LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 2 décembre 2008), statuant en référé, que l'entreprise La Poste (la Poste) et plusieurs organisations syndicales dont le syndicat Sud PTT ont conclu un accord-cadre national le 3 novembre 2004 "afin d'améliorer les conditions de travail et la qualité du service" prévoyant "la mise en place d'un quatrième agent pour chaque machine de tri du courrier de petit format existante (MTPF) " ; qu'un protocole local a été signé le 25 février 2005 au sein du centre de tri de Rouen-Madrillet organisant "la mise en place d'un quatrième agent autour des MTPF" complété par un accord local de Haute-Normandie le 11 avril 2005 organisant cette mesure ; que la Poste a remplacé dans le courant de l'année 2008 au centre de tri de Rouen-Madrillet des MTPF par des "machines à tri industriel du courrier de petit format" (MTIPF) les faisant fonctionner avec trois agents ; que le syndicat Sud PTT a saisi la juridiction prud'homale en référé pour obtenir la cessation de la mise en oeuvre des MTIPF avec trois agents au lieu de quatre ;
Attendu que la Poste fait grief à l'arrêt de lui ordonner sous astreinte de faire cesser au centre de tri de Rouen-Madrillet la mise en place des MTIPF avec seulement trois agents au lieu de quatre, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il appartient à l'employeur de s'adapter à des mutations technologiques en mettant en place dans l'entreprise des machines de tri de nouvelle génération, plus performantes et mieux adaptées, et d'y affecter dans le cadre de son pouvoir d'organisation le personnel nécessaire ; que ce pouvoir ne saurait être limité par un accord collectif que dans le cadre de dispositions expresses sur lesquelles est intervenu l'accord des partenaires sociaux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les accords collectifs, nationaux (accord de Vaugirard du 3 novembre 2004) ou locaux (accord Rouen-Madrillet du 25 février 2005, accord local Haute-Normandie du 11 avril 2005) avaient uniquement prévu la mise en place d'un quatrième agent "autour des machines TPF, seules existantes alors" ; qu'en déclarant manifestement illicite la mise en place ultérieure, par elle-même, de nouvelles machines MTIPF plus évoluées dont l'utilisation ne nécessitait que trois agents, au motif inopérant que ces machines auraient eu "des fonctions identiques, s'agissant de matériels conçus et fabriqués pour le tri du courrier" la cour d'appel, qui a étendu la portée des accords collectifs invoqués à une situation qu'ils ne visaient pas, a violé les articles 1134 du code civil et 809 du code de procédure civile, ainsi que le principe fondamental de la liberté d'entreprendre ;
2°/ qu'il appartient au seul juge judiciaire d'interpréter les accords collectifs qui lui sont soumis ; qu'en déclarant que la mise en place des nouvelles MTIPF par elle-même contrevenait aux dispositions des accords collectifs en vigueur et nécessitait l'introduction de nouvelles négociations, motif pris que la direction départementale du travail avait exprimé son avis en ce sens dans un courrier du 29 avril 2008, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes et principe susvisés ;
3°/ qu'il ressortait en outre de ses propres énonciations que tant l'accord du 25 février 2005 que celui du 11 avril 2005 avaient pour objectif la réduction de l'emploi précaire par diminution du recours aux contrats à durée déterminée ou aux travailleurs intérimaires ; qu'elle faisait expressément valoir, dans ses écritures, que la mise en place de ces accords avait engendré, au sein du centre Rouen-Madrillet, la transformation de 182 contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée ; qu'elle avait également fait valoir que, dans le cadre de la mise en place des MTIPF, les agents affectés en quatrième poste sur les anciennes machines TPF avaient tous été reclassés dans l'entreprise ; qu'en qualifiant cependant de trouble manifestement illicite la mise en place de ces nouvelles machines avec les trois agents requis pour leur fonctionnement sans exposer en quoi elle contrevenait à l'objectif de réduction de la précarité affiché par les accords invoqués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et principe susvisés ;
4°/ qu'il ressortait encore des constatations de l'arrêt attaqué que les accords litigieux avaient eu pour objet "l'amélioration des conditions de travail" ; que la cour d'appel, en l'état des énonciations contraires des parties sur la réalisation de cet objectif par la mise en place des MTIPF, s'est déclarée incompétente, pour trancher la contestation sérieuse existant sur ce point ; qu'en déclarant cependant cette mesure manifestement illicite, motif pris de ce qu'elle était "de nature à influer sur les emplois au sein de l'entreprise et les conditions de travail des agents affectés au tri du courrier" la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes et principe susvisés ;
