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09/11/2016 | FRANCE | N°15-19398

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 09 novembre 2016, 15-19398


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 2 avril 2015), que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de la région Aquitaine de la Banque de France (le CHSCT) a décidé le 19 juin 2014, afin de mesurer l'impact de la gestion des effectifs sur les conditions de travail et la santé des agents, de recourir à une expertise pour risque grave ;
Attendu que le CHSCT fait grief à l'arrêt d'annuler la délibération relative à la désignation d

'un expert, alors, selon le moyen :
1°/ que la contestation par l'employeur ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 2 avril 2015), que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de la région Aquitaine de la Banque de France (le CHSCT) a décidé le 19 juin 2014, afin de mesurer l'impact de la gestion des effectifs sur les conditions de travail et la santé des agents, de recourir à une expertise pour risque grave ;
Attendu que le CHSCT fait grief à l'arrêt d'annuler la délibération relative à la désignation d'un expert, alors, selon le moyen :
1°/ que la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT sur le fondement des dispositions de l'article L. 4614-12 1° ne peut concerner que le point de savoir si un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; que, dès lors qu'un tel risque est caractérisé, le CHSCT est seul juge de la nécessité de recourir à une mesure d'expertise, sauf abus ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT Banque de France Aquitaine ayant décidé de la mesure d'expertise contestée, la cour d'appel a relevé que le comité avait choisi la voie de l'expertise sans avoir fait usage de pouvoirs d'enquête propres ni saisi l'inspection du travail ou le médecin du travail ; qu'en statuant ainsi alors que la décision du CHSCT de recourir à une mesure d'expertise n'est pas subordonnée à la condition que le CHSCT ait préalablement fait usage de tout ou partie des autres prérogatives qui lui sont conférées, la cour d'appel a violé les articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ;
2°/ que la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT sur le fondement des dispositions de l'article L. 4614-12 1° ne peut concerner que le point de savoir si un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; que dès lors qu'un tel risque est caractérisé, le CHSCT est seul juge de la nécessité de recourir à une mesure d'expertise, sauf abus ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT Banque de France Aquitaine ayant décidé de la mesure d'expertise contestée, la cour d'appel a retenu que le comité ne rapportait pas la preuve d'un risque nouveau qui n'aurait pas fait l'objet d'une étude dans le rapport d'expertise fait en mai 2013 par le cabinet SECAFI ; qu'en statuant ainsi alors que la décision du CHSCT de recourir à une mesure d'expertise n'est pas subordonnée à la condition que cette expertise ait un objet distinct des précédentes expertises diligentées par le comité, la cour d'appel a violé les articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ;
3°/ que n'ont pas le même objet l'expertise menée en application du 1° de l'article L. 4614-12 lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement et celle menée en application du 2° de l'article L. 4614-12 en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; qu'en l'espèce, le CHSCT Banque de France Aquitaine faisait valoir que l'expertise litigieuse, votée en application de l'article L. 4614-12 1°qui se fondait sur l'existence d'un risque grave consécutif aux conditions de mise en oeuvre du projet de réorganisation présenté par la Banque de France n'avait pas le même objet que la mission d'expertise précédemment confiée au cabinet SECAFI qui avait été décidée dans le cadre de l'article L. 4614-12 2°en vue d'éclairer le comité sur ce projet ; qu'en retenant, pour annuler la délibération du CHSCT Banque de France Aquitaine décidant de la mesure d'expertise contestée, que le comité ne rapportait pas la preuve d'un risque nouveau qui n'aurait pas fait l'objet d'une étude dans le rapport d'expertise fait en mai 2013 par le cabinet SECAFI sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette précédente mesure d'expertise ne s'inscrivait pas dans le cadre du 2° de l'article L. 4614-12 si bien qu'elle ne pouvait avoir le même objet que le mesure litigieuse dont elle avait constaté qu'elle avait été ordonnée sur le fondement du 1° de ce même texte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ;
