LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée le 28 septembre 2006 par la société Confore en qualité de conseillère en ressources humaines ; qu'en arrêt maladie depuis le 28 mai 2007, elle a été déclarée par le médecin du travail, le 12 juillet 2007 à l'issue d'une seule visite de reprise, "inapte définitif à tous les postes de l'entreprise sans possibilité de mutation en raison d'un danger immédiat" ; qu'après avoir été licenciée pour abandon de poste par lettre recommandée du 14 janvier 2008, elle a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal formé par l'employeur :
Vu les articles L. 1226-2, L. 1226-4, R. 4624-21 et R. 4624-22 du code du travail ;
Attendu que pour faire droit, sur le fondement de l'article L. 1226-4 du code du travail, à la demande de rappel de salaire de la salariée pour la période du 13 août 2007 au 3 avril 2008, l'arrêt retient que figure aux débats la fiche médicale de visite de reprise laquelle n'a fait l'objet d'aucune plainte pour falsification qui est signée du médecin du travail et mentionne le danger immédiat visé à l'article R. 241-51-1 du code du travail, que ces constatations s'imposent à l'employeur comme au juge, peu important que cette visite ait eu lieu à l'initiative de la salariée ou que celle-ci continue à être couverte par un arrêt de travail de son médecin traitant ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier si la salariée qui avait sollicité auprès du médecin du travail la visite médicale en avait informé au préalable l'employeur, la cour d'appel, qui ne pouvait allouer un rappel de salaire au-delà de la date d'envoi de la lettre de licenciement, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident formé par la salariée :
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ensemble l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu qu'en application des deux premiers de ces textes, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, l'arrêt, après avoir relevé que cette dernière produisait quatre mails émanant de son employeur, des attestations familiales et amicales, retient par motifs propres et adoptés que si ces éléments justifiaient d'une ambiance professionnelle souvent tendue et de l'attitude d'un employeur très exigeant et peu diplomate, ils n'étaient pas suffisants pour laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, ni pour établir ce harcèlement ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel qui par motifs adoptés s'est bornée à une simple affirmation, a violé les textes susvisés ;
Et attendu que la cassation sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur relatif à l'obligation de reprendre le paiement du salaire en application de l'article L. 1226-4 du code du travail n'entraîne pas par elle-même la cassation des chefs du dispositif relatifs au bien fondé du licenciement pour abandon de poste et aux effets de ce licenciement ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme X... de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et condamne la société Confore à payer à Mme X... un rappel de salaire pour la période du 13 août 2007 au 3 avril 2008 outre les congés payés afférents, l'arrêt rendu le 2 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour la société Confore (demanderesse au pourvoi principal)
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'employeur à verser à la salariée la somme de 11.700 € bruts à titre de rappel de salaire du 13 août 2007 au 3 avril 2008 et la somme de 2.478 € bruts à titre de congés payés ;
AUX MOTIFS QUE figure aux débats la fiche médicale de visite «de reprise», qui n'a fait l'objet d'aucune plainte pour falsification, signée du médecin du travail et mentionnant «le danger immédiat visé à l'article R 241-51-1 du CT », dont les constatations s'imposent à l'employeur comme au juge, peu important que cette visite ait eu lieu à l'initiative de la salariée ou que celle ci continue à être couverte par un arrêt de travail de son médecin traitant ; que dès lors que le médecin du travail s'est prononcé sur son inaptitude, la période de suspension du contrat de travail au sens de l'article R. 241-51 du CT a pris fin ; que l'employeur disposait alors aux termes de l'article L. 122-24 -4 ancien du Code du travail d'un délai d'un mois pour la reclasser ou la licencier ; que faute de l'avoir fait, il était tenu de reprendre le versement du salaire jusqu'à la date du licenciement, le 3 mars 2008, soit la somme de 11.700 € et les congés payés afférents dont le calcul n'est pas sérieusement querellé ;
ALORS QUE si le salarié peut solliciter directement auprès du médecin du travail la visite médicale de reprise, c'est à la condition qu'il en informe au préalable l'employeur ; qu'à défaut, la visite du médecin du travail ne met pas fin à la période de suspension du contrat de travail et ne met à la charge de l'employeur aucune obligation spécifique ; que l'employeur soutenait que la salariée avait été seule à l'origine de la visite et ne l'en avait pas préalablement informé (conclusions page 8 premier §) ; qu'en retenant que l'employeur disposait d'un délai d'un mois pour reclasser ou licencier la salariée au motif que la fiche médicale indique visite «de reprise » et que le médecin du travail s'est prononcé sur son inaptitude, en sorte que la période de suspension du contrat de travail avait pris fin, peu important que la visite ait eu lieu à l'initiative de la salariée alors que l'initiative de la visite en déterminait le régime juridique, la Cour d'appel les articles L 1226-2 et L 1226-4 (ancien article L 122-24-4 alinéas 1, 3 et 4) et R. 4624-21 et R. 4624-22 (ancien article 241-51, alinéas 1 et 3) du Code du travail.