Mais attendu qu'abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche du moyen, la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que les MTIPF avaient, quelles que soient leurs spécificités et leur nouveauté, des fonctions identiques à celles des MTPF, que la Poste avait affecté trois agents sur chacune d'entre elles et qu'il n'était pas établi que les tâches effectuées par le quatrième agent sur une MTPF avaient été supprimées sur les MTIPF ; qu'elle a, par ces seuls motifs, pu en déduire que la Poste avait commis un trouble manifestement illicite en ne mettant pas en place sur les MTIPF le quatrième agent prévu par les accords d'entreprise que l'employeur n'avait pas dénoncés ; que le moyen, inopérant en ses trois dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Poste aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Poste à payer au syndicat Sud PTT de Haute-Normandie la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour La Poste
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné à LA POSTE, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, de faire cesser, au centre de tri de Rouen, la mise en oeuvre des machines MTIPF avec seulement trois agents au lieu de quatre ;
AUX MOTIFS QUE "saisi sur le fondement de l'alinéa 1 de l'article 809 du Code de procédure civile, le Juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le juge apprécie souverainement l'existence du dommage ou du trouble manifestement illicite invoqués ;
QUE le protocole d'accord du 25 février 2005 (…) visait "à formaliser, en concertation avec les représentants des organisations syndicales locales…les modalités de la mise en place de la quatrième personne autour des TPF et de contribuer à la baisse de la précarité, tel que prévu dans les Accords de Vaugirard du 3 novembre 2004 ; que l'examen de son contenu laisse apparaître que toutes les mesures qui y ont été décidées ont eu en premier lieu pour finalité d'arrêter les modalités de mise en place d'un quatrième agent autour des TPF, seules existantes alors ; qu'en second lieu, ces mesures avaient pour but de contribuer à la baisse de la précarité en basant l'organisation du service sur le temps plein et les emplois stables, ainsi qu'en diminuant le recours aux contrats à durée déterminée ainsi qu'aux travailleurs intérimaires ; qu'une commission de suivi était créée pour vérifier l'application des mesures arrêtées et "suivre l'évolution de l'utilisation de l'intérim" ;
QU'à l'examen de son préambule, "l'accord local Haute Normandie sur la mise en oeuvre des mesures Vaugirard" conclu le 11 avril 2005 (…) a été l'occasion pour l'entreprise "d'affirmer sa volonté de proposer des activités à temps plein à l'ensemble des salariés en contrat à durée indéterminée exerçant à temps partiel" et "de repenser nos organisations (fonctionnement, moyens de remplacement) et notre gestion des ressources humaines avec le triple objectif d'optimiser nos organisations, d'améliorer notre qualité de service pour le client, d'améliorer les conditions de travail" ; que dans le préambule, il est mentionné que cet accord local venait en prolongement des accords de Vaugirard de novembre 2004 s'étant fixé pour objectif la réduction de la précarité dans les métiers du courrier ; que les mesures qui y sont détaillées sont, pour l'essentiel, relatives à la gestion de l'ensemble du personnel et visent en particulier à éviter le recours aux contrats à durée déterminée ;
QUE consulté par le Syndicat SUD PTT invoquant le "refus de la Direction du centre de traitement de courrier de Rouen-Madrillet de vouloir appliquer un accord en date du 25 février 2005", par courrier du 29 avril 2008, la direction départementale du travail, à qui étaient invoquées les dispositions de l'article L.2261-14 du Code du travail, a estimé qu'au vu des éléments transmis, "l'objet de l'accord du 25 février 2005 n'est pas mis en cause" et "doit donc toujours s'appliquer"; qu'il est même mentionné dans ce courrier que "si la Direction a estimé que cet accord doit être mis en cause en raison de l'utilisation de nouvelles machines, une nouvelle négociation doit s'engager dans l'établissement " ; que le signataire de ce courrier poursuit en indiquant qu'au vu des éléments transmis, la fonction des deux machines est identique, les modifications apportées par la trieuse industrielle quant aux conditions de travail lui paraissant accessoires ; qu'il conclut que, pour ne plus appliquer l'accord du 25 février 2005, la direction de l'entreprise doit procéder à sa dénonciation ;
QUE LA POSTE, direction régionale de Haute Normandie, soutient que les nouvelles trieuses offrent de meilleures conditions de travail aux agents en faisant valoir leur ergonomie, leurs performances et leur technicité supérieures à celles des machines TPF ; que ces indications sont contestées par le Syndicat SUD PTT de Haute Normandie, qui fait observer que le rendement de ces nouvelles machines accroîtrait les risques de maladies ou troubles musculo-squelettiques ; qu'il ne relève pas de la compétence du Juge des référés de trancher ces contradictions et contestations ;