4°/ que le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement qu'en l'espèce, pour justifier le recours à une mesure d'expertise, le CHSCT Banque de France Aquitaine invoquait notamment une absence de visibilité de la cible finale et des méthodes de calcul en termes d'effectifs et d'organisation générant incertitude et anxiété chez les agents ; que, pour écarter l'absence de risque grave justifiant une mesure d'expertise, la cour d'appel a retenu que l'absence de lisibilité (sic) à l'horizon 2020 était communément partagée par tous les salariés, et de façon plus prégnante par ceux travaillant en secteur privé concurrentiel non protégé, et dépendait pour partie d'éléments macro-économiques et réglementaires, le cas échéant d'initiative européenne, que l'employeur ne maîtrisait pas ; qu'en statuant par ce motif inopérant d'ordre général sans rechercher si, au sein de l'établissement en cause, cette absence de visibilité et l'anxiété qu'elle générait chez les agents concernés ne caractérisait pas un risque grave au sens des dispositions de l'article L. 4614-12 1° du code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ces dispositions et de celles de l'article L. 4614-13 du même code ;
5°/ que le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'un risque grave justifiant le recours à une mesure d'expertise, la cour d'appel a relevé que l'enquête sur les risques psycho-sociaux conduite en 2013 ne faisait pas apparaître que les agents de la région Aquitaine fussent plus exposés que ceux d'autres régions à ces risques et, même qu'ils étaient globalement plus satisfaits de leur travail et moins stressés ; qu'ayant ainsi constaté que les salariés de la région Aquitaine étaient exposés à des risques psycho-sociaux, la cour d'appel ne pouvait écarter l'existence d'un risque grave au motif que cette exposition aurait été moindre que dans d'autres établissements de la Banque de France ; qu'en statuant par ce motif inopérant, elle a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ;
6°/ que le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; qu'en l'espèce, pour justifier le recours à une mesure d'expertise, le CHSCT Banque de France Aquitaine invoquait notamment une diminution des effectifs ayant conduit à une surcharge de travail ; qu'ayant constaté un déficit de quatorze équivalents agent temps plein au sein de l'établissement en 2013 et alors que la Banque de France reconnaissait dans ses conclusions que la charge de travail globale au niveau de l'établissement était restée constante, la cour d'appel a écarté l'existence d'un risque grave lié à ce sous-effectif au motif que le non-remplacement des départs en retraite pouvait être compensé par l'évolution des charges et méthodes de travail ; qu'en statuant par ce motif inopérant d'ordre général, sans rechercher si la diminution des effectifs constatée à charge de travail constante n'avait pas entraîné une surcharge de travail constitutive d'un risque grave pour les agents restés en poste, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ;
7°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, en retenant que le CHSCT était défaillant dans la preuve qui lui incombait d'un risque grave identifié et actuel à la date de la délibération sans examiner l'ensemble des pièces produites par le CHSCT et visées dans ses conclusions pour caractériser l'existence d'un tel risque et, en particulier, les résultats de l'enquête épidémiologique menée en 2013 par les docteurs X... et Y... et le rapport annuel d'activité pour 2013 de l'assistante sociale, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°/ que le risque grave justifiant que le CHSCT décide de faire appel à un expert doit être actuel au jour où la mesure d'expertise est décidée et, le cas échéant, lorsque le premier juge statue sur le recours formé par l'employeur qui conteste la nécessité de cette expertise ; qu'en conséquence, quand bien même le risque grave sur lequel se fondait le CHSCT pour justifier du recours à une expertise ne serait plus caractérisé au jour où la cour d'appel statue, il lui appartient de