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23/11/2010 | FRANCE | N°09-72031

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 novembre 2010, 09-72031


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 juillet 2008, Bull. civ. IV n° 152, pourvoi n° 07-17.439 et a.), que le Conseil de la concurrence (le Conseil), devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) s'est saisi d'office, le 21 octobre 1998, de la situation de la concurrence dans le secteur de la parfumerie de luxe ; que, par décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, le Conseil a dit établi que les sociÃ

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 juillet 2008, Bull. civ. IV n° 152, pourvoi n° 07-17.439 et a.), que le Conseil de la concurrence (le Conseil), devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) s'est saisi d'office, le 21 octobre 1998, de la situation de la concurrence dans le secteur de la parfumerie de luxe ; que, par décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, le Conseil a dit établi que les sociétés Guerlain, Shiseido, Givenchy, Kenzo, Dior, Chanel, Sephora, BPI, Yves Saint-Laurent beauté, Elco, Hermès, devenue Comptoir nouveau de la Parfumerie Hermès parfums, Marionnaud, L'Oréal, Nocibé, Pacific création parfums et Thierry Mugler parfums avaient, en participant à des ententes sur les prix entre 1997 et 2000, enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE, devenu l'article 101 du TFUE, a infligé à ces sociétés des sanctions allant de 90 000 à 12 800 000 euros et a ordonné une mesure de publication ; que, saisie de recours de ces entreprises, la cour d'appel a annulé la décision du Conseil, d'une part, en ce qu'elle concernait le marché des cosmétiques de luxe, d'autre part, en ses dispositions relatives à la société Pacific création parfums, et a réduit le montant des sanctions pécuniaires pour les sociétés demeurées dans la cause ;

Sur la recevabilité des moyens :
Attendu que les sociétés L'Oréal produits de luxe France (la société L'Oréal), Beauté prestige international (la société BPI), et Clarins fragrance Group, anciennement Thierry Mugler parfums, soutiennent que les moyens invoqués par le ministre de l'économie des finances et de l'emploi (le ministre) sont irrecevables en ce que celui-ci n'a particulièrement pris aucune conclusion sur la durée excessive de la procédure et les conséquences pouvant y être attachées et qu'en conséquence tous ses moyens qui tendent à remettre en cause cette appréciation de la cour d'appel sont irrecevables comme nouveaux et mélangés de fait et de droit ;
Mais attendu que dans ses observations présentées devant la cour d'appel, le ministre a précisé qu'il partageait l'analyse du Conseil de la concurrence telle qu'exposée dans la décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, laquelle écartait les moyens des parties relatifs à la durée excessive de la procédure et au dépassement du délai raisonnable ; qu'il en résulte que ses moyens ne sont pas nouveaux ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que pour dire que le délai de la phase d'instruction non contradictoire devant le Conseil avait dépassé les limites d'un délai raisonnable et pour annuler en conséquence la décision du Conseil ainsi que l'instruction qui l'a précédée, l'arrêt, après avoir qualifié d'"excessive" la "procédure d'enquête" et relevé que le délai très court de la deuxième phase de la procédure montrait que la complexité de l'affaire était très relative, retient un certain nombre d'éléments dont il conclut que les fabricants sont restés dans l'ignorance de la saisine et des actes d'enquête ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir en quoi la durée de la première phase non contradictoire de la procédure du Conseil n'était pas raisonnable et ne pouvait être justifiée par la complexité de l'affaire et les diligences menées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur ce moyen, pris en sa sixième branche :
Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que pour dire que l'atteinte irrémédiable, effective et concrète aux droits de la défense, par le dépassement d'un délai raisonnable entre la date des comportements reprochés et le jour où les entreprises ont su qu'elles auraient à en répondre, était démontrée et annuler en conséquence la décision du Conseil ainsi que l'instruction qui l'a précédée, l'arrêt relève que les fabricants sont restés dans l'ignorance de la saisine et des actes d'enquête et précise que les premières auditions formelles et offensives, qui auraient éventuellement alerté les entreprises sur les visées du Conseil, n'ont eu lieu qu'en janvier et février 2005 et ont été la seule occasion de communication démontrée des annexes du futur rapport ; que l'arrêt précise encore que pour combattre la preuve des éléments fondant la décision du Conseil, les parties en cause auraient dû apporter certains éléments qu'il énumère, et observe qu'elles se trouvaient en 2005, compte tenu du délai écoulé entre les pratiques supposées et la notification des griefs, dans l'impossibilité de les présenter ; que de l'ensemble de ces observations et constatations, l'arrêt conclut que devant l'accusation d'une entente verticale généralisée, reposant sur la communication ou la connaissance de prix conseillés ou indicatifs, sur l'acquiescement des distributeurs et sur une police des prix assurée par les fabricants à leur profit, les entreprises mises en cause auraient dû réunir, dès 1999, une masse d'informations que non seulement elles avaient légitimement égarées, mais dont elles ont jusqu'au dernier moment ignoré la nature exacte ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par une motivation générale, sans rechercher en quoi le délai écoulé durant la phase d'instruction devant le Conseil avait causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 novembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Shiseido, Chanel, Sephora, Yves Saint-Laurent beauté, Elco, Comptoir nouveau de la parfumerie Hermès parfums, Marionnaud parfumeries, L'Oréal, BPI, Clarins fragrance Group, Nocibé France, Parfums Christian Dior, Guerlain, Parfums Givenchy et Kenzo parfums aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et condamne les sociétés L'Oréal produit de luxe France, BPI, Clarins fragrance Group à payer au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi la somme globale de 2 500 euros, les sociétés Parfums Christian Dior, Guerlain, Parfums Givenchy et Kenzo parfums à payer au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi la somme globale de 2 500 euros et les sociétés Shiseido France, Chanel, Sephora, YSL beauté, Elco, Comptoir nouveau de la parfumerie Hermès parfums, Marionnaud parfumerie et Nocibé France, chacune, au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par Me Ricard, avocat aux Conseils pour le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la Décision n° 06-D-04 bis prise le 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, par le Conseil de la concurrence, et l'instruction qui l'a précédée, et évoquant d'avoir rejeté les griefs articulés contre les sociétés requérantes
AUX MOTIFS QUE
1° - Principes de durée raisonnable
Considérant que les sociétés Dior, Guerlain, Séphora et Nocibé relèvent qu'il s'est écoulé 4 ans et demi entre la réception du rapport d'enquête le 19 septembre 2000 et la notification des griefs aux entreprises mises en cause ; que cette durée inhabituelle, qui n'aurait été due qu'à l'inaction des reporteurs successivement en charge du dossier et non à la nature, l'ampleur et la complexité du dossier, a compromis irrémédiablement les droits desdites entreprises ; que par exemple les documents commerciaux essentiels à la reconstitution de la politique tarifaire des producteurs et pouvant servir de preuve ne font pas partie de ceux que les commerçants ont l'obligation légale de conserver ; qu'il ne saurait être fait grief aux sociétés mises en cause du seul fait de l'existence d'une enquête en 1999, de n'avoir pris dès cette époque des précautions particulières pour préserver des éléments de preuve, scripturaux, testimoniaux ou autres ; que la sanction du dépassement de la durée raisonnable d'une enquête ou d'une instruction, ne serait pas une simple réparation comme l'a prétendu la Décision critiquée (paragr. 375, non repris par les Observations de l'AdlC) mais aussi, en présence d'une violation patente et prouvée des droits de la défense, une annulation ;
Considérant que si l'obligation de loyauté inscrite à l'article 6 de la Convention ESDH précitée comme à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques doit présider à la recherche des preuves, l'enquête n'est pas soumise au principe contradictoire, qui n'est applicable à la procédure qu'à compter de la notification des griefs effectuée en l'espèce le 5 avril 2005 ; que néanmoins la durée excessive de cette première phase de la procédure administrative peut avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l'efficacité des droits de la défense dans la phase ultérieure d'instruction et dans la phase finale de décision de l'Autorité ;
