LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages du désistement partiel de son pourvoi à l'égard de la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 12 mai 2001, le véhicule conduit par M. Chérif X..., assuré depuis le 4 mai 2001 auprès de la société les Assurances du Sud, devenue la société Sérénis assurances (l'assureur), par l'intermédiaire d'un courtier, la société Dufourg assurances (le courtier), a été impliqué dans un accident de la circulation au cours duquel un passager a été blessé ; que l'assureur a assigné M. Abdallah X..., le père de M. Chérif X..., ce dernier et le courtier, en nullité du contrat d'assurance sur le fondement de l'article L. 113-8 du code des assurances ; que le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le Fonds) est intervenu volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses deux premières branches :
Vu l'article L. 113-8 du code des assurances, ensemble le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir en justice de sa propre turpitude ;
Attendu que l'assureur ne peut se prévaloir de la nullité du contrat d'assurance encourue en application de ce texte lorsque son mandataire a eu connaissance de la fausse déclaration du souscripteur, le principe susvisé ne s'opposant pas à ce que la faute, la négligence ou l'imprudence du mandataire soit invoquée même par celui qui a fait la fausse déclaration ;
Attendu que pour annuler le contrat d'assurance et rejeter les demandes de garanties des consorts X..., l'arrêt retient que la réticence dolosive et la fausse déclaration intentionnelle sont établies ; que dès lors que la nullité du contrat d'assurance est prononcée sur le fondement de l'article L. 113-8 du code des assurances, les consorts X... ne sauraient valablement demander la garantie du courtier à raison de fautes commises par ce dernier, sauf à admettre qu'ils puissent se prévaloir de leur propre turpitude ; qu'ils seront donc déboutés de leurs demandes dirigées contre le courtier ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le courtier avait agi comme mandataire de l'assureur et s'il n'avait pas eu connaissance de la fausse déclaration des consorts X..., la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt déboute les consorts X... de leurs demandes de garantie ;
Qu'en statuant ainsi, sans motiver le rejet de la demande contre l'assureur, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a écarté des débats les pièces et conclusions du Fonds communiquées la veille de la clôture et confirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la prescription, et condamné les consorts X... aux dépens de première instance, l'arrêt rendu le 11 décembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Sérénis assurances et la société Dufourg assurances aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Sérénis assurances et Dufourg assurances, in solidum, à payer au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages la somme de 2 500 euros ; rejette toutes les autres demandes présentées de ce chef ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de la SCP Delvolvé ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul, sur le fondement de l'article L. 118-3 du Code des assurances, le contrat d'assurance automobile souscrit par M. Abdallah X... auprès des Assurances du Sud pour le véhicule immatriculé ... ;
Aux motifs que « L'article L. 113-8 du Code des assurances dispose, en son premier alinéa, que " indépendamment des causes ordinaires de nullité, et sous réserve des dispositions de l'article L. 132-26, le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre " ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le conducteur habituel du véhicule n'était pas Monsieur Abdallah X..., mais son fils, qui a d'ailleurs établi une attestation en ce sens ; que ce fait a d'ailleurs été confirmé par le père à l'huissier le 7 septembre 2001, sur sommation interpellative ; que cela ne suffit certes pas à caractériser la fraude alléguée, puisque les conditions particulières du contrat mentionnent un Monsieur X... prénommé " Cherif Abdallah " et précisent que " le souscripteur est titulaire de la carte grise " afférente au véhicule assuré, étant rappelé que ce titulaire est Cherif X... ; que de plus, les renseignements recueillis par le courtier identifient le proposant comme " X.... Chérif Abdallah ", ce qui autorise en effet à se demander si, comme soutenu par les consorts X..., ceux-ci n'ont pas entendu l'un et l'autre souscrire une assurance, et si la confusion n'est pas exclusivement le fait du courtier ou de l'assureur ; que toutefois, la mention de cette identité incertaine, dans l'imprimé transmis par le courtier, est suivie : d'une seule date de naissance, le 6 février 1954, d'une seule profession, celle d'artisan, exercée par le père, le fils étant pour sa part intérimaire, et d'un seul permis de conduire, dont le numéro et la date de délivrance correspondent à celui de Monsieur Abdallah X... ; que de plus, les conditions particulières du contrat d'assurance souscrit le 4 mai 2001 ne mentionne, en qualité de conducteur habituel du véhicule, qu'une seule personne, dénommée " Cherif Abdallah X... ", mais identifiée dans la même rubrique comme titulaire d'un permis B délivré le 8 mai 1980 ; qu'il ne peut s'agir que du permis de Monsieur X... père, puisqu'à cette date, son fils n'était pas né ; qu'il y a lieu d'observer également que la proposition d'assurance établie par les Assurances du Sud le 9 mars 2001, après étude tarifaire, a été adressée à Monsieur " Abdallah X... Abdallah " ; que de plus, la proposition d'assurance comme le contrat d'assurance lui-même n'ont pas été signés par Cherif X..., ainsi que le démontrent l'attestation établie par ses soins et la photocopie de carte d'identité qui y est jointe : la signature qui figure sous l'intitulé " le conducteur désigné " dans la proposition, et sous le nom et au bas du contrat, sous le nom attribué au souscripteur, ne peut donc être que celle du père ; qu'elle est d'ailleurs identique à celles apposées sur la sommation interpellative qui lui a été faite à la requête des