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17/01/2018 | FRANCE | N°16-21522

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 janvier 2018, 16-21522


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 14 février 2000 en qualité de chef de chantier par la société entreprise G...           , M. Y... a été licencié pour faute grave par lettre du 3 octobre 2011 ;

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et rejeter les demandes du salarié au titre de la rupture abusive du contrat de travail, l'arrêt retient, après avoir

constaté que seuls les propos consistant en « tu ne vas pas faire comme B..., me mettre la press...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 14 février 2000 en qualité de chef de chantier par la société entreprise G...           , M. Y... a été licencié pour faute grave par lettre du 3 octobre 2011 ;

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et rejeter les demandes du salarié au titre de la rupture abusive du contrat de travail, l'arrêt retient, après avoir constaté que seuls les propos consistant en « tu ne vas pas faire comme B..., me mettre la pression » étaient établis, que ces propos, qui comportent une dimension critique revendiqué par le salarié comme son droit à la liberté d'expression mais aussi une connotation irrespectueuse à l'égard de son employeur appelé « B... » et non M. B..., outre l'imputation à celui-ci d'un comportement répréhensible consistant à lui mettre la pression, dépassent les limites de la liberté d'expression et ont été proférés en présence d'un client potentiel de l'entreprise dont la visite sur le chantier avait pour but de le déterminer à prendre l'employeur comme fournisseur de sorte que l'impression retirée par le représentant de ce client était importante pour l'avenir commercial de la société et que le salarié avait déjà fait l'objet d'un rappel à l'ordre pour manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi dans son contrat de travail ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les propos critiques, même vifs, reprochés au salarié, qui présentait une ancienneté dans l'entreprise de plus onze années, ne caractérisent pas un fait constitutif d'un abus dans sa liberté d'expression rendant impossible son maintien dans l'entreprise et constituant une faute grave, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement fondé sur une faute grave et rejette les demandes de M. Y... à ce titre, l'arrêt rendu le 6 juillet 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société F... G...            aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société F... G...            et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par Me A..., avocat aux Conseils, pour M. Y...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de M. Y... par la société F... G...            était fondé sur une faute grave ;