déterminer si la demande de l'employeur en annulation de cette expertise était justifiée lorsqu'elle a été soumise au premier juge ; qu'en l'espèce, pour accueillir le recours de la Banque de France en annulation de la décision d'expertise prise par le CHSCT Banque de France Aquitaine, la cour d'appel a retenu que le rapport déposé le 30 janvier 2015 par le cabinet Indigo Ergonomie, expert désigné par le CHSCT, indiquait que, fin 2014, un rééquilibrage des ressources humaines était intervenu grâce à des arrivées massives d'agents hors région et particulièrement à Bordeaux et que la direction avait mis en place une cartographie régionale prévisionnelle des départs qui constituait un levier proactif ; qu'en se fondant sur ces circonstances postérieures à la décision qui lui était déférée pour conclure à l'absence de risque grave sans rechercher si un tel risque était caractérisé à la date où le premier juge a été saisi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail ;
Mais attendu qu'abstraction faite de motifs surabondants critiqués par les première, deuxième, quatrième, cinquième et huitième branches, la cour d'appel, par une appréciation souveraine des éléments de preuve et de fait qui lui étaient soumis, sans avoir à s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, a d'une part constaté la prise en charge depuis cinq ans, au sein de chaque unité, des risques psycho sociaux, la diminution de la souffrance au travail, et par rapport à 2013, celle des arrêts de travail, de même que le délai raisonnable dans lequel les remplacements intervenaient ainsi que l'anticipation de certains départs, d'autre part relevé que si le déficit de personnel s'élevait en 2013 à quatorze emplois, les élus du CHSCT avaient au mois de juillet 2014 exprimé leur satisfaction de la politique menée en matière d'effectifs, et enfin que la charge de travail n'était pas en augmentation ; qu'elle a pu en déduire l'absence d'un risque grave au sens de l'article L. 4614-12 1° du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Banque de France aux dépens ;
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la Banque de France à payer au CHSCT de l'établissement de la région Aquitaine de la Banque de France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la Banque de France Aquitaine.
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé la délibération du CHSCT Aquitaine de la Banque de France relative à la désignation d'un expert lors de la réunion du 19 juin 2014 ;
AUX MOTIFS QUE « L'article L 4614-12 du code du travail dispose : "Le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé : 1° lorsqu'un risque grave , révélé ou non par un accident du travail une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement 2° en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L 4612-8. " II n'est pas contesté que l'expertise a été ordonnée sur le fondement du 1° de ce texte, soit sur la notion de risque grave. Il est admis que l'expertise peut être fondée sur un risque grave de nature psycho-sociale. Le risque doit être identifié et actuel. La charge de la preuve de l'existence du risque grave incombe au comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail. L'expertise s'est déroulée et le rapport en a été déposé le 30 janvier 2015, pour un coût de 99000 € hors frais de déplacement. Dans le contexte d'une information sur la marche de l'entreprise et les projets de réorganisation à l'horizon 2020 présentés au niveau national, donnée au comité central d'entreprise de la Banque de France, une précédente expertise a été demandée par le CHSCT Aquitaine par délibération du 27 novembre 2012, et après rejet de la contestation par la Banque de France par ordonnance du 13 janvier 2013, confiée au cabinet SECAFI Alpha, dont le rapport a été déposé le 16 mai 2013. L'ordonnance déférée a considéré que cette expertise n'avait pas le même objet, que le rapport 2013 de l'assistante sociale faisait état de préoccupations, que des témoignages de salariés étaient produits, que l'examen du bilan social daté de mars 2014 montrait la progression de l'absentéisme, même s'il n'était pas différencié selon les régions, que la région était globalement en état de tension et exposée aux risques selon une enquête médicale, que les problèmes d'effectifs étaient réels. La Banque de France fait valoir que l'ordonnance ne