CIV.3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2018
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10004 F
Pourvoi n° R 16-27.241
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par :
1°/ le GFA Terres du domaine du grand [...],
2°/ le GFR Le Vignoble du domaine du grand [...],
3°/ la société des Domaines du grand [...] , société civile d'exploitation agricole,
ayant toutes trois leur siège domaine du grand [...], [...] ,
contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2016 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre civile, section A), dans le litige les opposant :
1°/ au GFA domaine du petit [...],
2°/ à la société du petit [...], société civile immobilière,
ayant toutes deux leur siège domaine du petit [...], [...] ,
défenderesses à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 décembre 2017, où étaient présents : M. Chauvin, président, M. Echappé, conseiller rapporteur, Mme Masson-Daum, conseiller doyen, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat du GFA Terres du domaine du grand [...] , du GFR le Vignoble du domaine du grand [...] et de la société des domaines du grand [...] , de Me Carbonnier, avocat du GFA domaine du petit [...] et de la SCI du petit [...] ;
Sur le rapport de M. Echappé, conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le GFA Terres du domaine du grand [...] , le GFR le Vignoble du domaine du grand [...] et la société des domaines du grand [...] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du GFA Terres du domaine du grand [...] , du GFR le Vignoble du domaine du grand [...] et de la société des domaines du grand [...] ; les condamne à payer au GFA domaine du petit [...] et à la SCI du petit [...] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour le GFA Terres du domaine du grand [...] , le GFR le Vignoble du domaine du grand [...] et la société des domaines du grand [...]
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les fonds propriétés des GFA Terres du Domaine du Grand [...] et GFR des Domaines du Grand [...] ne sont plus enclavés depuis l'acquisition du domaine de [...] , et d'avoir, en conséquence, débouté le GFA Terres du Domaine du Grand [...] , le GFR des Domaines du Grand [...] et la SCEA des Domaines du Grand [...] de leur demande tendant à voir reconnaître le bénéfice, au profit de leurs fonds, d'un droit de passage sur le chemin existant sur les parcelles cadastrées [...] et [...] appartenant au GFA Domaine du Petit [...] et à la SCI du Petit [...] , accédant au rond-point de la route départementale [...] ,
AUX MOTIFS QUE
« Sur l'état d'enclave
Selon l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou une issue insuffisante, notamment pour l' exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
C'est le moyen qu'oppose à titre principal en cause d'appel le Grand [...] au Petit.
Il n'est plus sérieusement discuté, après le rapport d'expertise, que quatre des accès du Grand [...] à la voie publique sont inopérants :
- un accès ancien à un chemin de terre dit des [...] a été fermé à la circulation par l'autorité publique,
- trois portails situés sur la propriété du Grand [...] donnant directement sur la [...], alors à quatre voies, ne peuvent constituer un issue satisfaisante sur la voie publique dans des conditions d'utilisation normale et sans danger pour les propriétaires ou occupants, ce qu'a encore confirmé le conseil départemental du Gard dans un courrier du 29 décembre 2014.
Reste l'accès par le chemin ouest dit de [...] dont dispose désormais le Grand [...] après réunion entre ses mains des deux propriétés, fait nouveau depuis le jugement déféré.
Et la situation d'enclave prend fin si le fonds enclavé peut être desservi au travers d'un fonds contigu appartenant au même propriétaire dès lors que ce dernier dispose d'un accès suffisant à la voie publique, l'article 685-1 du code civil disposant qu'en cas de cessation de l'état d'enclave, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682 du code civil.
Le Grand [...] soutient cependant, pour caractériser l'état d'enclave persistant, que l'accès par le chemin ouest dit de [...] est insuffisant.
Il fait valoir à ce titre :
- que l'accès est dangereux dès lors qu'il se situe à l'entrée d'une section qui passe de deux voies à une seule dans le sens [...] ,
- que la visibilité n'est pas bonne en raison de la situation à l'intérieur d'une courbe avec présence de végétation,
- qu'un panneau de limitation de vitesse à 70km/h est situé quasiment au droit de la sortie par [...] ,
- que cette sortie sur une voie à sens unique ne permet pas un accès direct vers [...] et impose de partir en direction de Montpellier pour tourner à un carrefour giratoire situé plus loin, ce qui suppose un détour de plus d'un kilomètre,
- que l'administration a déjà indiqué qu'elle s'opposerait à tout aménagement de cette sortie dès lors qu'il existait en amont, c'est-à-dire plus au sud au débouché du chemin du Petit [...] sur la RN [...], un carrefour giratoire.
