Audience publique du 10 octobre 2011Prononcé au 7 novembre 2011
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, M. Kriegk, conseiller, Mme Leroy-Gissinger, conseiller référendaire, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
INFIRMATION partielle sur le recours formé par Vasile X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Toulouse en date du 17 janvier 2011 qui lui a alloué une indemnité de 36 500 euros en réparation de son préjudice moral, 54 750 euros pour la perte de salaires, 5 000 euros pour la perte de chance de conserver son emploi, 1 196 euros au titre des frais de défense sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi qu'une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 10 octobre 2011, l'avocat du demandeur ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me De Caunes, avocat au barreau de Toulouse, représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de Me De Caunes ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
M. Vasile X... ne comparaît pas personnellement. Il est représenté à l'audience par Me Pujol-Suquet, substituant Me De Caunes conformément aux dispositions de l'article R.40-5 du code de procédure pénale ;
Sur le rapport de M. le conseiller Kriegk, les observations de Me Pujol-Suquet, avocat substituant Me De Caunes représentant le demandeur et celles de Me Meier-Bourdeau, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que, par décision du 17 janvier 2010, le premier président de la cour d'appel de Toulouse a alloué à Vasile X..., à raison d'une détention de trois ans et quatorze jours, 36 500 euros en réparation de son préjudice moral, 54 750 euros en réparation de sa perte de salaires, 5 000 euros pour la perte de chance de conserver son emploi et 1 196 euros TTC au titre des frais de justice ainsi qu'une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision ;
Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité répare intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement lié à la privation de liberté ;
Attendu que M. X... sollicite l'allocation d'une indemnité de :
. 150 000 euros au titre du préjudice moral ;
. 248 394 euros pour le préjudice économique ;
. 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que l'agent judiciaire du Trésor conclut au rejet du recours ; que l'avocat général estime que seule la somme allouée au titre du préjudice moral peut être équitablement augmentée ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que M. X... fait valoir que son préjudice moral a été sous-évalué ; que l'indemnité allouée n'aurait pas suffisamment tenu compte de son âge, de la durée de la détention, du choc psychologique causé par celle-ci, aggravé par la nature des faits reprochés et l'éloignement de sa famille qui réside en Roumanie, et de l'anéantissement de sa vie professionnelle en cours de stabilisation ; qu'il envisageait de proposer à son épouse de le rejoindre ; que son incarcération a provoqué son licenciement et que sa carte de séjour n'a pas été renouvelée du fait de l'incarcération ; qu'il n'a pu, du fait de l'incarcération, assister au mariage de son fils ; qu'il a été victime d'un infarctus le 4 septembre 2008 à quelques jours de l'audience de la cour d'assises de la Haute-Garonne, entraînant son hospitalisation, sans qu'il ait pu recevoir de visites de sa famille ; que la durée même de la détention a nourri le sentiment de ne pas être entendu par la justice et généré un sentiment d'abandon ;
Attendu que seul le préjudice moral résultant directement de la détention peut être indemnisé dans le cadre de la présente procédure, à l'exclusion du préjudice résultant de la qualification des faits, objet de la poursuite ; que l'intéressé ne justifie pas que ses conditions de détention aient été rendues plus difficiles en raison de la nature des faits qui lui étaient reprochés ; que vainement M. X... se prévaut du sentiment qu'il a éprouvé de n'avoir pu se faire entendre des juges, malgré ses protestations d'innocence, une telle circonstance ne découlant pas directement de la détention ;
Attendu néanmoins que pour fixer le préjudice moral, doivent être prises en considération, outre la souffrance inhérente à toute détention, la longueur de celle-ci et l'incidence particulière de cette mesure sur la vie familiale de l'intéressé compte tenu de son expatriation volontaire loin de sa famille, ainsi que sur son état de santé ; que compte tenu de ces éléments, une indemnité de 66 000 euros doit être considérée comme assurant la réparation du préjudice moral ;
Sur le préjudice économique :
Attendu qu'à l'appui de son recours, M. X... fait valoir qu'il bénéficiait d'un emploi à durée indéterminée, son bulletin de paye du mois de mai 2006, précédant son incarcération, faisant apparaître un salaire net de 1 500 euros ; qu'il a été licencié le 1er décembre 2006 en raison de son incarcération, ce qui représente une perte de salaire nette de 54 750 euros ; qu'à cela s'ajoute la perte de chance de continuer cette activité et de percevoir cette rémunération jusqu'à sa retraite, et le fait que son autorisation de travail n'a pas été renouvelée du fait même de la détention ;
Attendu que la demande relative à la perte de salaire subie ne fait pas l'objet de contestation ; que si l'intéressé ne peut prétendre qu'il aurait pu conserver son emploi non seulement pendant les deux ans restant de son incarcération provisoire, mais au delà jusqu'à l'âge de la retraite, compte tenu de la situation économique générale et la taille de l'entreprise, il caractérise cependant l'existence d'une perte de chance de pouvoir continuer à travailler en France dès lors qu'en raison de l'incarcération, il a perdu le bénéfice de l'autorisation administrative correspondante, alors qu'auparavant, il avait constamment occupé un emploi sur le territoire national depuis son émigration en 2002 ; que le montant de l'indemnité réparatrice de cette perte de chance doit être porté à 9 000 euros ;
Attendu que, compte tenu de l'issue de son recours, il y a lieu d'allouer à M. X... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE partiellement le recours de Vasile X..., et statuant à nouveau ;
Lui ALLOUE la somme de 66 000 euros (soixante-six mille euros) en réparation du préjudice moral, celle de 63 750 euros (soixante-trois mille sept cent cinquante euros) en réparation du préjudice économique et celle de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 7 novembre 2011 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.