caractérise pas le risque grave, l'absence de risque grave et la carence du CHSCT dans la preuve, conteste les éléments invoqués par le CHSCT et retenus par l'ordonnance, fait état du compte rendu de la séance du CHSCT du 22 juillet 2014 au cours de laquelle "les élus soulignent avec satisfaction cette orientation dans la gestion des moyens humains compte tenu de la politique menée en matière d'effectifs", fait état des aspects positifs de l'enquête épidémiologique, de l'absence de risque grave au vu de l'analyse des arrêts maladie, souligne que la réorganisation à l'horizon 2020 a déjà fait l'objet d'une expertise en 2013, que la charge de travail est constante et n ' a pas augmenté, que la pétition est peu probante par le faible nombre de signatures (9 à Bordeaux sur 150 agents), que les attestations ne sont qu'au nombre de huit et émanent pour quatre d'entre elles de membres du CHSCT ou d'une déléguée du personnel et sont formellement irrégulières. Elle mentionne que le rapport a été déposé le 31 janvier 2015 par le cabinet Indigo ergonomie dont elle fait valoir les conclusions favorables. Enfin, la Banque de France critique le coût de l'expertise, de 99840 € + frais par comparaison avec d'autres expertises et souligne que le cabinet Indigo ergonomie a commencé l'expertise à ses risques et périls. Le CHSCT fait valoir que le risque grave est constitué par le manque de lisibilité à l'horizon 2020, le remplacement tardif des départs, l'accroissement des charges, le nombre de jours d'arrêt de travail, que la Banque de France dénature le rapport d'expertise déposé, ainsi que le mentionne le dit cabinet Indigo ergonomie, que les frais d'avocat doivent demeurer à la charge de l'employeur, que le cabinet Indigo ergonomie n'est pas à la procédure. Le CHSCT Aquitaine, seul CHSCT des 28 CHSCT de France à renouveler une expertise sur le fondement du 1° de l'article L4614-12 du code du travail après celle ordonnée en novembre 2012 par le comité central d'entreprise, couvre cinq agences et environ 180 salariés dont 150 à l'agence de Bordeaux. Il est observé que le CHSCT a été mandaté par le comité d'établissement le 22 mai 2014 et que dès le 19 juin 2014, le CHSCT, sans avoir fait usage de pouvoirs d'enquête propres ni saisi l'inspection du travail ou le médecin du travail, a choisi aussitôt la voie de l'expertise. Il apparaît que le CHSCT est défaillant dans la preuve qui lui incombe d'un risque grave identifié et actuel à la date de la délibération, risque nouveau qui n'aurait pas fait l'objet d'une étude dans le rapport fait en mai 2013 par le cabinet SECAFI. En effet, l'absence de lisibilité à l'horizon 2020 est communément partagée par tous les salariés, et de façon plus prégnante par ceux travaillant en secteur privé concurrentiel non protégé, et dépend pour partie d'éléments macro- économiques et réglementaires, le cas échéant d'initiative européenne, que l'employeur ne maîtrise pas, et l'employeur ne dispose pas sur ce point de davantage d'éléments que lors de l'expertise de 2013. Le bilan social invoqué par le CHSCT et retenu par l'ordonnance ne différencie pas la région Aquitaine, de sorte que le risque n'est pas spécialement établi pour cette région. Les risques psycho-sociaux sont gérés de façon paritaire en Aquitaine depuis près de cinq ans par des réunions quadripartites se tenant dans chaque unité (médecin du travail, assistante sociale, représentant du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail et direction locale). Dans ce contexte, une enquête sur les risques psycho-sociaux a été conduite en 2013, dont les données brutes ont été communiquées en décembre 2013 et les résultats définitifs par région en septembre 2014 ; elle ne fait pas apparaître, au contraire, que les agents de la région Aquitaine soient plus exposés que ceux d'autres régions, et même qu'ils sont globalement plus satisfaits de leur travail et moins stressés (pièces 8 et 9, et 14 et 15). S'agissant des remplacements non effectués ou effectués avec retard, il apparaît que ces remplacements interviennent dans un délai raisonnable et même que certains départs sont anticipés, et il ne peut être déduit de l'absence de concomitance systématique entre les départs et les arrivées un risque grave au sens du texte invoqué. L'arrivée d'un nouveau salarié avec sa charge de travail ne peut constituer un risque grave en