QUE des éléments produits il ressort que, quelles que soient leurs spécificités respectives et la plus grande technicité possible des machines MTIPF, nouvelles et de type industriel, ces machines ont des fonctions identiques, s'agissant de matériels conçus et fabriqués pour le tri du courrier ; que si LA POSTE, direction régionale de Haute Normandie, est légitime, dans le cadre de son pouvoir de direction, à rechercher l'amélioration du processus industriel en vue de satisfaire à sa mission, il n'en demeure pas moins qu'elle est tenue par les termes des accords collectifs antérieurs ; qu'il est démontré que la direction régionale de Haute Normandie de LA POSTE a décidé, sans négociations avec les organisations syndicales, l'installation et la mise en fonctionnement de ces nouvelles machines en prévoyant unilatéralement qu'elles ne nécessiteraient que trois agents ; que cette décision avait nécessairement pour effet de remettre en cause l'affectation du quatrième agent sur les machines de tri industriel ce qui était de nature à influer sur les emplois au sein de l'entreprise et sur les conditions de travail des agents affectés au tri du courrier ; qu'au regard des accords précités et plus particulièrement de celui conclu au niveau local le 25 février 2005, dont l'objectif était de diminuer la précarité et de fixer les modalités de la mise en place de la quatrième personne autour des TPF, les seules machines de tri à être installées et utilisées à l'époque, LA POSTE devait nécessairement, préalablement à l'installation et la mise en fonctionnement des MTIPF, dénoncer ou remettre en cause ledit accord ; que dès lors, l'attitude de la direction régionale de Haute Normandie de LA POSTE constitue bien comme l'a décidé le premier juge, un trouble manifestement illicite" ;
1°) ALORS QU'il appartient à l'employeur de s'adapter à des mutations technologiques en mettant en place dans l'entreprise des machines de tri de nouvelle génération, plus performantes et mieux adaptées, et d'y affecter dans le cadre de son pouvoir d'organisation le personnel nécessaire ; que ce pouvoir ne saurait être limité par un accord collectif que dans le cadre de dispositions expresses sur lesquelles est intervenu l'accord des partenaires sociaux ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que les accords collectifs, nationaux (accord de Vaugirard du 3 novembre 2004) ou locaux (accord Rouen-Madrillet du 25 février 2005, accord local Haute-Normandie du 11 avril 2005) avaient uniquement prévu la mise en place d'un quatrième agent "autour des machines TPF, seules existantes alors" ; qu'en déclarant manifestement illicite la mise en place ultérieure, par l'employeur, de nouvelles machines MTIPF plus évoluées dont l'utilisation ne nécessitait que trois agents, au motif inopérant que ces machines auraient eu "des fonctions identiques, s'agissant de matériels conçus et fabriqués pour le tri du courrier" la Cour d'appel, qui a étendu la portée des accords collectifs invoqués à une situation qu'ils ne visaient pas, a violé les articles 1134 du Code civil et 809 du Code de procédure civile, ainsi que le principe fondamental de la liberté d'entreprendre ;
2°) ALORS QU'il appartient au seul juge judiciaire d'interpréter les accords collectifs qui lui sont soumis ; qu'en déclarant que la mise en place des nouvelles MTIPF par LA POSTE contrevenait aux dispositions des accords collectifs en vigueur et nécessitait l'introduction de nouvelles négociations, motif pris que la Direction Départementale du Travail (DDT) avait exprimé son avis en ce sens dans un courrier du 29 avril 2008, la Cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé derechef les textes et principe susvisés ;
3°) ALORS en outre QU'il ressortait de ses propres énonciations que tant l'accord du 25 février 2005 que celui du 11 avril 2005 avaient pour objectif la réduction de l'emploi précaire par diminution du recours aux contrats à durée déterminée ou aux travailleurs intérimaires ; que LA POSTE faisait expressément valoir, dans ses écritures, que la mise en place de ces accords avait engendré, au sein du Centre Rouen-Madrillet, la transformation de 182 contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée ; qu'elle avait également fait valoir que, dans le cadre de la mise en place des MTIPF, les agents affectés en quatrième poste sur les anciennes machines TPF avaient tous été reclassés dans l'entreprise ; qu'en qualifiant cependant de trouble manifestement illicite la mise en place de ces nouvelles machines avec les trois agents requis pour leur fonctionnement sans exposer en quoi elle contrevenait à l'objectif de réduction de la précarité affiché par les accords invoqués, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et principe susvisés ;
4°) ALORS QU'il ressortait encore des constatations de l'arrêt attaqué que les accords litigieux avaient eu pour objet "l'amélioration des conditions de travail" ; que la Cour d'appel, en l'état des énonciations contraires des parties sur la réalisation de cet objectif par la mise en place des MTIPF, s'est déclarée incompétente, pour trancher la contestation sérieuse existant sur ce point ; qu'en déclarant cependant cette mesure manifestement illicite, motif pris de ce qu'elle était "de nature à influer sur les emplois au sein de l'entreprise et les conditions de travail des agents affectés au tri du courrier" la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les textes et principe susvisés.