LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 2 décembre 2010), qu'après leur transport maritime sous température dirigée, des colis de crevettes ont été entreposés dans les locaux de la société Entrepôts frigorifiques de la Basse Seine (la société EFBS) à la demande de la société Keres trading qui a demandé à la société STEF Transport Bordeaux Bègles, anciennement dénommée TFE Bordeaux (la société STEF), d'organiser le transport terrestre depuis le Havre jusqu'à Bruges (Gironde) ; que cette société a fait appel à la société Dugrand ; qu'à l'arrivée de la marchandise à Bruges, des réserves ont été émises sur la lettre de voiture pour températures non conformes ; qu'après avoir supporté des frais d'expertise et indemnisé son assurée, la société Keres Trading, la société GAN Eurocourtage, venant aux droits de la société Groupama transport, a assigné les sociétés Dugrand, EFBS et STEF ; que cette dernière a appelé en garantie la société Dugrand et ses assureurs, les sociétés Helvetia compagnie suisse d'assurances, Covea Fleet et SIAT (les assureurs) ;
Attendu que la société Dugrand fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée in solidum avec les assureurs et la société STEF à payer à la société GAN Eurocourtage la somme de 49 697,64 euros en réparation de son préjudice et de l'avoir condamnée avec les assureurs à garantir la société STEF de toutes les condamnations prononcées à son encontre, alors, selon le moyen :
1°/ que la réception par le transporteur des marchandises sans observations ni réserves ne lui interdit pas de rapporter la preuve, pour s'exonérer de la responsabilité qu'il encourt, que le dommage est imputable au fait d'un tiers antérieurement à leur prise en charge ; qu'il s'ensuit que le transporteur s'exonère de la responsabilité qu'il encourt en démontant que le dommage est imputable au fait de l'exploitant d'entrepôt frigorifique, à défaut pour ce dernier de rapporter la preuve qu'il était étranger à la détérioration de la chose qu'il avait reçue en dépôt en versant aux débats les relevés de température établissant que la chaîne du froid n'avait pas été rompue pendant qu'il avait la marchandise sous sa garde ; qu'en subordonnant l'exonération du transporteur à la démonstration que la marchandise était atteinte d'un vice propre antérieurement à sa prise en charge, en l'absence de réserves ou d'observations, sans que la société Dugrand puisse faire supporter à la société EFBS la charge de rapporter la preuve qu'elle avait maintenu les marchandises entreposées à la température prévue, quand la faute du dépositaire était présumée dans ses rapports avec les transporteurs successifs, à défaut pour elle de verser aux débats les relevés de température établissant que la détérioration des marchandises lui était étrangère, la cour d'appel a violé l'article L. 133-1 du code de commerce, ensemble les articles 1927, 1928 et 1933 du code civil ;
2°/ que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'elles ne nuisent ni ne profitent aux tiers ; qu'en se déterminant en considération des stipulations des conditions générales qui mettaient à la charge du déposant la preuve d'une faute du dépositaire quand cette convention sur la preuve était inopposable aux tiers dont la société Dugrand, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté qu'à destination, des réserves ont été émises en raison de températures non conformes comprises entre -14,8° et -11,9°C pour des colis de crevettes devant voyager à -18° C, l'arrêt relève que la société Dugrand a pris en charge la marchandise sans réserve ni vérification contradictoire de la température de la marchandise et du véhicule dans les conditions prévues par l'article 8.1 du contrat-type applicable et signé un bon de sortie de la société EFBS avec la mention "température produits inférieurs à -18°C reçu conforme" ; que l'arrêt relève encore que le disque partlow équipant le véhicule de la société Dugrand fait état d'une température enregistrée de +4° à -17°C sur une période de 4 heures et qu'à destination une partie du chargement présentait des niveaux thermiques hétérogènes et supérieurs à -15°C ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a déduit que la société Dugrand, garant, en application de l'article L. 133-1 du code de commerce, des avaries constatées à destination, n'apportait pas la preuve qui lui incombait de l'existence d'un vice propre de la marchandise excluant sa garantie ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt n'a pas dit que les conditions générales mettant à la charge de la société Keres Trading la preuve d'une faute de la société EFBS étaient opposables à la société Dugrand ; que le grief manque en fait ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Dugrand aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le conseiller doyen qui en a délibéré, en remplacement du président, à l'audience publique du treize mars deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Dugrand