soi. Au demeurant, le CHSCT ne peut sans contradiction à la fois critiquer le fait que des salariés partent sur une autre agence sans transfert de leur charge de travail et le fait que des agents arrivent avec leur charge de travail, sauf à considérer que toute mutation inter-agences est en soi un risque grave, ce qui paraît confiner à l'immobilisme. Le non remplacement des départs en retraite peut être compensé par l'évolution des charges et des méthodes de travail. Le déficit sur 2013 s'élevait à 14 EATP (équivalent agent temps plein) sur 180 mais il a été noté par le CHSCT lors de sa réunion du 22 juillet 2014 que "les élus soulignent avec satisfaction cette orientation dans la gestion des moyens humains compte tenu de la politique menée en matière d'effectifs », ce qui ne peut relever comme l'allègue le CHSCT de l'ironie, et relativise le bienfondé de la délibération prise quatre semaines auparavant. De même, le compte rendu de la réunion du CHSCT du 5 et 12 septembre 2013 (pièce 7 de l'intimé) fait état d'éléments positifs notamment sur les agences de Bordeaux, Pau et Mont-dé-Marsan avec une diminution du niveau de souffrance au travail. En outre, la pétition produite par le CHSCT n'a recueilli que neuf signatures sur les 150 agents de Bordeaux et n'est signé par aucun agent de deux des cinq agences, ce qui en relativise la portée. L'analyse des arrêts de travail ne révèle pas d'augmentation de leur nombre ou de leur durée, et même une diminution par rapport à 2013 (pièce n°10 de l'appelante), et le ratio d'absentéisme en Aquitaine demeure inférieur à celui constaté au niveau national, et en Aquitaine on note une baisse des congés maladie de moins de trois mois. Il ne peut être considéré par ailleurs que la charge de travail est en augmentation: si la modification de la procédure de surendettement a pu générer au moment de son entrée en vigueur un surcroît de travail, comme toute nouveauté, cette réforme a un objectif de simplification qui peut être obtenu après intégration de la nouvelle procédure, le nombre de dossiers restant stable; le recours à la collecte des bilans des entreprises par voie électronique dispense de la saisie manuelle et constitue un allégement de charges. Plus généralement, les huit attestations (sur 180 agents) produites qui sont pour la plupart formellement irrégulières (dactylographiées, pas de pièce d'identité) comme souligné par l'ordonnance qui les a néanmoins retenues et pourraient à ce titre être écartées, émanent pour quatre d'entre elles de membres du CHSCT ou de délégué du personnel et ne sont pas suffisamment significatives, se bornant à relater des troubles du sommeil qui peuvent avoir des causes multiples, et une anxiété générale. L'assistante sociale fonde essentiellement son attestation sur la préoccupation relative à la mise en oeuvre du projet de plan du réseau à 2020, dont il a été indiqué supra qu'il ne pouvait suffire à fonder une nouvelle expertise, et fait état d'un besoin d'accompagnement social qui relève de son rôle, lequel n'est pas remis en question. Enfin, le rapport déposé le 30 janvier 2015 par le cabinet Indigo ergonomie, qui a procédé à ses risques et périls à l'expertise en dépit de l'appel, mentionne certes de l'anxiété face à l'avenir, des troubles du sommeil et de la colère ou de l'irritation, mais en réalité pas de risque grave et conclut en indiquant que « fin 2014 , un rééquilibrage des ressources est intervenu grâce aux arrivées massives d'agents hors région et particulièrement à Bordeaux » , que la direction a mis en place une cartographie régionale prévisionnelle des départs » qui constitue « un levier proactif » et a une « politique ressources humaines plutôt réactive » ; la mention de ces éléments ne constitue pas la dénaturation alléguée par le cabinet Indigo ergonomie dans la lettre qu'il a cru devoir adresser le 10 mars 2015 au CHSCT, procédé peu compatible avec la neutralité qu'imposé son statut d'agréé par le ministère du travail. » ;
