LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Ali X..., engagé le 15 juin 1988 en qualité d'ouvrier caviste à temps complet par la société Fruitière du massif jurassien, a été licencié pour faute grave, par lettre du 13 mai 2005 ;
Attendu que pour dire le licenciement du salarié fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeter ses demandes de dommages-intérêts l'arrêt retient que si les faits de harcèlement moral invoqués par le salarié ne sont nullement établis, en revanche les griefs retenus à son encontre par l'employeur sont au contraire bien réels ;
Attendu cependant que, sauf mauvaise foi, un salarié ne peut être sanctionné pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral ;
Qu'en statuant comme elle a fait, sans caractériser la mauvaise foi du salarié, alors qu'elle avait constaté qu'il avait été licenciée pour avoir relaté des faits de harcèlement, ce dont il résultait que le licenciement était nul, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Fruitière du massif jurassien aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Fruitière du massif jurassien et la condamne au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à payer la somme de 2 000 euros à Me Georges ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Georges, avocat aux Conseils pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que le licenciement de M. X... reposait sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a, en conséquence, rejeté les demandes de dommages-intérêts du salarié,
AUX MOTIFS QUE la lettre de licenciement notifiée à M. X... le 13 mai 2005, et qui fixe les limites du litige, énonce les griefs suivants : « A la suite de vos accusations de harcèlement moral, j'ai effectué une enquête dans l'entreprise qui a établi qu'en fait c'était vous qui faisiez du harcèlement moral à l'égard de vos collègues de travail. Dans ce cadre, je vous ai rencontré dans l'entreprise le 2 mai 2005. Cette rencontre et les circonstances de son déroulement m'ont contraint de vous signifier une mise à pied à titre conservatoire de 15 jours sans maintien de salaire. Je vous ai alors signifié, par lettre RAR datée du 2 mai 2005, une convocation à un entretien préalable pour le mardi 10 mai 2005 à 14h30 dans les locaux de l'entreprise, afin de vous expliquer sur les faits reprochés. J'étais accompagné de M. Raphaël Z..., votre supérieur hiérarchique, et de Mme Patricia A..., responsable des affaires sociales dans l'entreprise. Vous vous êtes présenté à cet entretien accompagné de M. Demir B... que vous avez présenté comme un « copain turc ». Cette personne ne faisant pas partie de l'entreprise et n'étant pas inscrite sur la liste établie par le préfet, j'ai refusé sa présence. Je vous ai demandé de vous expliquer : - sur votre plainte pour harcèlement moral et en particulier ce que vous avez subi et qui en est (ou en sont) l'auteur. - sur les témoignages de membres du personnel de l'entreprise s'étant plaints à votre égard d'injures, d'avoir été molestés, de subir des pressions morales… je n'ai pu obtenir des explications de votre part à l'exception de considérations politiques ou religieuses qui ne concernent pas l'entreprise. Votre attitude rend votre maintien dans l'entreprise impossible et après mûre réflexion j'ai décidé de vous licencier pour faute grave. » ; qu'il appartient à l'employeur d'établir la réalité des griefs allégués qualifiés par lui de faute grave ; qu'en ce sens, la société F.M.J. produit aux débats les témoignages écrits de salariés, à savoir : - Joël C..., qui indique que M. X... « a souvent des propos vulgaires à l'encontre des salariés de l'entreprise. En cas de désaccord, même minime avec les salariés et ses supérieurs hiérarchiques, il devient rapidement agressif … » ; - Jean-Michel D..., qui indique que M. X... « n'a jamais été harcelé par ses supérieurs. Au contraire, pour moi, ce monsieur est un provocateur qui n'hésite pas à être grossier … » ; - Pascal E..., qui déclare que M. X... « a des comportements agressifs avec les ouvriers et s'en prend à tout le monde … » ; - Maxime F..., qui écrit que M. X... « tenait des propos déplacés envers ses collègues de travail … » ; - Danièle G..., qui précise que M. X... l'a traitée de « putain » ; - Raphaël Z..., qui indique que le dirigeant de la société l'a informé avoir reçu un courrier de l'inspection du travail lui faisant part de plaintes de M. X... de harcèlement moral, mais que M. X... ne lui avait jamais fait part de telles accusations ; que la société F.M.J. produit en outre aux débats l'ordonnance de non-lieu du 7 avril 2008, rendue sur une plainte avec constitution de partie civile de M. X..., ordonnance dans laquelle le juge d'instruction indique que les auteurs des attestations ont confirmé le contenu de celles-ci, décrivant M. X... « comme un homme grossier, agressif, provocateur, contestataire … » et qu'aucune des personnes entendues ne confirmait le fait que M. X... ait pu faire l'objet d'un harcèlement moral ; que la force probante de ces témoignages des collègues de M. X... ne peut être niée par celui-ci ; que l'illustration par la société F.M.J., dans le cadre de la présente procédure, de ces griefs relatifs au comportement fautif de M. X... par des avertissements antérieurs révèle un caractère irascible récurrent ; que la société F.M.J. produit en outre aux débats la copie de la plainte de son dirigeant, M. H..., suite à l'attitude d'insubordination de M. X... du 2 mai 2005 ; que s'agissant des faits de harcèlement moral évoqués par M. X... auprès de l'inspection du travail, cette dernière, dans un courrier adressé à l'employeur le 16 mars 2005, a indiqué que M. X... s'était plaint de propos déplacés à caractère vexatoire et injurieux, comme de menaces de la part de plusieurs membres de sa hiérarchie, et ce de manière régulière depuis 2002, et d'un traitement blessant le 10 mars 2005 ; qu'aucun élément n'a permis de confirmer ces allégations de M. X... ; que M. X... maintient encore à hauteur d'appel avoir été victime de faits de harcèlement moral, au regard notamment de ses conditions de travail et d'une perte de rémunération ; que si les faits de harcèlement moral invoqués par M. X... ne sont nullement établis, en revanche, les griefs retenus à son encontre par la société F.M.J. sont au contraire bien réels ; qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de M. X... pour licenciement abusif et pour harcèlement moral ; que le comportement fautif n'est pas une faute grave mais constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (arrêt attaqué, pp. 5, 6, 7 et 8) ;
ALORS QU'en application des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné d'agissements constitutifs de harcèlement moral ; qu'un tel licenciement est nul de plein droit ; qu'il s'en déduit qu'un salarié qui fait état de faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits énoncés ne sont pas établis ; que pour décider que le licenciement de M. X... reposait sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive et harcèlement, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que, dans la lettre de licenciement, l'employeur indiquait n'avoir pu obtenir de M. X... d'explications concernant sa plainte pour harcèlement moral (arrêt attaqué, p. 6), a retenu que, s'agissant des faits de harcèlement moral évoqués par M. X... auprès de l'inspection du travail, aucun élément n'avait permis de confirmer ces allégations et qu'ainsi les faits de harcèlement moral invoqués n'étaient nullement établis (arrêt attaqué, p. 8) ; qu'ainsi, en retenant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, après avoir relevé que la lettre de licenciement reprochait au salarié de s'être plaint de faits de harcèlement moral sans les prouver, quand le grief tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'était pas constatée, emportait à lui seul la nullité de plein droit du licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.