LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 novembre 2009), rendu sur renvoi après cassation (Soc. 19 mars 2008, n° 06-45. 506) que M. X..., qui était employé depuis novembre 1974 par l'ADAPEI, en dernier lieu en qualité de chef de service éducatif, a été licencié le 12 février 2002 pour faute grave, aux motifs d'avoir omis en juin 1996 d'informer son supérieur hiérarchique et l'autorité judiciaire des faits d'abus sexuel commis par un mineur de l'institution sur un autre pensionnaire, de n'avoir mis en place aucun accompagnement psychologique et social des deux mineurs ni actions de prévention ou de soin appropriées et d'avoir dissuadé la famille de la victime de porter plainte ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement de diverses indemnités liées à la rupture ;
Attendu que l'ADAPEI fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de M. X... dépourvu de cause réelle et sérieuse et de la condamner à diverses sommes, alors, selon le moyen, que M. X..., chef de service éducatif d'un IME à l'ADAPEI, a eu connaissance d'abus sexuels commis en 1996 par un mineur sur un autre ; qu'il s'est abstenu de révéler à sa direction des faits revêtant une qualification pénale criminelle et ne s'est pas entretenu avec elle des mesures à prendre, qu'il a exercé sur la famille de la victime les pressions pour qu'elle ne porte pas plainte, qu'un tel comportement individualiste et déniant tout pouvoir de direction à sa hiérarchie s'avérait manifestement fautif et constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que la cour d'appel n'a pas tiré des données soumises à son examen les conséquences qu'elles impliquaient nécessairement ; qu'elle a violé les articles L. 1232-1 et suivants du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant retenu d'une part qu'il ne pouvait être reproché à M. X... de n'avoir pas dénoncé en 1996 un crime de viol qui n'avait pas alors été porté à sa connaissance, d'autre part que le salarié s'était, contrairement au grief qui lui était fait, immédiatement préoccupé de la situation et des mineurs, et qu'un suivi psychologique et psychiatrique avait été mis en place, enfin qu'il ressortait des attestations des témoins ayant assisté aux rencontres avec les parents de la victime que M. X... n'avait pas fait pression sur eux pour les dissuader de donner une suite judiciaire à ces événements, la cour d'appel a pu décider que le licenciement du salarié ne reposait pas sur une faute grave et, usant des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, qu'il n'y avait pas non plus de cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'ADAPEI aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'ADAPEI à payer la somme de 2 500 euros à M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Copper-Royer, avocat aux Conseils pour l'ADAPEI.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et de lui AVOIR alloué diverses indemnités et des dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE
Sur la rupture du contrat « … l'ADAPEI a licencié pour faute grave M X... le 12 février 2002 aux motifs que :
- ayant eu connaissance d'une situation de maltraitance à enfants (sévice sexuel) sur un mineur de l'IME le 5 juin 1993, abus sexuel commis par un autre mineur de l'institution, il n'a pas saisi de cette situation de maltraitance son supérieur hiérarchique ni l'autorité judiciaire.- par la suite, il n'a pas mis en place de soutien psychologique et d'accompagnement social des deux enfants mineurs handicapés mentaux, ni d'actions de prévention ou de soins appropriés auprès des deux mineurs,- il a fait pression sur la famille de la victime pour qu'elle taise cette situation de maltraitance en la dissuadant de porter plainte ;
« … la faute grave résulte du fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise même pendant la courte durée du préavis ; qu'elle prive le salarié de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement ;