Qu'en effet, le respect des droits de la défense, principe dont le caractère fondamental a été établi en jurisprudence (voir, notamment, CJCE 9 novembre 1983, Michelin/Commission, point 7 ; arrêt du 21 septembre 2006, Nederl. Groothandel et Techn. Unie/Commission, point 49) revêtant une importance capitale dans les procédures telles que celle en l'espèce, il importe d'éviter que ces droits puissent être irrémédiablement compromis, notamment en raison d'une durée excessive de la phase d'enquête et que cette durée soit susceptible de faire obstacle à l'établissement de preuves visant à réfuter l'existence de comportements de nature à engager la responsabilité des entreprises concernées ; que pour cette raison, l'examen de l'éventuelle entrave à l'exercice des droits de la défense ne doit pas être limité à la phase même dans laquelle ces droits produisent le plein effet, à savoir la seconde phase de la procédure administrative ; que l'appréciation de la source de l'éventuel affaiblissement de l'efficacité des droits de la défense doit s'étendre à l'ensemble de cette procédure en se référant à la durée totale de celle-ci, enquête comprise ;
Que plus il s'écoule de temps entre une mesure d'enquête - en l'espèce, les constatations matérielles des contrôleurs de la DGCCRF suivies d'une demande de renseignements commerciaux - et la communication des griefs, - plus tard les entreprises ont accès à la totalité des prérogatives qu'elles tiennent de l'article 6-1 de la Convention E.S.D.H. ;- plus leur chiffre d'affaires, qui déterminera l'éventuelle sanction, risque d'évoluer, cette sanction pouvant finalement s'avérer disproportionnée aux circonstances de la faute reprochée ;- et plus il devient probable que d'éventuelles preuves à décharge quant aux infractions reprochées dans cette communication ne pourront plus être recueillies ou ne le seront qu'avec difficulté ;
Qu'il en est ainsi en particulier en ce qui concerne les témoins à décharge, notamment du fait des changements susceptibles d'intervenir dans la composition des organes dirigeants des entreprises concernées et des mouvements affectant les autres personnels de celles-ci et en ce qui concerne les documents commerciaux ou internes, les notes ou courrierspapier, les courriels et comptes-rendus de conversations téléphoniques, dont la destruction peut être décidée après un temps bref ;
Que cette considération s'imprègne d'une force particulière dans les cas où l'autorité nationale de concurrence, une fois opérée la notification des griefs, mène la phase d'instruction puis la phase décisionnelle avec rapidité, en l'occurrence huit mois à peine, les entreprises n'ayant alors concrètement plus aucune chance de retrouver en temps voulu les personnes ou les pièces qui les exonéreraient en tout ou partie des reproches qui leur sont faits ;
Considérant qu'il convient, par suite, de vérifier si les entreprises mises en cause ont démontré à suffisance de droit que, à partir de la date de la communication des griefs, ici le 5 avril 2005, elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations du Conseil, difficultés qui auraient été la conséquence de la durée excessive de la procédure antérieure d'enquête ;
Considérant que relativement à la part de l'Autorité dans cette charge probatoire, il faut souligner qu'elle pourrait consister à exiger des entreprises une preuve négative, voire impossible, de « ce qu'elles auraient dû faire ou conserver » et que donc l'Autorité de la concurrence doit contribuer, pour éclairer la cour, à expliciter en quoi les entreprises étaient précisément averties de l'enquête en cours et devaient prendre diverses dispositions en conséquence, ou éventuellement en quoi cette enquête devait, par exception aux principes sus énoncés, rester secrète ;
Que notamment, il ne suffirait pas pour l'Autorité de rappeler, en général ou en l'occurrence, que les entreprises avaient ou auraient dû avoir vent d'investigations, ou qu'elles avaient été sollicitées par circulaire, pour se convaincre qu'elles avaient été mises en possession de leurs droits et en mesure de réunir les contre preuves précises de nature à répondre à des accusations qu'elles ne connaissaient pas encore ;
Que de même, la complexité de l'affaire (paragr. 372 de la Décision, auquel renvoient les Observations de l'AdlC citant plusieurs arrêts de la cour), - qui doit être analysée plus précisément comme l'énormité du dossier de pièces, l'astuce des procédés frauduleux ou la nouveauté de la législation applicable -, est très relative en l'espèce comme le montre le délai très court de la deuxième phase de la procédure (6 mois d'instruction, avec refus de prolongation, et deux mois à peine après réception des mémoires des entreprises), et ne suffirait de toute façon pas, selon la jurisprudence évoquée précédemment, à justifier le secret et à mettre ainsi en échec les droits de la défense ;
