiliser l'énergie électrique demeure mais au surplus cette énergie hydraulique est bien utilisée à l'heure actuelle pour produire de l'électricité » (conclusions page 10, pénultième et dernier al.) ; qu'en se fondant, pour débouter Mme Y... de ses prétentions, sur la disparition de la roue à aubes et de la machinerie du moulin, considéré par elle comme « désaffecté » (arrêt page 4, al. 4) sans répondre au moyen susvisé, la cour d'appel a méconnu les exigences posées par l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que Mme Y... avait versé aux débats (pièce n° 25) un « procès-verbal de visite de Moulin de [...] établi par l'Ingénieur des ponts et chaussées en septembre 1839, à la suite d'une visite sur site intervenue le 8 août précédent (dont version dactylographiée est annexée à ce document), lequel fait état de la constatation suivante : « nous avons fait alors remplir le bief d'amont du moulin de [...] de manière à araser l'eau au niveau du déversoir et nous avons reconnu qu'entre le moulin de [...] et le chemin d'[...] à [...] le bief a été creusé de main d'Homme sur le flanc du coteau gauche du vallon » », ainsi qu'une « coupe en travers jointe au plan des lieux établi en 1839 » (pièce n°28) qui permettait de vérifier que le canal du Moulin de [...] de même que les digues qui le bordent se trouvent « en net surplomb du lit naturel du ruisseau, cette configuration non naturelle confirmant qu'il a été créé par la main de l'Homme sur le coteau dominant les prés traversés par le cours d'eau » (conclusions page 18, al. 3) et l'acte de vente du Moulin de [...] du 27 février 1867 (pièce n° 30) précisant que ce moulin avait « toujours joui exclusivement de l'eau d'un ruisseau dont le cours a[vait] été primitivement détourné et encaissé dans un canal fait de main d'homme pour l'usage dudit moulin » ; qu'en retenant qu'il n'était pas clairement établi que le canal litigieux avait été creusé de la main de l'homme sans examiner ces éléments, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE peut bénéficier de la présomption de propriété du canal et de ses francs-bords le propriétaire de l'ouvrage hydraulique pour le service exclusif duquel le canal a été creusé à l'origine ; qu'en se fondant, pour écarter la revendication de Mme Y... sur le canal alimentant le Moulin de [...] , sur le fait que des locataires voisins avaient pu l'utiliser pour l'irrigation, au cours du 19e siècle, sans rechercher, comme elle y était invitée, si celui-ci n'avait pas été à l'origine affecté à l'usage exclusif du moulin, peu important que d'autres utilisations aient pu apparaître par la suite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 546 du code civil.