« … Valérie Z..., éducatrice spécialisée à l'IME, atteste valablement avoir écrit sur le cahier de liaison de l'institution, le matin du 5 juin 1996, qu'elle a repéré une trace sur le cou et la joue du jeune D. lequel a fini par lui dire « c'est peu être N. L. il vient sur moi, il me touche et me met sa main devant ma bouche, elle ajoute çà a l'air assez harde … il semble y avoir un moment que çà dure » ;
« Que tant Nathalie A..., monitrice éducatrice, que Danièle F..., assistante sociale et Claude B..., éducateur spécialisé, confortent l'affirmation constante de M X... selon laquelle la révélation des faits par la victime portait en juin 1996 sur des attouchements sexuels, que si le père de la victime atteste le 22 janvier 2002 avoir été convoqué par le chef de service de l'IME et avoir appris le soir même le viol de son fils, il précise, dans son audition le 5 septembre 2002 lors de l'enquête pénale, avoir été « convoqué et reçu en 1996 ou 1997 par M X... qui l'a informé que son fils aurait subi des attouchements sexuels de la part d'un camarade de chambrée ; qu'il n'est pas établi que la victime aurait dès juin 1996 relaté au personnel de l'IME ou a ses parents un viol ;
« Que le 23 novembre 2001, la psychologue du CAT accueillant désormais le jeune D, signalait au procureur de la république que la maman de la victime et cette dernière, au cours d'un entretien du 20 novembre 2001, avaient évoqué le viol subi à ‘ internat de l'IME ; que le directeur du CAT, présent lors de l'entretien, dénonçait au « parquet e 23 novembre 2001 les sévices sexuels rapportés par les « parents et subis par leur fils alors qu'il était en internat à l'IME ; que le directeur général de l'ADAPEI portait à la connaissance du « parquet le 26 novembre 2001, les faits de viol ;
« Que le même directeur général de l'ADAPEI de la sarthe décidait de la mise à pied de M X..., notifiée le 22 janvier 2002, puis de son licenciement pour les motifs énumérés ci-dessus ;
« Qu'au cours de l'enquête préliminaire diligentée par le procureur de la république, le jeune N reconnaissait le 3 novembre 2003 avoir sodomisé le mineur D, la nuit du 5 juin 1996 dans la chambre commune de l'internat de l'IME ;
« * sur le premier grief
« … M C..., atteste le 18 juillet 2002 en sa qualité de directeur de l'IME n'avoir jamais été informé à l'époque des faits du viol du mineur D par un autre élève de institution ; qu'à la question de savoir si M X... ou une autre personne de l'IME l'a informé des faits d'attouchements entre les deux mineurs à cette époque, il déclare, dans son audition à la gendarmerie le 25/ 11/ 2002, n'avoir jamais eu de révélation à ce sujet, ni lu aucun rapport qui indiquait de tels faits ;
« Que M X... déclare le 4 janvier 2003, ne plus avoir de souvenirs concernant un éventuel signalement à sa hiérarchie « directe en la personne de M C... le jour même et reste persuadé l'avoir fait ;
« Que Danièle F..., assistante sociale, atteste régulièrement avoir fait part oralement à M C... de son entretien avec la famille de la victime le 12 juin 1996 au cours duquel la maman s'est « demandée s'il n'y avait que des attouchements ; que le directeur de l'établissement a nécessairement eu connaissance de faits répréhensibles entre les deux jeunes, puisqu'il a reçu le père de l'auteur et qu'il est établi que l'auteur a fait l'objet très rapidement après les faits d'une exclusion de trois jours de l'IME ;
« Qu'il ne peut être reproché à M. X... de ne pas avoir dénoncé en 1996 un crime de viol qui ‘ avait pas alors été porté à sa connaissance ; que la circulaire de la direction de l'action sociale du 5 mai 1998, puis par la circulaire de 2001 dont fait état l'appelant sont postérieures au fait de 1996, étant relevé que M X... était déjà sensibilisé au problème de maltraitance et sévices sexuels pour avoir dénoncé à son directeur sans problème de tels cas, ainsi que le reconnaît M C... dans son audition du « 25/ 11/ 2002 ;
« * sur le second grief
« … qu'il ne peut être reproché à M X... un défaut de soutien psychologique, d'accompagnement social des deux mineurs et de mise en place d'actions de prévention ou de soins, à la suite des faits portés à connaissance en juin 1996 ;
« Qu'en effet d'une part l'employeur ne donne aucune explication détaillée et circonstanciée sur ce point ;
« Que d'autre part, il ressort des pièces communiquées que M X... s'est préoccupé immédiatement de la situation et des mineurs dont il avait la charge, puisque les jeunes n'ont plus été dans la même chambre, que l'auteur a fait l'objet d'une exclusion temporaire, en raison selon son père d'une accusation d'un problème sexuel, que M X... a rencontré les parents de la « victime le 7 juin, en présence de Nathalie A... éducatrice, pour « les informer des faits d'attouchements de la semaine, que l'assistante sociale, à la demande de M X..., s'est rendue le 12 juin 1996 au domicile des parents de la victime, que les éducateurs ont été avisés lors de la réunion hebdomadaire du 17 juin 1996 animée par l'assistante sociale que le directeur voyait le mineur N l'après-midi et que le jeune D voyait le psychiatre le lendemain, que la situation et les faits d'attouchements ont été débattus le 18 juin 1996 au cours de la réunion de bilan d'orientation tenue à l'IME entre la psychologue, M X... et les éducateurs, qu'après la réunion de bilan les parents de la victime ont manifestement été reçus par le psychiatre, qu'enfin si la décision a été prise à l'issue de la réunion du 18 juin de maintenir les deux jeunes dans le même atelier, le responsable de l'atelier a exercé une surveillance particulière auprès des deux mineurs ;
« sur le troisième grief
« … que les pressions reprochées à M X... sur la famille de la victime pour qu'elle ne porte pas plainte et taise les faits sont basées sur les déclarations faites par la dite famille au psychologue du CAT en novembre 2001, sur l'attestation du père de la victime du 22 janvier 2002 et sur l'audition de ce dernier le 5 septembre 2002 ;
« Que cependant, Nathalie A... atteste, le 4 avril 2002, de sa présence tout au long de l'entretien le 7 juin 1996 entre les parents de la victime et du jeune D et précise ne pas avoir été témoin de cet entretien de pressions qu'aurait exercé M X... à l'égard des parents ;
« Que Danièle F..., assistante sociale, atteste précisément le 4 septembre 2002, qu'au cours de sa rencontre avec les mêmes parents le 12 juin 1996, elle leur a conseillé de porter plainte et ajoute ils m'ont déclaré qu'ils ne le souhaitaient pas. Ils avaient peur que cela perturbe encore plus D (leur enfant) et que celui-ci ne voulait plus en parler ;
« Que ces attestations sont corroborées par les auditions des intéressées lors de l'enquête pénale les 8 et 22 novembre 2002 ;
« … qu'il suit de ces constatations que les deux derniers griefs sont dénués de fondement, de même que celui de défaut de dénonciation à l'autorité judiciaire d'un abus sexuel ; que s'il n'est pas établi formellement que M. X... a avisé son directeur des faits en juin 1996, il a, en sa qualité de chef de service, mis en mesure son directeur de prendre connaissance de la situation pour qu'il en soit tiré les conséquences ;
« Que le licenciement de M X... ne repose donc ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse ; que le jugement du 7 octobre 2005 sera confirmé sur ce point » (arrêt attaqué p. 3, 4, 5, 6).
ALORS QUE Monsieur X..., chef de service éducatif d'un IME à l'ADAPEI, a eu connaissance d'abus sexuels commis en 1996 par un mineur sur un autre ; qu'il s'est abstenu de révéler à sa direction des faits revêtant une qualification pénale criminelle et ne s'est pas entretenu avec elle des mesures à prendre, qu'il a exercé sur la famille de la victime les pressions pour qu'elle ne porte pas plainte, qu'un tel comportement individualiste et déniant tout pouvoir de direction à sa hiérarchie s'avérait manifestement fautif et constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que la Cour d'Appel n'a pas tiré des données soumises à son examen les conséquences qu'elles impliquaient nécessairement ; qu'elle a violé les articles L. 1232-1 et suivants du Code du Travail.