Qu'enfin, il n'est pas permis d'affirmer que les difficultés opposées à l'exercice des droits de la défense n'auraient pas été « irrémédiables » (selon les Observations de l'AdlC, pp.7-9), au seul motif ambigu et par trop abstrait tiré de l'abondance des arguments des entreprises devant l'organe décisionnel de l'Autorité ou devant la cour ;
2° - Appréciation d'espèce de la durée raisonnable
Considérant qu'en premier lieu, les sociétés requérantes rappellent qu'elles n'ont pas eu connaissance de la lettre de saisine adressée par le Rapporteur du Conseil de la concurrence aux fonctionnaires de la DGCCRF le 21 octobre 1998, et qu'en toute hypothèse, cette lettre comportait un énoncé relativement neutre et imprécis (« la concurrence dans le secteur des parfums de luxe », pièce Ann.2 du dossier AdlC) de la saisine d'office, voire inexact, en sorte que les entreprises concernées auraient été en peine d'imaginer quelles mesures elles auraient dû prendre ;
Qu'en deuxième lieu, les fabricants de parfums et produits cosmétiques n'ont pas eu vent des 117 procès-verbaux de déclarations et communications de documents que les agents de la DGCCRF ont dressé auprès des magasins des trois grandes chaînes de distribution ou auprès des distributeurs dits "indépendants", entre juin et octobre 1999 (pièces non fournies par les parties) ; que ces fabricants ont eux-mêmes été contactés entre octobre 1999 et janvier 2000 et ont échangé avec les enquêteurs des courriers sur « les chiffres d'affaires annuels minimum » (pièces non fournies par les parties), ce qui (au rebours de ce qu'énonce la Décision, paragr. 373 -374, auxquels renvoient les Observations de l'AdlC) n'était pas de nature, là encore, à orienter leurs recherches de manière un tant soit peu concrète et à les inciter à conserver des preuves de leurs bonnes pratiques ;
Que de même, les relevés de prix qui ont été effectués essentiellement pendant le cours de l'été 1999 (ann.5 pièces AdlC) n'ont pas été communiqués aux fabricants ni, semble-t-il aux dirigeants des chaînes de distribution, avant la notification des griefs six aimées plus tard ; que cette information aurait-elle été communiquée aux entreprises, la technique du relevé de prix est utilisée dans bien des circonstances de contrôle et n'indique rien sur les suites - pénales, administratives, civiles, fiscales ou seulement statistiques – en vue desquelles ces fonctionnaires opèrent ; qu'à plus forte raison, une analyse menée par l'administration sur les conditions de la concurrence dans le marché des produits de luxe, ne signifie pas que le Conseil de la concurrence soit saisi, et moins encore qu'il vise telle ou telle entreprise du marché en vue de faire établir des griefs ;
Qu'en troisième lieu, le Conseil de la concurrence a notifié quatre ans plus tard, précisément en juin et juillet 2003 (Ann. 11 pièces AdlC), une demande d'enquête qui se présente comme une lettre-type, destinée à faire recueillir des informations chiffrées ou juridiques sur une période (2000 à 2003) qui ne sera d'ailleurs jamais incluse dans les griefs ultérieurs ; que la nature, plutôt « objective », de cette lettre, ainsi que les dates considérées, dissimulaient, fût-ce involontairement, les intentions exactes du Rapporteur et levaient les craintes que les entreprises concernées auraient très éventuellement nourries auparavant ;
Qu'en quatrième lieu, les premières auditions formelles et offensives qui eussent éventuellement alerté les entreprises sur les visées du Conseil, n'ont eu lieu qu'après un an et demi encore, en janvier et février 2005 (Ann. 10 pièces AdlC) et ont été la seule occasion de communication démontrée des annexes du futur Rapport ;
Qu'en cinquième lieu, et pour mettre en relation la première et la deuxième phase de la procédure selon ce qu'impose la jurisprudence invoquée plus haut, les infractions que le Conseil a retenues dans la décision litigieuse sont principalement fondées :- sur des relevés de prix effectués auprès de quelques distributeurs, abstraction délibérément faite des remises ou ristourne - sur des traces supposées d'évocation de prix entre fabricants et distributeurs,- sur des comptes rendus de propos tenus par des représentants des distributeurs,- et sur l'élaboration téléologique d'un "prix public imposé", en contemplation d'un multiplicateur (1,97) du prix de vente au distributeur et en retenant un taux de docilité, considéré comme suffisamment significatif de l'entente, de 80 p.100;
