LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Douai, 18 septembre 2008), que les sociétés du "groupe" Cousin fournissaient des lacets à la société de droit allemand Bama rachetée par le "groupe" Sara Lee qui a ensuite confié aux sociétés du "groupe" Cousin la fabrication de lacets de marque Kiwi pour le marché français dès 1999, puis pour les marchés britannique et allemand en 2000 et pour le marché néerlandais en 2001 ; que la société Cousin Lacets a été spécialement créée pour fabriquer, à partir du 1er janvier 2001, des lacets destinés aux différentes sociétés européennes du "groupe" Sara Lee ; que souhaitant sélectionner un fournisseur unique de lacets "sous blister" destinés aux grandes surfaces et de lacets "special trade" destinés aux magasins specialisés, le "groupe" Sara Lee a, le 15 octobre 2001, contacté le dirigeant du "groupe" Cousin lequel n'avait pas la capacité suffisante pour produire 20 millions de blister par an et a proposé de sous-traiter une partie de la production en Chine dans un délai de 2 ans ; que le 8 mai 2002 le "groupe" Sara Lee, a notifié à la société Cousin Lacets que la société américaine Mitchellace était retenue comme seul fournisseur de lacets pour l'Europe et a proposé de lui laisser la production de lacets "sous blister" pendant douze mois et de lui confier la production de lacets " special trade" pendant au moins deux ans ; qu'estimant que la pérennité de son outil de production était menacée, la société Cousin Lacets, après avoir suspendu ses livraisons pendant une quinzaine de jours en juin 2002 et avoir vainement recherché un accord sur l'arrêt de sa collaboration avec les sociétés du "groupe" Sara Lee, a, par acte du 21 novembre 2002, assigné les sociétés du "groupe" Sara Lee en violation de l'article L.442-6 du code de commerce ;
Attendu que la société Cousin Lacets fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'ensemble de ses demandes tendant à voir constater le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies avec les sociétés du "groupe" Sara Lee et condamner celles-ci à réparer les différents préjudices en découlant, alors, selon le moyen :
1°/ que le préavis devant assortir une rupture de relations commerciales établies ne répond aux conditions définies par l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce que s'il est exécuté aux mêmes conditions que celles existant antérieurement à la rupture ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a elle-même constaté, l'offre de préavis des sociétés Sara Lee consistait principalement à proposer à la société Cousin Lacets de substituer à sa production actuelle de lacets en grandes séries une production de lacets « special trade », en petites séries, nécessitant une totale restructuration de l'entreprise, à des conditions très défavorables par rapport aux conditions antérieures, « le courant d'affaires n'étant maintenu que pour faciliter la transition » pendant une période d'un an ; qu'en retenant cependant que cette offre de reconversion, qui modifiait de façon substantielle les conditions contractuelles existant antérieurement entre les parties, remplissait néanmoins les conditions exigées par l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, la cour d'appel a violé les dispositions de ce texte ;
2°/ qu' à supposer même que l'offre d'un préavis d'un an concernant la production de Lacets sous blisters puisse être dissociée de l'offre de reconversion faite à la société Cousin Lacets , le juge doit en tout état de cause déterminer si le préavis assortissant la rupture des relations commerciales est d'une durée suffisante, notamment au regard de l'ancienneté de celles-ci ; qu'en s'abstenant en l'espèce de rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de la société Cousin Lacets, si le délai d'un an qui lui était accordé était d'une durée suffisante au regard des relations existant entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la relation commerciale entre les société Sara Lee et la société Cousin Lacets était établie depuis 1997, que dans la lettre du 8 mai 2002, par laquelle les sociétés du "groupe" Sara Lee ont informé la société Cousin Lacets que la société Mitchellace serait à l'avenir le seul fournisseur du marché européen, elles ont proposé de laisser à la société Cousin Lacets la fabrication des lacets "sous blister" pendant un an et de lui confier la production de lacets "special trade" pendant deux ans selon un nouveau contrat à négocier, que le 28 juin 2002, elles ont maintenu leur offre de laisser à la société Cousin Lacets la production de lacets "sous blister" jusqu'en mai 2003, de lui confier la fabrication d'une quantité définie de lacets « special trade » pour une durée de deux ans au minimum, de lui racheter son stock et d'intervenir auprès de la société de droit américain Mitchellace pour le rachat des machines devenues inutiles en fin de période, et que cette proposition a été renouvelée le 7 juillet 2002 ; qu'ayant ainsi fait ressortir que les sociétés du "groupe" Sara Lee ont proposé à la société Cousin Lacets de maintenir avec elle leur relation commerciale pendant la période de préavis lui permettant de mettre en oeuvre, dès le début de cette période, une solution de remplacement, peu important que cette solution de remplacement nécessite la définition d'une nouvelle relation contractuelle entre les parties, la cour d'appel, qui a pris en compte la durée de la relation commerciale établie entre les sociétés Sara Lee et la société Cousin Lacets, a pu statuer comme elle a fait; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le moyen pris en ses troisième et quatrième branches ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cousin Lacets aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés Sara Lee Household and Body Care France, Sara Lee Household and Body Care Kingdom, Sara Lee DE/NV et Bama International Gmbh la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux conseils pour la société Cousin Lacets
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société COUSIN LACETS de l'ensemble de ses demandes tendant à voir constater le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies avec les sociétés SARA LEE et condamner celles-ci à réparer les différents préjudices en découlant ;
AUX MOTIFS QUE « c'est au moment où la décision de rupture est signifiée qu'il faut en apprécier les conditions, peu important que son auteur ait ultérieurement modifié son offre, à la hausse ou à la baisse, en réponse à l'attitude adoptée par l'autre partie ; qu'il s'ensuit que, s'il réduit le délai par la faute de son fournisseur, il ne peut être tenu de réparer les conséquences d'un arrêt prématuré de leurs relations en cours de préavis ; que, dans la lettre du 8 mai 2002, les sociétés SARA LEE ont proposé de laisser à la société COUSIN la fabrication des lacets sous blister pendant un an et de lui confier la production de lacets « special trade » pendant deux ans selon un nouveau contrat à négocier ; que la société COUSIN a, dans une lettre du 16 mai 2002, suspendu sa décision à l'obtention de garanties quant aux volumes de production à espérer dans les deux années à venir avec reprise des stocks en fin de période, garanties qui conditionnaient, selon elle, toute décision de procéder à des investissements pour réorienter vers les lacets « special trade » (c'est-àdire des petites séries) les fabrications jusqu'alors majoritairement réalisées en gros volumes (lacets sous blister) ; qu'elle a peu après suspendu toutes ses livraisons de lacets aux sociétés SARA LEE avant de les reprendre quinze jours plus tard ; que, par lettre du 28 juin 2002 (non traduite en langue française dont la Cour trouve une interprétation, non critiquée par l'adversaire, dans les conclusions de la société COUSIN), les sociétés SARA LEE ont maintenu leur offre de laisser à la société COUSIN la production de lacets sous blister jusqu'en mai 2003 et de lui confier la fabrication d'une quantité définie de lacets « special trade » pour une durée de deux ans au minimum, de lui racheter son stock et d'intervenir auprès de la société de droit américain MITCHELLACE pour le rachat des machines devenues inutiles en fin de période ; que cette proposition a été renouvelée le 7 juillet 2002 ; que la société COUSIN l'a rejetée le 12 juillet 2002, entre autres motifs parce qu'elle ne comportait pas un engagement de commander au minimum 11 millions de paires par an ; que cette offre méritait d'être prise en considération par la société COUSIN, même si elle était faite par surprise, dès lors que, sans effacer la rupture des relations, elle lui permettait de rechercher une solution de remplacement non pas à l'expiration du délai de préavis d'un an mais immédiatement, le courant d'affaires n'étant maintenu que pour faciliter la transition ; que la circonstances que la société COUSIN avait constitué un stocks d'articles (blister, bracelets, etc.) aux marque de SARA LEE en fonction du volume d'affaires qui lui avait été annoncé pour 2002 est sans conséquence dès lors, d'une part, que la production n'aurait pas dû être interrompue et d'autre part, que les sociétés SARA LEE avaient proposé de reprendre la fraction inemployée au terme de sa relation avec la société COUSIN ; que l'offre des sociétés SARA LEE du 8 mai 2002, confirmée les 28 juin et 7 juillet 2002, remplissait les conditions exigées par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; que le jugement sera infirmé en ce sens ; que la société COUSIN sera déboutée de sa prétention à être indemnisée au titre des licenciements, des pertes de stocks de matières premières, de produits en cours de fabrication et de produits finis, des pertes sur les immobilisations rendues inutilisables par l'arrêt de l'activité, au titre des stocks dédiés acquis par la société COUSIN en prévision du volume d'affaires annoncé pour l'année 2002 par les sociétés SARA LEE, ainsi que pour la marge perdue et ses frais fixes non couverts durant le préavis, ces postes de préjudices étant tous consécutifs à la rupture des relations entre les parties en cours de préavis » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, le préavis devant assortir une rupture de relations commerciales établies ne répond aux conditions définies par l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce que s'il est exécuté aux mêmes conditions que celles existant antérieurement à la rupture ; qu'en l'espèce, ainsi que la Cour d'appel l'a elle-même constaté, l'offre de préavis des sociétés SARA LEE consistait principalement à proposer à la société COUSIN LACETS de substituer à sa production actuelle de lacets en grandes séries une production de lacets « special trade », en petites séries, nécessitant une totale restructuration de l'entreprise, à des conditions très défavorables par rapport aux conditions antérieures, « le courant d'affaires n'étant maintenu que pour faciliter la transition » pendant une période d'un an ; qu'en retenant cependant que cette offre de reconversion, qui modifiait de façon substantielle les conditions contractuelles existant antérieurement entre les parties, remplissait néanmoins les conditions exigées par l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, la Cour d'appel a violé les dispositions de ce texte ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, subsidiairement, à supposer même que l'offre d'un préavis d'un an concernant la production de lacets sous blisters puisse être dissociée de l'offre de reconversion faite à la société COUSIN LACETS, le juge doit en tout état de cause déterminer si le préavis assortissant la rupture des relations commerciales est d'une durée suffisante, notamment au regard de l'ancienneté de celles-ci ; qu'en s'abstenant en l'espèce de rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de l'exposante, si le délai d'un an accordé à la société COUSIN LACETS était d'une durée suffisante au regard des relations existant entre les parties, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ;
ALORS QU'EN OUTRE, plus subsidiairement encore, à supposer même que le préavis proposé à la société COUSIN LACETS réponde aux conditions de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, le refus d'une offre de reconversion faite par l'auteur de la rupture des relations commerciales à son cocontractant, simple expression de la liberté de ne pas contracter de celui-ci, ne peut constituer une faute justifiant que l'auteur de la rupture se dispense d'exécuter le préavis ; qu'en décidant cependant en l'espèce que le refus de la société COUSIN LACETS de prendre en considération l'offre de reconversion dans la production de lacets « special trade » faite par les sociétés SARA LEE constituait une faute, celles-ci n'étant par conséquent pas tenues « de réparer les conséquences d'un arrêt prématuré de leurs relations en cours de préavis », la Cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
ALORS QU'ENFIN, plus subsidiairement encore, à supposer même que le préavis proposé à la société COUSIN LACETS réponde aux conditions de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, la suspension de l'exécution d'un contrat n'est pas fautive lorsqu'elle est due à l'existence d'un cas de force majeure ; qu'en se bornant à relever en l'espèce que la société COUSIN LACETS avait « suspendu toutes ses livraisons de lacets aux sociétés SARA LEE avant de les reprendre quinze jours plus tard », sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de l'exposante, si cette suspension des livraisons n'était pas due à la survenance d'un cas de force majeure, à savoir la grève des salariés de la société COUSIN LACETS après l'annonce de la décision de rupture des sociétés SARA LEE, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, ensemble l'article 1148 du Code civil.