AUX MOTIFS QUE

« Le courrier du 30 septembre 2011 est libellé comme suit : suite à l'entretien préalable auquel vous avez été convoqué et qui s'est tenu le lundi 26 septembre 2011, nous sommes contraints à devoir vous notifier votre licenciement pour fautes graves ; que nous vous rappelons que les faits qui nous conduisent à devoir prendre une telle décision à votre égard sont liés à ce qui suit ; que le mercredi 14 Septembre 2011, lors de notre visite sur le chantier de Pontoise les Noyon, et en présence du Directeur d'exploitation, Monsieur Patrick C... et du client, lorsqu'il vous a été demandé si le chantier était bientôt terminé, vous avez, avec véhémence et sans retenue, indiqué à celui-ci en substance: « Tu ne vas pas faire comme B..., me mettre la pression. Ils sont bourrés de fric (en parlant de Monsieur B...) » ; que de tels propos de votre part, excessifs et totalement non justifiés, sont injurieux et diffamatoires à l'égard de la Direction ; qu'il s'agit là de propos portant atteinte à l'honneur et au crédit des dirigeants de la société B... avec la circonstance aggravante que ces propos ont été tenus en la présence du client, mettant ainsi dans une situation peu confortable notre société à l'égard de ce dernier ; qu'en outre, comment pouvez-vous parler de pression mise à votre égard par la Direction de la société B... alors que, contrairement à vos collègues de travail qui occupent la même fonction au sein de notre société, ces derniers sont amenés à suivre deux voire trois chantiers, là où vous n'avez à suivre qu'un seul chantier ; que vos propos et votre attitude ne procèdent pas d'une exécution loyale et de bonne foi de votre contrat de travail et, d'ailleurs, nous avions déjà été contraints en septembre 2009 à devoir vous notifier une lettre d'observations relativement à l'exécution défectueuse de votre part de votre contrat de travail ; que de la même façon, vous avez fait preuve d'une insubordination, étant ici précisé que vous n'observez pas les observations qui peuvent vous être formulées dans un souci de qualité et d'exigence ; que pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, nous sommes donc contraints à devoir vous notifier votre licenciement immédiat pour fautes graves, donc sans préavis ni indemnité de licenciement ; (
) qu'il résulte en l'espèce, des témoignages contradictoires versés aux débats par les parties qu'ils s'accordent uniquement sur la phrase prononcée par M. Jean-Pierre Y... le 14 septembre 2011 telle qu'il suit : « tu ne vas pas faire comme B..., me mettre la pression », le salarié reconnaissant avoir tenu ces propos ; que la suite des propos: "Ils sont bourrés de fric", n'est pas établie par les pièces contradictoires du débat ; que M. D..., client mentionné dans la lettre de licenciement, a établi l'attestation suivante, non utilement contestée : lors de ma visite à l'entreprise B... le 14 septembre 2011 afin de référencer cette entreprise comme éventuel fournisseur, nous avons effectué une visite de chantier à Pontoise les Noyon ; que j'étais accompagné de Mlle Delphine B... et de Monsieur Patrick C.... Nous avons fait le tour du chantier avec le chef de chantier. M. Jean-Pierre Y... et, j'ai pu constater à un certain moment que cette personne a tenu des propos vis à vis de l'entreprise B... mettant très mal à l'aise Mlle B... vis à vis de moi ; qu'il ressort de ce qui précède que les propos que M. Jean-Pierre Y... reconnaît avoir tenus comportent, certes, une dimension critique que le salarié revendique comme son droit à sa liberté d'expression, mais également une connotation irrespectueuse à!' égard de son employeur appelé "B..." et non Monsieur B..., outre l'imputation à celui-ci d'un comportement répréhensible "mettre la pression" ; que ces propos qui dépassent les limites de la liberté d'expression, ont enfin été proférés en présence d'un client de l'entreprise, client qui n'était que potentiel et dont la visite sur le chantier avait pour but de le déterminer à la prendre comme fournisseur, de sorte que l'impression retirée par M. D... de cette visite était importante pour l'avenir commercial de la société ENTRPRISE G...            ; qu'il ressort de l'article L.1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; que le salarié qui exerce ses fonctions au service d'une entreprise se doit, tout au long de l'exécution de son contrat, de travailler dans l'intérêt de celle-ci et ne peut commettre des actes susceptibles de lui porter préjudice ; qu'il s'en suit qu'il est établi de la part de M. Jean-Pierre Y... un manquement caractérisé à ses obligations contractuelles ; que par ailleurs, la lettre de licenciement fixe définitivement les termes du litige et lie les parties et le juge, en sorte que ce dernier ne saurait retenir à l'appui de sa décision des motifs non exprimés dans la lettre de notification de la rupture ; que dans cette lettre, la société F... G...            fait référence à un seul précédent d'exécution défectueuse de son contrat de travail par M. Jean-Pierre Y... ayant donné lieu à une lettre d'observations de septembre 2009, de sorte que des événements différents et des sanctions antérieures et notamment de plus de 3 ans au licenciement, ne seront pas pris en compte ; que le courrier du 7 septembre 2009, qui n'est pas spécialement contesté par le salarié est libellé comme suit : « par courrier du 27 août 2009, nous vous convoquions à un entretien fixé au 2 septembre 2009 pour une entrevue avec M. E..., chargé de mission de l'entreprise. Vous avez refusé la présentation de ce courrier par la poste. Curieusement, le 29 août vous avez cru bon de nous adresser une correspondance dans le cadre de laquelle vous nous indiquiez que vous demandiez de faire les réunions pendant les heures de travail. La situation est pour le moins extraordinaire puisqu'alors que nous vous convoquons pour une réunion, vous refusez la convocation. Cela étant exposé, nous ne pouvons que vous inviter à davantage de loyauté et de bonne foi dans l'exécution de vos fonctions. Rappelons que le 27 août 2009, nous vous avions convoqué à l'instar de vos collègues chefs de chantier pour faire le point sur les rapports de chantier le chiffrage de ceux-ci et surtout l'organisation des chantiers. Or, vous avez brillé par votre absence. Nous vous rappelons que la participation aux réunions pendant vos heures de travail n'est pas une faculté mais une obligation. Lorsque nous vous convoquons à 16h, vous êtes dans le cadre de votre travail. Nous ne comprenons pas votre attitude qui consiste à tenter d'échapper aux convocations et de manière incidente à ne pas rendre compte de votre activité. Vous comprendrez qu'une telle situation ne saurait perdurer et nous vous recommandons d'être présent aux prochaines réunions dans le cas contraire nous nous verrons dans l'obligation de prendre des sanctions disciplinaires à votre égard » ; que ce courrier a un caractère comminatoire, reproche au salarié des manquements à ses obligations contractuelles et s'accompagne de menace de sanction à défaut de réaction du salarié ; que le salarié a en tout état de cause déjà été rappelé à l'ordre pour manquements à ses obligations de loyauté et de bonne foi dans l'exécution de son contrat de travail et a renouvelé le même comportement le 14 septembre 2011, mettant son employeur en difficulté face à un client potentiel ; qu'en égard à ces éléments qui ne sont pas remis en cause de manière pertinente par les témoignages de satisfaction à son égard ou critiques à l'égard de l'employeur qui sont produits par M. Y..., les griefs invoqués par la société G...            seront jugés constitutifs d'une faute grave et le licenciement sera désormais jugé fondé ; que le salarié sera en conséquence débouté de ses demandes subséquentes » ;

ALORS, D'UNE PART,

QUE La faute grave résulte d'une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que, dans la présente espèce, lors d'une visite de chantier, M. Y..., chef de chantier, a manifesté une réaction d'humeur à l'égard du directeur d'exploitation en s'exprimant ainsi : « tu ne vas pas faire comme B..., me mettre la pression » ; que cette déclaration spontanée traduisait un contexte de travail difficile et des tensions avec la direction ; qu'elle est toutefois isolée, M. Y..., employé de la société entre 1991 et 1999 puis à compter de 2000, n'ayant jamais reçu la moindre sanction disciplinaire ; qu'ainsi, cette seule phrase, qui au demeurant n'a eu aucune conséquence pour l'employeur, ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise et, dès lors, ne constituait pas une faute grave ; qu'ainsi, en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART,

QUE Les juges du fond ne peuvent s'en tenir à la gravité des faits pour caractériser ou exclure la faute grave, sans examiner les circonstances de leur commission et leurs conséquences ; qu'en jugeant que M. Y... avait commis une faute grave en s'exclamant « tu ne vas pas faire comme B..., me mettre la pression », sans s'intéresser, d'une part, aux conditions de travail décrites par l'employé, qui invoquait des souffrances physiques ainsi qu'une pression accrue, ni, d'autre part, à l'absence de conséquences de cette déclaration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-21522
Date de la décision : 17/01/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 06 juillet 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 jan. 2018, pourvoi n°16-21522


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.21522
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