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société DUGRAND in solidum avec les sociétés HELVETIA, COVEA FLEET, SIAT et TFE BORDEAUX à payer à la société GROUPAMA TRANSPORTS la somme de 49 697 € 64 en réparation de son préjudice et D'AVOIR condamné la société DUGRAND et les sociétés HELVETIA, COVEA FLEET et SIAT à garantir la société TFE BORDEAUX de toutes les condamnations prononcées à son encontre :
AUX MOTIFS QU'il est constant que la société Dugrand a pris en charge la marchandise sans émettre de réserves, ce dont il suit qu'elle est présumée responsable des avaries constatées à destination, présomption d'autant plus lourde qu'aucune vérification contradictoire de la température de la marchandise et du véhicule dans les conditions prévues par l'article 8.1 du contrat type température dirigée n'a été effectuée et qu'elle a signé le bon de sortie de la société EFBS sur lequel est inscrit "température produits inférieure à -18°C" reçu conforme" ; qu'il s'ensuit encore que seule la preuve formelle d'un vice propre de la marchandise préexistant à la prise en charge peut lui permettre de s'exonérer de cette présomption de responsabilité ; que le rapport de Monsieur X... n'est pas critiqué s'agissant des relevés de températures (tant de la marchandise que de l'unité frigorifique) auxquels ce dernier a procédé et des résultats d'analyses qu'il a fait faire, de telle sorte que les éléments de fait suivants sont constants : - la marchandise était atteinte de façon homogène et en quantité importante d'une mélanose apparaissant dans un délai rapide après décongélation ou cuisson, phénomène attestant d'une rupture importante de la chaîne du froid ; - en outre, ont été retrouvés dans deux échantillons des agents pathogènes (coliformes fécaux) résultant d'un défaut d'hygiène originaire totalement indépendant des opérations de transport - la semi-remorque était en bon état apparent et une vérification ultérieure a confirmé le bon état de fonctionnement de l'unité frigorifique ; - le disque parti ow équipant cette unité fait état d'une température d'indexation de -25°C en mode automatique pendant tout le transport terrestre et d'une température enregistrée de + 4°C à -17°C sur une période de 4 heures puis de -17°C sur une période de 8 heures puis de -20°C dans les deux heures précédant la livraison ; - à destination, une partie du chargement présentait des niveaux thermiques hétérogènes et supérieurs à -15°C, une autre partie du chargement ayant une température conforme ; - les relevés thermiques de la société EFBS n'ont jamais été fournis ; que pour autant, et hormis la question des coliformes fécaux dont il est acquis aux débats qu'ils constituent un vice antérieur au transport, l'expert n'a pu conclure sur les causes et origines de l'avarie qu'en procédant, selon ses propres termes, à une "déduction", précisant au demeurant qu'il lui aurait fallu être en possession des relevés thermiques de la société EFBS (qui ne lui ont jamais été fournis) pour conclure définitivement ; qu'en effet, ce n'est qu'en mettant en rapport l'homogénéité des résultats relatifs à la mélanose, l'hétérogénéité des températures relevées sur les palettes et les enregistrements thermiques qu'il parvient à la conclusion que la rupture de la chaîne du froid a dû se produire antérieurement au transport terrestre ; que, pour plausible qu'elle soit, cette conclusion n'est pas étayée de constatations matérielles, notamment relatives à la période antérieure au transport terrestre, faisant indubitablement la preuve d'une antériorité du vice ; qu'en l'absence de tous autres éléments de preuve que ce rapport d'expertise auquel elle se borne à se référer, la société Dugrand ne fait pas la démonstration positive qui lui incombe de l'existence d'un vice propre de la marchandise, étant ajouté qu'au regard de cette charge de la preuve, l'observation suivant laquelle la société EFBS ne justifierait pas quant à elle de ses propres obligations quant au respect de la chaîne du froid est inopérante ; qu'en conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu une "part de responsabilité de la société Dugrand, cette dernière ayant à répondre dans son intégralité du dommage subi à l'exclusion de celui résultant de la présence d'agents pathogènes et sous réserve du plafond d'indemnisation ;
