LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
-- M. Gilbert X...,Mme Annie Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BESANÇON, chambre correctionnelle, en date du 7 mars 2013, qui, pour fraude fiscale, les a condamnés chacun à 360 jours-amende de 100 euros, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 juin 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : Mme Nocquet, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, Mme Ract-Madoux, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DE LA LANCE, les observations de Me BOUTHORS, Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 8 de la Déclaration des droits de l'homme, 111-5, 131-5, 131-39 et 388 du code pénal, 1741 et suivants du code général des impôts, L. 228 du code des procédures fiscales, 7, 382, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que, la cour a validé la procédure, a considéré que la prescription de l'action publique n'était pas acquise pour la prévention relative à l'année 2005 et a condamné les prévenus du chef de fraude fiscale à raison d'une omission déclarative de leurs capitaux mobiliers au titre de l'exercice 2005 et a ordonné la publication de son arrêt ;
"aux motifs, d'une part, qu'il ne ressort pas des notes de l'audience du 9 mai 2012 que les prévenus aient soulevé « in limine litis » la nullité de la procédure fiscale au motif que l'avis de saisine de la CIF ne leur aurait pas été expédié à leur dernière adresse connue de l'administration fiscale ; qu'il s'ensuit qu'ils sont irrecevables à le faire pour la première fois à hauteur d'appel ; que, pour le surplus, l'avocat des époux X... a repris oralement « in limine litis » diverses exceptions qu'il avait déjà soulevées devant le tribunal correctionnel de Besançon tendant à voir prononcer la nullité des procédures fiscale et pénale à raison de l'incapacité des époux X... d'établir une déclaration fiscale compte tenu de leur admission au bénéfice de la liquidation judiciaire et aussi de l'incompétence territoriale du tribunal correctionnel de Besançon ; mais que, les époux X... ne justifient pas qu'ils étaient toujours placés en liquidation judiciaire en 2004, date à laquelle ils ont déclaré incomplètement leurs revenus, en 2005 comme l'ont relevé les premiers juges ; que la procédure de liquidation judiciaire ouverte à leur encontre le 6 mars 1998 par jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin, à la supposer encore en cours, ce qui paraît fort improbable au vu du passif vérifié s'élevant à environ 150 000 francs, est, nonobstant le principe de l'unicité du patrimoine, sans effet sur leur capacité à percevoir et à déclarer des revenus perçus postérieurement ; qu'en outre, la compétence de la juridiction s'apprécie à la date de la commission des infractions de sorte que l'exception d'incompétence territoriale est liée au fond, auquel elle sera dès lors jointe, puisque leur défense se fonde essentiellement sur leur absence de domicile en France, et plus particulièrement dans le Doubs, durant les années 2004 et 2005 (¿) ; que, les époux X... n'ont jamais déposé de déclaration auprès du centre des impôts des non-résidents en France comme ils y auraient été astreints s'ils se considéraient domiciliés principalement à l'étranger et leur enregistrement auprès du service des étrangers en Belgique le 9 avril 2004, lequel n'a que simple valeur déclarative, ne saurait, même conforté par un bail d'habitation en Belgique à compter du 1er juin 2004, leur permettre de démontrer qu'ils n'avaient pas conservé leur domicile dans le Doubs au moins jusqu'au 31 décembre 2005 ; qu'en ce qui concerne l'exercice 2005 pour les revenus devant être déclarés en 2006, la prescription fiscale triennale était normalement acquise le 31 décembre 2009 ; que compte tenu de la saisine de la CIF en date du 10 décembre 2008 (D. 148), ce délai était prorogé dans les mêmes conditions que rappelées ci-dessus de sorte qu'elle était acquise le 3 juin 2010 délai prorogé de vingt et un jours courant à compter de celui où la CIF a rendu son avis ; que les premiers mandements de citation à prévenu ayant été adressés par le parquet du tribunal de grande instance de Besançon à Me Dromard, huissier de justice à Pontarlier, en date du 2 février 2010, l'action publique pour les faits relatifs à l'exercice fiscal 2005 n'était pas prescrite ; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ces chefs ;
"aux motifs, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1741 du code général des impôts, le délit de fraude fiscale est réalisé au lieu du domicile fiscal du contribuable ; que, les époux X... n'ont pas indiqué à l'administration avoir leur résidence en Belgique depuis 2004 ; que, l'administration était fondée à penser que, pour l'exercice 2005, les intéressés demeuraient à leur ancienne adresse en France ; qu'il importe peu que les intéressés n'aient pas reçu les courriers afférents au contrôle (arrêt p. 9-10); que le 15 septembre 2006, les époux X... se sont manifestés pour la première fois pour informer les services fiscaux qu'ils n'avaient pas reçu l'intégralité de la demande de justification et leur faire savoir qu'ils avaient quitté le Doubs depuis plus d'un an et qu'ils étaient domiciliés à l'adresse de leur avocat 19 rue Hoche à Paris 8ème ; qu'outre des courriers ultérieurs à leur attention, retournés avec la mention « non réclamé », figure un courrier du 13 novembre 2007 portant une proposition de rectification après vérification de la comptabilité de la société Nutrideve anciennement société Wool Sales Nutrition International, l'administration ayant constaté au débit de ses comptes bancaires de nombreux virements intitulés « virements X... » à hauteur de 180 000 euros en 2005 qu'elle a taxé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers dès lors qu'ils ne pouvaient pas être considéré comme des salaires ; que, le 10 décembre 2007, les prévenus ont répondu pour contester la forme et le fond de cette proposition de rectification au motif qu'il appartiendrait à l'administration fiscale de démontrer qu'ils étaient effectivement assujettis à une obligation de déclaration fiscale de revenus en France pour l'année 2005 sans pour autant s'expliquer sur la réalité de la perception de ces revenus, laquelle a été clairement établie dans le cadre de l'exercice pour l'administration fiscale de son droit de communication ; qu'enfin, comme l'ont relevé avec pertinence les premiers juges, les époux X... n'ont jamais déposé de déclaration auprès du centre des impôts des non-résidents en France comme ils y auraient été astreints s'ils se considéraient domiciliés principalement à l'étranger et leur enregistrement auprès du service des étrangers en Belgique le 9 avril 2004, lequel n'a que simple valeur déclarative, ne saurait, même conforté par un bail d'habitation en Belgique à compter du 1er juin 2004, leur permettre de démontrer qu'ils n'avaient pas conservé leur domicile dans le Doubs au moins jusqu'au 31 décembre 2005 ; que, l'élément matériel de l'infraction est dès lors suffisamment établi ; que l'élément moral résulte quant à lui incontestablement de la volonté délibérée des prévenus d'échapper à tout contrôle et de leur refus réitéré de s'expliquer alors même qu'il ressort de leurs propres pièces qu'ils étaient parfaitement informés de la vérification fiscale dont il s'agit ; que, la déclaration de culpabilité du jugement entrepris sera donc confirmée ; qu'eu égard à la répétition de leurs actes délictueux et à l'importance des dissimulations et par suite, des droits éludés, la sanction prononcée par les premiers juges apparaît inadaptée et la cour, ne retenant que leur âge pour ne pas prononcer à leur encontre une peine d'emprisonnement ferme, les condamnera chacun à 360 jours-amende de 100 euros ; que, la publication de la décision étant une peine complémentaire obligatoire que la juridiction répressive est tenue de prononcer, le jugement entrepris sera également réformé de ce chef ;
"1°) alors que, la compétence territoriale des juridictions répressives est d'ordre public ; qu'en réputant les omissions déclaratives afférentes à l'exercice 2005 commises à l'ancien domicile fiscal du contribuable, faute pour l'administration poursuivante de disposer d'informations par elle jugées suffisantes quant à l'identification du nouveau domicile fiscal des requérants, qui étaient cependant devenus résidents français à l'étranger au moment des faits, lesquels avaient, du reste, donné lieu à un contrôle in abstentia de la part de l'administration, la cour n'a pas légalement établi sa compétence territoriale ;
"2°) alors que, la saisine ministérielle de la commission des infractions fiscales est un élément nécessaire à la mise en mouvement de l'action publique ; d'où il suit que le juge répressif, qui doit examiner sa compétence matérielle, doit mettre la cour de cassation en mesure de s'assurer de la régularité de la procédure préalable à l'engagement des poursuites ; que faute de ce faire, l'arrêt attaqué encourt derechef la censure ;
"3°) alors que, la prescription de l'action publique est d'ordre public ; que pour déclarer non prescrits les faits de la prévention afférents à l'exercice 2005, la cour retient que les premiers mandements de citation adressés par le parquet de Besançon à l'huissier instrumentaire, en date du 2 février 2010, ont interrompu la prescription normalement acquise le 31 décembre 2009 mais, selon elle, prolongée par la saisine de la CIF ; que cependant la saisine de la CIF dans le délai de prescription a seulement un effet suspensif, le délai de prescription reprenant son cours après l'avis par cet organisme ; que les seules énonciations de l'arrêt attaqué n'établissent pas, en l'espèce, que la prescription n'était pas acquise avant le 2 février 2010 ;
"4°) alors que, le mandement de citation adressé par le parquet à l'huissier instrumentaire n'est pas un acte de poursuite interruptif de prescription ; que seule en effet interrompt la prescription la citation régulièrement délivrée par l'huissier pour l'exécution de ce mandement ; que de ce chef encore, la cour d'appel n'a pas établi l'interruption utile de la prescription par le parquet ;
"5°) alors que la peine de publication et d'affichage de la décision prévue par l'article 1741 du code général des impôts est soumise au principe d'individualisation des peines et demeure facultative (Cons. const. déc. n° 2010-72/75/82 QPC du 10 décembre 2010, Alain D. et autres. Rec. 2010.382) ; que c'est à tort, dans ces conditions, que la cour d'appel a considéré avoir compétence liée pour prononcer pareille peine" ;
Sur le moyen, pris en ses quatre premières branches :
Attendu, d'une part, que, pour retenir la compétence territoriale contestée du tribunal correctionnel de Besançon, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a apprécié souverainement, au vu des pièces versées aux débats, que le domicile en France, dans le Doubs, des prévenus pour l'exercice fiscal 2005 n'était pas contestable, a justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, que, pour écarter le moyen de nullité de la procédure fiscale, les juges énoncent, à bon droit, que cette exception, qui n'a pas été soulevée devant le tribunal correctionnel avant toute défense au fond, est irrecevable ;
Attendu, enfin, que, pour dire non prescrits les faits de soustraction, par omission déclarative, à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les revenus au titre de l'année 2005 reprochés aux prévenus, l'arrêt relève qu'en application de l'article L. 230 du code de procédure fiscale, la prescription triennale était normalement acquise le 31 décembre 2009, que, compte tenu de la saisine de la commission des infractions fiscales le 10 décembre 2008 et de la date à laquelle cette commission a rendu son avis le 14 mai 2009, la prescription aurait été acquise le 3 juin 2010 et que les premiers mandements de citation aux prévenus ont été adressés par le procureur de la République à l'huissier le 2 février 2010 ; qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que le mandement de citation adressé par le ministère public à l'huissier de justice constitue un acte interruptif de prescription au sens de l'article 7 du code de procédure pénale, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte susvisé ;
Mais sur le moyen, pris en sa dernière branche :
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution, ensemble l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu, d'une part, qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;
Attendu, d'autre part, que nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X... et Mme Y... coupables de fraude fiscale, l'arrêt, retenant que la publication de la décision est une peine complémentaire obligatoire, ordonne, notamment, cette publication, par application des dispositions de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date des faits;
Mais attendu que ces dispositions ont été déclarées contrairesà la Constitution par la décision du 10 décembre 2010, prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française, le 11 décembre 2010 ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susviséde la cour d'appel de Besançon, en date du 7 mars 2013, en sa seule disposition ayant ordonné une mesure de publication, toutes autres dispositions étant maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix septembre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;