Mais il sera relevé:
- s'agissant des inconvénients qui s'attachent à cet accès au regard des avantages que procureraient au Grand [...] l'accès qu'il revendique par le chemin du Petit [...] en direction du carrefour giratoire situé au sud sur la RD [...], que les seules exigences de commodité ou de convenances personnelles ne caractérisent pas l'état d'enclave, la question en litige n'étant pas le choix entre deux passages d'un fonds dominant enclavé sur des fonds contigus au regard des critères de l'article 683 du code civil, mais le point de savoir si le Grand [...] depuis l'acquisition du domaine de [...] est enclavé ou non,
- que l'accès par l'ouest et le domaine de [...] constitue l'accès historique du Grand [...] - et d'ailleurs du Petit [...] jusqu'aux années 1965- à la voie publique, cet accès constituant l'assiette des servitudes réciproques instituées par l'acte de partage de 1955,
- qu'il résulte des pièces produites que le domaine de [...] a toujours utilisé sans problème signalé cet accès, y compris après la réalisation dans les années 70 de la RD [...], comme le révèlent les attestations produites par les intimés eux-mêmes (Mme Rose Z... et M. Salvatore A...), lesquelles font état du refus opposé courant 2008 par les propriétaires du domaine de [...] à l'‘utilisation de ce chemin par le domaine du Grand [...] , d'où il ressort nécessairement que cet accès était praticable et utilisé par le domaine de [..] ,
- qu'au regard de ces éléments, le courrier d'un directeur adjoint en charge de l'unité territoriale de [...] (services délocalisés du conseil départemental) daté du 6 mai 2015 et dont la réponse sur une éventuelle dangerosité de l'accès au domaine de [...] parait sinon sollicitée du moins opportune, est dépourvue de force probante dès lors qu'il ne résulte d'aucune pièce que le domaine de [...] , dont la destination agricole n'est pas discutée, se soit jamais prévalu depuis la création de la route départementale [...] en 1972, d'un état d'enclave au motif d'une issue insuffisante ou dangereuse à la voie publique, fût-ce pour des engins agricoles ou des poids lourds, ou ait même exigé de l'administration tel aménagement particulier destiné à renforcer la sécurité de cet accès,
- que l'affirmation de ce même fonctionnaire territorial selon laquelle le classement de la RD [...] en niveau I du schéma routier départemental n'autorise pas la création d'accès direct nouveau et prévoit la suppression des accès directs non indispensables est sans incidence sur l'existence depuis plus d'un demi-siècle d'un accès direct et indispensable du domaine de [...] sur cette voie publique,
- que les énonciations du rapport expertal du cabinet Chapuis, auquel le Grand [...] a fait unilatéralement appel sans contradiction de quiconque, et qui précise sa mission en ces termes "Le présent rapport a pour but de démontrer à quel point la sortie du chemin dit de [...] sur la RD[...] est dangereuse", ce qui peut légitimement faire douter de la neutralité de ses analyses et constatations, se trouvent contredites par plusieurs constats d'huissier qui évoquent "un accès qui ne présente aucune dangerosité du fait d'une part de la largeur de la voirie RD [...] (deux voies) et de la ligne droite de plusieurs centaines de mètres le précédant", ces observations se trouvant confortées à la fois par les photographies au débat qui témoignent de la largeur de cet accès au débouché d'un chemin dont l'expert judiciaire relève qu'il a une assiette de 5 mètres et une structure de chaussée suffisante pour une desserte par tout temps et pour tous engins, notamment agricoles, le passage étant "libre" et ne comportant "aucune contrainte", la route étant plane au point de jonction, la vitesse y étant limitée à 70 km/heure, la visibilité parfaitement dégagée sur 150 mètres, les pièces au débat indiquant que celle-ci peut atteindre 250 mètres au débouché exact sur la voie publique,
- que l'état invoqué du chemin par temps de pluie ou une végétation trop abondante au point de jonction, toutes choses qu'il appartient aux nouveaux propriétaires d'améliorer dans le cadre de l'entretien normal de leurs fonds, ne sauraient caractériser une situation d'enclave, la seule utilisation constante de cet accès à la voie publique par le domaine de [...] jusqu'au rachat de ce dernier par le Grand [...] suffisant à établir, et de manière déterminante pour l'issue du litige, son caractère suffisant, adapté à la destination des fonds, et exempt de danger, l'absence de giratoire au point de jonction constituerait-elle un moindre avantage pour le Grand [...] au regard de la situation de voirie dont bénéficie le Petit.