QU'en statuant ainsi en conséquence sans rechercher comme elle y était pourtant invitée, si la salariée qui avait sollicité auprès du médecin du travail la visite médicale en avait informé au préalable l'employeur, faute de quoi elle ne pouvait constituer la visite de reprise opposable à l'employeur, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 1226-2 et L 1226-4 (ancien article L 122-24-4 alinéas 1, 3 et 4) et R. 4624-21 et R. 4624-22 (ancien article 241-51, alinéas 1 et 3) du Code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'employeur à verser à la salariée la somme de 5.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause, la somme de 5.400 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 540 € bruts au titre des congés payés afférents ;
AUX MOTIFS QUE le licenciement, fondé non sur l'inaptitude définitive de la salariée mais sur un abandon de poste, est sans cause réelle et sérieuse ; que celle-ci est justifiée à se voir allouer une indemnité compensatrice de préavis -le licenciement étant fondé sur un abandon de poste non justifié et l'employeur au surplus n'ayant effectué aucune tentative de reclassement - et les congés payés afférents et des dommages intérêts qui, en application des dispositions de l'article L. 122-14-5 ancien du Code du travail, la salariée comptant 18 mois d'ancienneté, seront évalués à 5.000 € ;
ALORS QUE la cassation qui ne manquera pas d'être prononcée sur le fondement du premier moyen, entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef ici querellé en application de l'article 624 du Code de procédure civile.
Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils pour Mme X... (demanderesse au pourvoi incident)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif sur point, d'AVOIR débouté Madame X... de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
AUX MOTIFS : « sur le harcèlement, qu'à l'appui de ses allégations, la salariée verse aux débats
- quatre mails à elle adressés par l'employeur, dans lesquels il indique : «je ne vois pas à quoi cela sert que je perde mon temps à organiser les choses si derrière, vous vous permettez de les revoir ... au cas où vous l'auriez oublié je reste le gérant de l'entreprise j 'avoue, je suis déçu en ce moment de votre travail, tout vous embête... rien ne va jamais ... il faut se remettre en question, montrer un peu plus de positivité et surtout d'enthousiasme... je suis au regret de vous annoncer que vous n 'avez pas fait fructifier l'entreprise et j 'en suis fortement déçu » ;
- des attestations familiales et amicales, les témoins cependant faisant état de conditions de travail dont, hormis le fait que l'employeur se permettait de lui téléphoner après 20 h pour lui soumettre des problèmes concernant le travail, ils n'ont pu avoir connaissance qu 'indirectement par la relation que leur en a fait la salariée ;
Que si ces éléments justifient d'une ambiance professionnelle souvent tendue et de l'attitude d'un employeur très exigeant et peu diplomate, ils ne sont pas suffisants pour laisser présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris qui a débouté la salariée de ce chef de demande » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « toutefois, les éléments fournis aux débats n'ont pas permis d'apprécier la réalité du harcèlement allégué, et encore moins, du préjudice subi eu égard au nombre de mois écoulés depuis le départ physique de l'entreprise par Madame Pascale X...» ;
1./ ALORS QU'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en l'espèce, dès lors qu'elle constatait l'ambiance professionnelle souvent tendue et l'attitude d'un employeur très exigeant et peu diplomate, lequel se permettait de téléphoner à sa salariée après 20 h pour lui soumettre des problèmes concernant le travail, et qu'il est constant que le médecin du travail a déclaré Mme X... inapte définitivement à tous les postes de l'entreprise sans possibilité de mutation en raison d'un danger immédiat, la cour d'appel, qui a affirmé que la salariée, en dehors de courriels et d'attestations, n'apportait pas d'éléments suffisants pour laisser présumer l'existence d'un harcèlement, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L 1152-1 et L 1154-1 du Code du travail ;
2./ ALORS QUE le juge doit tenir compte de l'ensemble des éléments de preuve versés aux débats par le salarié laissant présumer un harcèlement moral et les examiner in concreto; que Mme X... ayant versé aux débats outre différents courriels établissant la familiarité de son employeur, ses exigences de présence, y compris le week-end et le soir, sa pression incessante pour générer du chiffre d'affaires, sans en donner les moyens à sa salariée, ses reproches « pour vous faire grandir et vous amener au niveau d'exigence que j'attends de mes collaborateurs qui souhaitent travailler avec moi ... répondant aux besoins de l'entreprise et aussi à vos devoirs ... », ainsi que les avis médicaux qui constatent que la salariée, qui travaillait dans cette micro-entreprise, était « à bout » et que « la seule solution acceptable sera l'inaptitude à l'entreprise pour sortir cette dame de cette situation invivable », ce que confirmaient les attestations de ses proches, la cour d'appel, qui n'a tenu compte ni des avis médicaux ni des témoignages recueillis, a violé les articles L 1152-1 et L 1154-1 du Code du travail ;