Que pour combattre ce type d'éléments, les fabricants comme les distributeurs ne pouvaient se dégager de la poursuite en produisant simplement leur comptabilité ou leurs factures des années 1997 à 2000 - en quoi le débat sur l'applicabilité des articles L 110-4 et L 123-22 C.com. est vain - ; que comme l'exposent parfaitement les sociétés Dior, Guerlain, Sephora, Marionnaud et Nocibé dans leurs écritures et par leurs dossiers de pièces déposés devant la cour, les entreprises mises en cause auraient dû :
- s'interroger les unes les autres, car les coûts de fabrication ne sont pas connus des distributeurs et les prix de détail ne sont pas connus des fabricants, même si ces données suscitent légitimement leur curiosité respective,- opérer dès 1999 des relevés de prix dans les grandes zones de chalandise délaissées par les enquêteurs (presque la moitié de la France au sud-ouest d'une ligne Niort-Toulon, à l'exception de Cahors ; (v.Ann pièces AdlC), ou bien sur les produits que les relevés existants n'ont pas ou ont peu affectés, ou encore sur plusieurs périodes successives,- interroger avant la fin de l'enquête, leurs associés majoritaires et leurs cadres pour se remémorer la politique commerciale suivie à l'époque, et au besoin en témoigner, plusieurs des entreprises concernées indiquant sans être contredites qu'elles ont changé de direction, de management ou d'orientation stratégique pendant la période considérée,- saisir les données recueillies puis les analyser par voie informatique avec les logiciels en application à l'époque, donc opérer dès 1999-2000, plusieurs des entreprises concernées indiquant sans être contredites qu'elles ont changé de système informatique pendant la période considérée,- faire un bilan des politiques de remises et ristournes opérées par les distributeurs en 1998-1999,- faire évaluer par elles-mêmes ou par expert les "PPI reconstitués",- non moins immédiatement, faire entendre des témoins ou réentendre contradictoirement les témoins requis par la DGCCRF en confrontant les propos tenus sur les prix prétendument imposés ou sur la prétendue police des prix avec les relevés faits dans les magasins de ces témoins ;
le tout sans préjudice des éléments qui auraient été destinés, selon les théories plus générales que développent aussi les entreprises devant la cour,- à expliciter la particularité du prix de détail en matière de parfums et celle de l'alignement automatique des distributeurs entre eux,- à approfondir le bilan concurrentiel des comportements soupçonnés,- à rétorquer à l'inclusion des cosmétiques dans le "marché de la parfumerie de luxe" ;
Considérant qu'en somme, devant l'accusation d'une entente verticale généralisée, reposant sur la communication ou la connaissance de prix conseillés ou indicatifs, sur l'acquiescement des distributeurs et sur une "police" des prix assurée par les fabricants à leur profit, les entreprises mises en cause auraient dû réunir dès 1999 une masse d'informations que non seulement elles avaient légitimement égarées, mais dont elles ont jusqu'au dernier moment ignoré la nature exacte ;
Que l'atteinte irrémédiable, effective et concrète aux droits de la défense, par le dépassement d'un délai raisonnable entre la date des comportements reprochés et le jour où les entreprises ont su qu'elles auraient à en répondre, est démontrée ; qu'elle conduira à l'annulation, non de l'enquête, qui échappe en elle-même et en bonne part à ces exigences, mais de l'instruction et de la Décision critiquée, qui n'ont pas respecté les exigences du procès équitable ;
1°) ALORS QUE c'est l'existence d'une accusation, au sens de l'article 6, paragraphe 3 sous a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui constitue le point de départ de la garantie du procès équitable ; qu'une telle accusation ne peut apparaître au plus tôt qu'au jour où l'autorité de concurrence a pris des mesures impliquant d'envisager la mise en cause de la responsabilité des entreprises concernées ; qu'en jugeant excessif le délai s'étant écoulé avant la notification des griefs aux entreprises mises en cause le 5 avril 2005, sans fixer la date à partir de laquelle, en l'espèce, compte tenu des mesures qu'il a prises, le Conseil de la Concurrence aurait pu et dû informer les entreprises requérantes des présomptions d'infraction susceptibles de les concerner et faisant l'objet de l'instruction, la cour d'appel, a violé par fausse application l'article 6, paragraphe 3 sous a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe des droits de la défense ;
2°) ALORS QUE préalablement à la conclusion de violation des droits de la défense, la Cour devait d'abord rechercher in concreto si le délai raisonnable était effectivement dépassé ; qu'en s'abstenant de procéder dans les circonstances de l'espèce à une appréciation in concreto permettant d''établir en quoi la durée de la procédure globale était excessive, depuis les faits jusqu'à la décision, compte tenu de la complexité de l'affaire, des diligences menées, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
3°) ALORS QU'au regard de l'article L .462-7 du code de commerce qui instaure un régime de prescription de dix ans entre la cessation de la pratique anticoncurrentielle et la décision de l'Autorité, la sanction de la violation du délai raisonnable, à la supposer démontrée, ne peut consister dans l'annulation de la décision de l'autorité de concurrence ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé l'article L 462-7 du code de commerce ;
4°) ALORS QUE les entreprises ne peuvent prétendre ignorer ni les règles de concurrence ni l'existence d'un corps d'enquête chargé de rechercher la preuve des comportements anticoncurrentiels, et doivent savoir qu'elles s'exposent à des sanctions lorsqu'elles commettent des infractions ; que si le Conseil de la concurrence doit observer un délai raisonnable entre le moment où il commence à recueillir des éléments de preuve à charge et celui de la communication des griefs, la charge probatoire d'une violation prétendue des droits de la défense n'appartient qu'aux entreprises ; qu'en imposant au Conseil de la concurrence qu'il justifie des circonstances permettant aux entreprises de savoir qu'elles pouvaient être concernées par l'enquête ou des raisons pour lesquelles ladite enquête serait légitimement restée secrète, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du code civil ;
5°) ALORS QU 'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public ; que la sanction de l'atteinte aux droits de la défense par suite du dépassement du délai raisonnable d'une enquête et d'une instruction antérieure à la notification des griefs ne peut en aucun cas entraîner l'annulation de l'instruction, mais seulement la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi ; qu'en prononçant l'annulation de l'instruction et de la décision en son ensemble, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6°) ALORS QUE le moyen tiré de l'atteinte aux droits de la défense est un moyen propre à la partie qui s'en prévaut ; que par suite, il appartient au juge de vérifier en quoi l'inobservation d'un délai raisonnable a été de nature à affecter concrètement les droits de la défense de chacune des parties dans le cadre de la procédure en cause ; qu'en l'espèce la cour d'appel a annulé au bénéfice de toutes les entreprises l'instruction et la décision, au prétexte que cinq entreprises, les sociétés Dior, Guerlain, Sephora, Marionnaud et Nocibé auraient démontré à suffisance de droit que, à partir de la date de la communication des griefs, ici le 5 avril 2005, elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations du Conseil, difficultés qui ont été la conséquence de la durée excessive de la procédure antérieure d'enquête ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas examiné concrètement la situation respective de chacune des entreprises concernées au regard des griefs énoncés à leur encontre ni surtout caractérisé en quoi, par ces difficultés pour se défendre il aurait été porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, y compris pour celles qui n'avaient pas soulevé un tel moyen, a manqué à son office et violé par fausse application le principe du respect des droits de la défense.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, après évocation, rejeté les griefs articulés contre les sociétés requérantes
AUX MOTIFS QUE
Considérant que saisie par des parties en cause d'un recours en annulation ou en réformation de la décision du Conseil, la cour d'appel, après avoir annulé cette décision, est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties et le cas échéant sur les griefs notifiés et maintenus par le rapport ;
Considérant que l'ancienneté des faits a empêché les entreprises de disposer des éléments de preuves susceptibles de contrebalancer les indices invoqués par le Conseil, notamment les relevés de prix - et leur étude économétrique par le Rapporteur - , qui constituent toute la partie objective du dossier de pièces apporté aux débats de la Cour par l'AdlC ;
Que comme il a été dit de manière plus détaillée dans le (2°) du présent arrêt, il manque à la Cour pour exercer équitablement son pouvoir d'évocation et de jugement les documents que les entreprises n'ont pas été mises concrètement en mesure de réunir, tels que : relevés de caisse de leurs distributeurs, témoignages des personnes en place à l'époque et tous autres documents internes (courriers, courriels, notes, rapports, publicités,...), dont la conservation, nullement obligatoire, ne s'étend pas normalement sur plusieurs années ;
Que s'agissant des éléments subjectifs de l'enquête, notamment les déclarations certains détaillants ou agents de distributeurs ou les courriers rares et plutôt sibyllins émanés de certaines entreprises mises en cause, l'impossibilité pour la Cour d'en examiner la validité et la pertinence est aussi patente, les personnes qu'elles concernent ayant pour la plupart quitté la position qu'elles occupaient voici dix années ;
Considérant qu'en somme les motifs mêmes de l'annulation de l'instruction et de la Décision pour violation des droits de la défense, réduisent à néant les éléments de l'enquête à charge, et privent de base factuelle et juridique la mise en cause des entreprises poursuivies ; que les griefs seront donc rejetés
1°) ALORS QUE saisie d'un recours en annulation ou en réformation de la décision du Conseil, la cour d'appel, après avoir annulé cette décision, est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties et le cas échéant sur les griefs notifiés et maintenus par le rapport ; qu'après avoir retenu que l'enquête échappe en elle-même et en bonne part aux exigences du délai raisonnable, et exclut pour cette raison d'en prononcer l'annulation, la cour d'appel retient que les motifs mêmes de l'annulation de l'instruction et de la Décision pour violation des droits de la défense, réduisent à néant les éléments de l'enquête à charge, et privent de base factuelle et juridique la mise en cause des entreprises poursuivies ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation des articles 464-8 du code commerce et 561 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE saisie d'un recours en annulation ou en réformation de la décision du Conseil, la cour d'appel, après avoir annulé cette décision, est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties et le cas échéant sur les griefs notifiés et maintenus par le rapport ; qu'en l'espèce, à supposer que l'ancienneté des faits ait empêché les entreprises de disposer des éléments de preuves susceptibles de contrebalancer les indices invoqués par le Conseil, notamment les relevés de prix - et leur étude économétrique par le Rapporteur, à supposer encore que les entreprises n'aient pas été en mesure de réunir les documents tels que : relevés de caisse de leurs distributeurs, témoignages des personnes en place à l'époque et tous autres documents internes (courriers, courriels, notes, rapports, publicités,...), dont la conservation, nullement obligatoire, ne s'étend pas normalement sur plusieurs années ; à supposer enfin s'agissant des éléments subjectifs de l'enquête, notamment les déclarations de certains détaillants ou agents de distributeurs ou les courriers rares et plutôt sibyllins émanés de certaines entreprises mises en cause, que l'impossibilité pour la Cour d'en examiner la validité et la pertinence soit aussi patente, les personnes qu'elles concernent ayant pour la plupart quitté la position qu'elles occupaient voici dix années, il demeure que toutes les entreprises ont défendu au fond et contesté les griefs retenus par le rapporteur du Conseil en y opposant des moyens de fond ; qu'en rejetant les griefs notifiés et maintenus par le rapport, sans examen du bien fondé de ces griefs et des moyens de défense opposés, la cour d'appel a violé les articles 464-8 du code commerce, 12 et 561 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 09-72031
Date de la décision : 23/11/2010
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 novembre 2009


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 23 nov. 2010, pourvoi n°09-72031


Composition du Tribunal
Président : Mme Favre (président)
Avocat(s) : Me Ricard, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Bénabent, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Defrenois et Levis, SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Peignot et Garreau, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:09.72031
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