Il en résulte que l'accès par le chemin de [...] à la voie publique existe et que son issue est suffisante au sens de l'article 682 du code civil de sorte que le domaine du Grand [...] n'est plus enclavé depuis sa dernière acquisition.
Le jugement déféré sera par conséquent infirmé et il sera dit qu'aucune servitude conventionnelle de passage ni par destination du père de famille n'existe au profit du domaine du Grand [...] sur le chemin d'accès cadastré [...] ni en son prolongement jusqu'au carrefour giratoire sur la RD [...] et que le domaine du Grand [...] n'est pas enclavé depuis l'acquisition du domaine de [...] , » (arrêt, p. 6 à 8),
1°) ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis qui leurs sont soumis ; qu'en jugeant que le domaine du Grand [...] n'était pas enclavé, l'accès par le chemin de [...] à la voie publique étant suffisant, l'expert judiciaire ayant relevé que ce chemin avait « une assiette de cinq mètres et une structure de chaussée suffisante pour une desserte par tout temps et pour tous engins, notamment agricoles » (arrêt, p. 8, al. 1) alors que l'expert avait estimé « la structure de chaussée suffisante pour une desserte par tout temps et tout véhicule léger (y compris agricole) » (rapport d'expertise de M. B..., p. 65 et 99), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport d'expertise, en méconnaissance du principe de l'obligation pour les juges de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer, que ce soit par commission ou par omission, les pièces claires et précises régulièrement produites aux débats ; qu'en jugeant que l'accès par le chemin dit de [...] ne présentait « aucune dangerosité du fait d'une part de la largeur de la voirie RD [...] (deux voies) et de la ligne droite de plusieurs centaines de mètres le précédant », ce qui ressortirait tant de divers constats d'huissiers que des photographies produites au débat et du rapport de l'expert judiciaire qui a relevé que ce chemin avait « une assiette de cinq mètres et une structure de chaussée suffisante pour une desserte par tout temps et pour tous engins, notamment agricoles, le passage étant "libre" et ne comportant "aucune contrainte" » alors que l'expert judiciaire, dans son rapport définitif, avait conclu à la dangerosité de cet accès (rapport d'expertise de M. B..., p. 83, dernier al. ; p. 92, 96 et p. 107, al. 2), la cour d'appel a dénaturé par omission le rapport d'expertise de M. B... et violé le principe de l'obligation pour les juges de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
3°) ALORS QUE le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds ; qu'en énonçant que la seule utilisation constante par le domaine de [...] du chemin dit de [...] , pour accéder à la voie publique, jusqu'au rachat de ce dernier par le Grand [...] suffirait à établir, et de manière déterminante pour l'issue du litige, son caractère suffisant, adapté à la destination des fonds, et exempt de danger (arrêt, p. 8, al. 2 et p. 7, al. 5 et 6), la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé l'article 682 du code civil ;
4°) ALORS QUE le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds ; qu'en jugeant que la seule utilisation constante par le domaine de [...] du chemin dit de [...] , pour accéder à la voie publique, jusqu'au rachat de ce dernier par le Grand [...] suffirait à établir, et de manière déterminante pour l'issue du litige, son caractère suffisant, adapté à la destination des fonds, et exempt de danger (arrêt, p. 8, al. 2 et p. 7, al. 5 et 6) sans caractériser ni l'usage qu'en faisait le domaine de [...] avant son rachat par le domaine du Grand [...] ni l'usage qu'en ferait ce dernier depuis son rachat, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision et privé sa décision de base légale au regard de l'article 682 du code civil.