ALORS en premier lieu QUE la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT sur le fondement des dispositions de l'article L. 4614-12 1° ne peut concerner que le point de savoir si un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; que, dès lors qu'un tel risque est caractérisé, le CHSCT est seul juge de la nécessité de recourir à une mesure d'expertise, sauf abus ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT Banque de France Aquitaine ayant décidé de la mesure d'expertise contestée, la Cour d'appel a relevé que le Comité avait choisi la voie de l'expertise sans avoir fait usage de pouvoirs d'enquête propres ni saisi l'inspection du travail ou le médecin du travail ; qu'en statuant ainsi alors que la décision du CHSCT de recourir à une mesure d'expertise n'est pas subordonnée à la condition que le CHSCT ait préalablement fait usage de tout ou partie des autres prérogatives qui lui sont conférées, la Cour d'appel a violé les articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du Code du travail ;
ALORS en deuxième lieu QUE la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT sur le fondement des dispositions de l'article L. 4614-12 1° ne peut concerner que le point de savoir si un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; que dès lors qu'un tel risque est caractérisé, le CHSCT est seul juge de la nécessité de recourir à une mesure d'expertise, sauf abus ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT Banque de France Aquitaine ayant décidé de la mesure d'expertise contestée, la Cour d'appel a retenu que le Comité ne rapportait pas la preuve d'un risque nouveau qui n'aurait pas fait l'objet d'une étude dans le rapport d'expertise fait en mai 2013 par le cabinet SECAFI ; qu'en statuant ainsi alors que la décision du CHSCT de recourir à une mesure d'expertise n'est pas subordonnée à la condition que cette expertise ait un objet distinct des précédentes expertises diligentées par le Comité, la Cour d'appel a violé les articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du Code du travail ;
ALORS en toute hypothèse QUE n'ont pas le même objet l'expertise menée en application du 1° de l'article L. 4614-12 lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement et celle menée en application du 2° de l'article L. 4614-12 en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; qu'en l'espèce, le CHSCT Banque de France Aquitaine faisait valoir que l'expertise litigieuse, votée en application de l'article L. 4614-12 1°qui se fondait sur l'existence d'un risque grave consécutif aux conditions de mise en oeuvre du projet de réorganisation présenté par la Banque de France n'avait pas le même objet que la mission d'expertise précédemment confiée au cabinet SECAFI qui avait été décidée dans le cadre de l'article L. 4614-12 2°en vue d'éclairer le Comité sur ce projet ; qu'en retenant, pour annuler la délibération du CHSCT Banque de France Aquitaine décidant de la mesure d'expertise contestée, que le Comité ne rapportait pas la preuve d'un risque nouveau qui n'aurait pas fait l'objet d'une étude dans le rapport d'expertise fait en mai 2013 par le cabinet SECAFI sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette précédente mesure d'expertise ne s'inscrivait pas dans le cadre du 2° de l'article L. 4614-12 si bien qu'elle ne pouvait avoir le même objet que le mesure litigieuse dont elle avait constaté qu'elle avait été ordonnée sur le fondement du 1° de ce même texte, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du Code du travail ;
ALORS ensuite QUE le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement qu'en l'espèce, pour justifier le recours à une mesure d'expertise, le CHSCT Banque de France Aquitaine invoquait notamment une absence de visibilité de la cible finale et des méthodes de calcul en termes d'effectifs et d'organisation générant incertitude et anxiété chez les agents ; que, pour écarter l'absence de risque grave justifiant une mesure d'expertise, la Cour d'appel a retenu que l'absence de lisibilité (sic) à l'horizon 2020 était communément partagée par tous les salariés, et de façon plus prégnante par ceux travaillant en secteur privé concurrentiel non protégé, et dépendait pour partie d'éléments macro-économiques et réglementaires, le cas échéant d'initiative européenne, que l'employeur ne maîtrisait pas ; qu'en statuant par ce motif inopérant d'ordre général sans rechercher si, au sein de l'établissement en cause, cette absence de visibilité et l'anxiété qu'elle générait chez les agents concernés ne caractérisait pas un risque grave au sens des dispositions de l'article L. 4614-12 1° du Code du travail, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ces dispositions et de celles de l'article L. 4614-13 du même Code ;