ET QUE les parties s'accordent sur l'existence d'un contrat de dépôt ; que si la responsabilité du dépositaire est régie par les dispositions des articles 1927, 1932 et 1933 du code civil, le dépositaire peut toutefois l'exclure ou la limiter, s'agissant d'une responsabilité qui n'est pas d'ordre public ; que la société EFBS fait à cet égard état des "conditions générales du groupe Condigel'' régissant selon elle les prestations de dépôt conclues avec la société Keres trading et figurant au verso de toutes les factures, conditions que cette dernière prétend quant à elle n'avoir pas acceptées antérieurement au contrat de stockage ; que l'attestation de Monsieur Y... et les nombreuses factures versées aux débats établissent que les sociétés Keres trading et EFBS étaient en relations commerciales depuis 2003 ; que sur toutes les factures figurent au recto une référence au groupe Condigel et la mention que les prestations sont régies par les conditions générales reprises au verso de ce document ... Les présentes conditions générales sont réputées acceptées par le client dès lors que celui-ci confirme sa commande", tandis que figure au verso en caractères apparents notamment un article 7 "responsabilité" stipulant : "Pour toutes les autres prestations (que celles de transport) : le prestataire n 'est responsable que de ses fautes prouvées dans les limites ci-après définies" ; que dans ce contexte de relations habituelles d'affaires et alors que les conditions générales alléguées figuraient sur toutes les factures et n'ont jamais été contestées, la société EFBS soutient à juste titre que ces conditions sont réputées avoir été acceptées par la société Keres trading, le seul fait qu'elles ne soient pas reprises sur un message de cotation étant inopérant dès lors qu'un tel message n'avait pour objet que de préciser des tarifs réactualisés ; que dès lors, il appartient à la société Groupama transport subrogée de faire la preuve d'une faute de la société EFBS ; que s'il est constant que la société EFBS a pris en charge les marchandises sans réserves et n'a ensuite communiqué, ni en cours d'expertise ni en cours de procédure, de relevé probant de températures pendant la période où la marchandise était sous sa garde, il n'en demeure pas moins que le bon de sortie de stock signé du chauffeur de la société Dugrand mentionnait, ainsi que cela a été relevé ci-dessus, la remise d'une marchandise à la température de -18°C et qu'il ne ressort d'aucun élément objectif et certain la preuve d'une faute dans la garde, cette preuve ne pouvant résulter, contrairement à ce que prétend la société Groupama qui n'allègue pas d'autre fait, de la simple absence de fourniture par EFBS des relevés de température pas plus qu'elle ne peut résulter, comme l'a relevé le tribunal, d'un "doute" sur le temps de séjour des palettes à quai ; que le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a retenu une "part de responsabilité" de la société EFBS.
1. ALORS QUE la réception par le transporteur des marchandises sans observations ni réserves ne lui interdit pas de rapporter la preuve, pour s'exonérer de la responsabilité qu'il encourt, que le dommage est imputable au fait d'un tiers antérieurement à leur prise en charge ; qu'il s'ensuit que le transporteur s'exonère de la responsabilité qu'il encourt en démontant que le dommage est imputable au fait de l'exploitant d'entrepôt frigorifique, à défaut pour ce dernier de rapporter la preuve qu'il était étranger à la détérioration de la chose qu'il avait reçue en dépôt en versant aux débats les relevés de température établissant que la chaîne du froid n'avait pas été rompue pendant qu'il avait la marchandise sous sa garde ; qu'en subordonnant l'exonération du transporteur à la démonstration que la marchandise était atteinte d'un vice propre antérieurement à sa prise en charge, en l'absence de réserves ou d'observations, sans que la société DUGRAND puisse faire supporter à la société EFBS la charge de rapporter la preuve qu'elle avait maintenu les marchandises entreposées à la température prévue, quand la faute du dépositaire était présumée dans ses rapports avec les transporteurs successifs, à défaut pour elle de verser aux débats les relevés de température établissant que la détérioration des marchandises lui était étrangère, la Cour d'appel a violé l'article L 133-1 du Code de commerce, ensemble les articles 1927, 1928 et 1933 du Code civil ;
2. ALORS QUE les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'elles ne nuisent ni ne profitent aux tiers ; qu'en se déterminant en considération des stipulations des conditions générales qui mettaient à la charge du déposant la preuve d'une faute du dépositaire quand cette convention sur la preuve était inopposable aux tiers dont la société DUGRAND, la Cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil.