LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société en nom collectif Bar tabac Le Laguiolais (la société) a assigné son ancienne gérante, Mme X..., en remboursement d'une somme indûment perçue ; que Mme X..., relevant appel du jugement ayant accueilli cette demande, a formé une demande reconventionnelle en paiement d'une certaine somme représentant sa part des bénéfices sociaux au titre des exercices de 1999 au 10 août 2005, date de la cession de ses parts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable la demande reconventionnelle de Mme X... tendant au partage des bénéfices et de l'avoir en conséquence condamnée à lui verser une certaine somme alors, selon le moyen :
1°/ que la demande en compensation, formulée pour la première fois en cause d'appel, n'est recevable que si la dette qui est invoquée est connexe à celle invoquée par le demandeur principal ; qu'en déclarant recevable la demande de Mme X... sans constater cette connexité, ni même d'ailleurs ordonner la compensation des sommes, la cour d'appel a violé les articles 564 du code de procédure civile et 1291 du code civil, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que la demande en compensation, formée pour la première fois en cause d'appel, n'est recevable qu'à concurrence des sommes qui éteignent la créance invoquée par le demandeur principal ; qu'en déclarant recevable la demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 174 781, 26 euros, quand ce montant était plus de cinq fois supérieur au montant de 35 751, 67 euros réclamé par la société, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la compensation judiciaire peut s'opérer au moyen d'une demande reconventionnelle que forme la partie dont la créance ne réunit pas encore toutes les conditions requises pour la compensation légale et qu'il n'est pas nécessaire qu'elle procède de la même cause que la demande principale ni même qu'elle se rattache à cette dernière par un lien suffisant ; que c'est à bon droit que l'arrêt déclare recevable en cause d'appel la demande de Mme X... tendant à lui opposer compensation, peu important qu'il puisse en résulter une créance au profit de la partie qui la formule ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le deuxième moyen :
Attendu que le moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que le moyen, de pur droit, est recevable ;
Et sur le moyen :
Vu les articles L. 232-11 et L. 232-12 du code de commerce ;
Attendu que pour condamner la société à payer à Mme X... une certaine somme au titre de sa part des bénéfices dus entre l'année 1999 et le 10 août 2005, correspondant à ses parts sociales, l'arrêt retient que dans les sociétés en nom collectif, les bénéfices sont imposables au nom des associés dès qu'ils sont réalisés, quand bien même ils ne seraient pas mis en distribution sous forme de dividendes et que la société ne fait pas valoir et ne justifie pas que les bénéfices ont déjà été distribués ou alors qu'ils ont été mis en réserve par une décision des associés approuvant les comptes ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement ayant condamné Mme X... à payer à la société Bar tabac Le Laguiolais une somme de 35 751, 67 euros, l'arrêt rendu le 29 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Bar tabac Le Laguiolais une somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils pour la société Bar tabac Le Laguiolais
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré recevable la demande reconventionnelle de Madame X... tendant au partage des bénéfices et d'AVOIR en conséquence condamné la société exposante à lui verser la somme en principal de 174. 781, 26 euros ;
AUX MOTIFS QUE : « qu'en application de l'article 564 du code de procédure civile, il est possible pour Madame X... d'invoquer une créance contre la société et lui opposer ainsi compensation ; que la demande est recevable » ;
ALORS 1°) QUE la demande en compensation, formulée pour la première fois en cause d'appel, n'est recevable que si la dette qui est invoquée est connexe à celle invoquée par le demandeur principal ; qu'en déclarant recevable la demande de Madame X... sans contester cette connexité, ni même d'ailleurs ordonner la compensation des sommes, la cour d'appel a violé les articles 564 du code de procédure civile et 1291 du code civil, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS 2°) QUE la demande en compensation, formée pour la première fois en cause d'appel, n'est recevable qu'à concurrence des sommes qui éteignent la créance invoquée par le demandeur principal ; qu'en déclarant recevable la demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 174. 781, 26 euros, quand ce montant était plus de cinq fois supérieur au montant de 35. 751, 67 euros réclamé par la société exposante, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société en nom collectif Bar-Tabac Le Laguiolais à payer Madame X... la somme de 174. 781, 26 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 avril 2009 ;
AUX MOTIFS QUE : « il est soutenu par l'intimée que le protocole signé lors de la cession de parts sociales a mis fin à toute contestation entre les associés et que les parties ont liquidé tous les comptes qui ont pu exister entre eux ; que toutefois, s'il existe en effet une transaction « de manière à ce que Madame Jeanne Y... cédant et Monsieur Louis Z... cessionnaire n'aient plus aucune somme à se réclamer l'un envers l'autre, tant professionnelle que personnelle, le tout en compensation de l'abandon intégral du prix des parts sociales mentionné ci-dessus », il convient de constater que cette transaction est intervenue entre les associés et non entre un associé et la société en nom collectif, de sorte que la réclamation que forme Madame X... contre la société est recevable ;
ALORS 1°) QUE : il résulte de la première page de l'acte transactionnel (production) que Madame X... intervenait en sa qualité de « gérant de société » ; qu'en retenant que cette transaction était intervenue « entre les associés et non entre un associé et la société en nom collectif », pour en déduire qu'elle n'était pas applicable au présent litige, la cour d'appel a dénaturé la transaction, en violation de l'article 1134 du code civil ;
ALORS 2°) QUE, en tout état de cause, et à supposer que la transaction ne soit intervenue qu'entre les deux associés, il appartenait à la cour d'appel, compte tenu de ce que, d'une part, ces derniers constituaient les seuls associés de la société, d'autre part des lettres préparatoires aux termes desquelles Madame X... indiquait vouloir régler le litige afférent à sa prétendue quote-part dans les bénéfices de la SNC et, enfin, des termes utilisés au sein de la transaction dont les signataires s'engageaient à ne plus se réclamer l'un envers l'autre « aucune somme tant professionnelle que personnelle », de rechercher si l'intention des parties n'avait pas été d'apurer tous les comptes, même ceux afférents aux liens existants entre la société elle-même et chacun de ses associés ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, bien qu'elle y ait été expressément invitée (conclusions de l'intimée p. 7 et 8), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société en nom collectif Bar-Tabac Le Laguiolais à payer Madame X... la somme de 174. 781, 26 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 avril 2009 ;
AUX MOTIFS QUE : « le fait que Madame X... n'ait pas demandé pendant l'exercice de la gérance la répartition des bénéfices ne peut être interprété comme une renonciation de sa part à demander quoi que ce soit à ce titre ; qu'elle invoque les dispositions de l'article 25 des statuts de la société en nom collectif et fixe à la somme de 177. 581, 26 euros le montant des bénéfices qui lui sont dus entre l'année 1999 et le 10 août 2005 et correspondent à ses parts sociales, dont elle donne le compte dans ses écritures ; qu'elle verse aussi copies des déclarations d'impôts sur les bénéfices industriels et commerciaux que Monsieur Z... et elle-même ont faites entre les années 2000 et 2004 ainsi que, pour l'année 2005, un document intitulé « situation » et « le bilan et compte de résultats » établi au 10 août 2005 ; que la société soutient qu'elle s'est servie amplement sur les comptes de la société, ayant encaissé des chèques qu'elle a falsifiés ; que Madame X... reconnaît en effet dans ses écritures devoir la somme globale de 2. 800 euros (1. 300 + 1. 500) qui viendra en déduction de sa demande ; que dans les sociétés en nom collectif, les bénéfices sont imposables aux noms des associés dès qu'ils sont réalisés, quand bien même ils ne seraient pas mis en distribution sous forme de dividendes ; que la société ne fait pas valoir et ne justifie pas que les bénéfices ont déjà été distribués ou alors qu'ils ont été mis en réserve par une décision des associés approuvant les comptes ; que par conséquent, il convient de faire droit à la demande de Madame X..., tout en déduisant la somme de euros, soit de condamner la société en nom collectif à lui payer la somme de 174. 781, 26 euros » ;
ALORS 1°) QUE : le droit aux dividendes ne peut résulter que d'une décision de l'assemblée générale mettant les bénéfices en distribution, de sorte qu'en cas de cession d'action, et sauf accord contraire des parties, c'est celui qui a la qualité d'actionnaire au jour où la distribution des bénéfices est décidée par l'assemblée, et non pas au moment de la réalisation de ceux-ci, qui perçoit les dividendes ; qu'en décidant au contraire que les bénéfices d'une société en nom collectif pouvaient être perçus dès leur réalisation, quant bien même ils n'auraient pas été préalablement mis en distribution sous forme de dividendes, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation les articles L 232-11 et L 232-12 du code de commerce ;
ET ALORS 2°) QUE : c'est à celui qui se prétend créancier de dividendes d'établir l'existence de sa créance ; qu'en retenant que la société ne faisait valoir, ni ne justifiait que le bénéfice ait été déjà distribué ou alors qu'il ait été mis en réserve par une décision des associés approuvant les comptes, la cour d'appel a méconnu la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du code civil ;