ALORS encore QUE le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'un risque grave justifiant le recours à une mesure d'expertise, la Cour d'appel a relevé que l'enquête sur les risques psycho-sociaux conduite en 2013 ne faisait pas apparaître que les agents de la région Aquitaine fussent plus exposés que ceux d'autres régions à ces risques et, même qu'ils étaient globalement plus satisfaits de leur travail et moins stressés ; qu'ayant ainsi constaté que les salariés de la région Aquitaine étaient exposés à des risques psycho-sociaux, la Cour d'appel ne pouvait écarter l'existence d'un risque grave au motif que cette exposition aurait été moindre que dans d'autres établissements de la Banque de France ; qu'en statuant par ce motif inopérant, elle a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du Code du travail ;
ALORS en outre QUE le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, est constaté dans l'établissement ; qu'en l'espèce, pour justifier le recours à une mesure d'expertise, le CHSCT Banque de France Aquitaine invoquait notamment une diminution des effectifs ayant conduit à une surcharge de travail ; qu'ayant constaté un déficit de 14 équivalents agent temps plein au sein de l'établissement en 2013 et alors que la Banque de France reconnaissait dans ses conclusions que la charge de travail globale au niveau de l'établissement était restée constante, la Cour d'appel a écarté l'existence d'un risque grave lié à ce sous-effectif au motif que le non-remplacement des départs en retraite pouvait être compensé par l'évolution des charges et méthodes de travail ; qu'en statuant par ce motif inopérant d'ordre général, sans rechercher si la diminution des effectifs constatée à charge de travail constante n'avait pas entraîné une surcharge de travail constitutive d'un risque grave pour les agents restés en poste, la Cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du Code du travail ;
ALORS par ailleurs QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, en retenant que le CHSCT était défaillant dans la preuve qui lui incombait d'un risque grave identifié et actuel à la date de la délibération sans examiner l'ensemble des pièces produites par le CHSCT et visées dans ses conclusions pour caractériser l'existence d'un tel risque et, en particulier, les résultats de l'enquête épidémiologique menée en 2013 par les Docteurs X... et Y... et le rapport annuel d'activité pour 2013 de l'assistante sociale, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS enfin QUE le risque grave justifiant que le CHSCT décide de faire appel à un expert doit être actuel au jour où la mesure d'expertise est décidée et, le cas échéant, lorsque le premier juge statue sur le recours formé par l'employeur qui conteste la nécessité de cette expertise ; qu'en conséquence, quand bien même le risque grave sur lequel se fondait le CHSCT pour justifier du recours à une expertise ne serait plus caractérisé au jour où la Cour d'appel statue, il lui appartient de déterminer si la demande de l'employeur en annulation de cette expertise était justifiée lorsqu'elle a été soumise au premier juge ; qu'en l'espèce, pour accueillir le recours de la Banque de France en annulation de la décision d'expertise prise par le CHSCT Banque de France Aquitaine, la Cour d'appel a retenu que le rapport déposé le 30 janvier 2015 par le cabinet Indigo Ergonomie, expert désigné par le CHSCT, indiquait que, fin 2014, un rééquilibrage des ressources humaines était intervenu grâce à des arrivées massives d'agents hors région et particulièrement à Bordeaux et que la direction avait mis en place une cartographie régionale prévisionnelle des départs qui constituait un levier proactif ; qu'en se fondant sur ces circonstances postérieures à la décision qui lui était déférée pour conclure à l'absence de risque grave sans rechercher si un tel risque était caractérisé à la date où le premier juge a été saisi, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15-19398
Date de la décision : 09/11/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 02 avril 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 09 nov. 2016, pourvoi n°15-19398


Composition du Tribunal
Président : Mme Lambremon (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.19398
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