Assurances du Sud le 7 septembre 2001 ; que c'est ainsi qu'interrogé sur la propriété du véhicule, Monsieur X... père a répondu positivement, mais il a ajouté : " Je l'ai assuré à mon nom et au nom de mon fils qui peut conduire aussi (..). Je suis allé à l'assurance avec mon fils (..) J'ai assuré la voiture aux deux noms car mon fils était jeune permis et ne travaillait pas et peut pas payer l'assurance entre 7 000 et 8 000 francs et que moi j'ai un ancien permis, de temps en temps je conduisais cette voiture " ; que ce faisant, Monsieur Abdallah X... a reconnu avoir souscrit une assurance pour garantir un véhicule qu'il savait habituellement conduit par son fils, dans le seul but de bénéficier de primes plus avantageuses, puisque par ailleurs, rien ne s'opposait à ce que le fils souscrive en son nom une assurance dont le père aurait payé les primes ; qu'à cet égard, l'association faite par le déclarant entre l'obtention récente du permis de conduire par son fils et le niveau des primes est par trop logique pour relever du simple hasard ; que si la franchise des réponses apportées par Monsieur Abdallah X... aux questions posées par l'huissier peut paraître déconcertante, elle n'est pas pour autant incompatible avec l'existence de manoeuvres dolosives de sa part au moment de la formation du contrat ; qu'il convient enfin d'observer que l'apposition par Monsieur Abdallah X... de sa signature sur les documents contractuels fait présumer qu'il en connaissait le contenu et qu'il l'a approuvé ; qu'il n'a donc pas pu échapper au signataire que le contrat comportait un seul souscripteur, et qu'un certain nombre de renseignements essentiels ne correspondaient pas à la réalité ; que certes, Monsieur Abdallah X... excipe d'une connaissance insuffisante de la lange française. Mais la Cour observe qu'il a répondu clairement aux questions posées par l'huissier, sans le truchement d'un interprète, et qu'il dit avoir souscrit la proposition d'assurance en compagnie de son fils, lequel s'exprime couramment en français, comme le démontré l'attestation établie par ses soins : l'argument tiré d'une méconnaissance de la langue française n'est donc pas crédible ; que la réticence dolosive, comme la fausse déclaration intentionnelle, sont donc établis en l'espèce ; que la stipulation dans le contrat d'assurance d'une clause dite de " prêt de volant " à un conducteur novice est sans incidence sur l'application de l'article L. 113-8 du Code des assurances aux faits de la cause ; qu'en effet, une telle clause, au demeurant classique en matière d'assurance automobile, ne vise qu'à garantir les sinistres impliquant le véhicule assuré que lorsque ce dernier est utilisé par un conducteur novice de façon occasionnelle, et pas habituelle, comme en l'espèce ; que de plus, le jeune conducteur étant, par définition, inexpérimenté, la société Sérénis Assurances avait tout intérêt, pour apprécier l'étendue du risque, et donc la tarification applicable, à savoir qui, du père ou du fils, conduisait habituellement le véhicule assuré, étant rappelé que si Monsieur Abdallah X... a obtenu son permis de conduire en 1980, Monsieur Cherif X... n'est pour sa part titulaire d'un permis de conduire que depuis novembre 2000 ; que les consorts X... ne peuvent sérieusement soutenir que ces considérations leur ont échappé, compte tenu des réponses faites par Monsieur Abdallah X... à la sommation interpellative du 7 septembre 2001 ; qu'il n'est pas non plus indifférent de noter que l'accident du 12 mai 2001 trouve son origine dans un défaut de maîtrise, pour lequel Monsieur Cherif X... a été définitivement condamné par la juridiction pénale, et qui traduit une mauvaise adaptation de la vitesse aux circonstances prévisibles de la circulation, fréquente chez les conducteurs peu expérimentés ; qu'enfin, l'ancienneté du véhicule importe peu, dès lors que le contrat n'avait pas seulement pour objet de garantir le bien lui-même, mais aussi la responsabilité civile du conducteur et du gardien ; qu'il y a donc lieu de déclarer nul le contrat d'assurance automobile souscrit par Monsieur Abdallah X... auprès des Assurances du Sud » ;
Alors que l'assureur ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 113-8 du code des assurances de la nullité du contrat lorsqu'il est établi que son représentant, réel ou apparent, avait, au moment de la souscription du contrat, connaissance de l'inexactitude des déclarations de l'assuré ; qu'en prononçant la nullité du contrat d'assurance souscrit par M. Abdallah X..., sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Dufourg Assurances n'avait pas, en sa qualité de représentant, réel ou apparent, de l'assureur, eu connaissance, au moment de la souscription du contrat, de la fausse déclaration du souscripteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
Alors, en tout état de cause, que l'assureur ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 113-8 du code des assurances de la nullité du contrat lorsqu'il est établi que son représentant, réel ou apparent, avait, au moment de la souscription du contrat, connaissance de l'inexactitude des déclarations de l'assuré ; que la faute, négligence ou imprudence du mandataire peut être invoquée même par celui qui a fait la fausse déclaration ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré que les consorts X... et le Fonds de garantie ne pouvaient se prévaloir de la connaissance du courtier de l'inexactitude des déclarations faites par M. Abdallah X... en relevant que les consorts X... ne pouvaient se prévaloir d'une faute du courtier sauf à admettre qu'ils puissent se prévaloir de leur propre turpitude, cependant que la faute du courtier pouvait être invoquée même par celui qui a fait une fausse déclaration, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts X... de leurs demandes de garantie ;
Aux motifs que « dès lors que la nullité du contrat d'assurance est prononcée sur le fondement de l'article L. 113-8 du Code des assurances, les consorts X... ne sauraient valablement demander la garantie de Dufourg Assurances à raison de fautes commises par le courtier, sauf à admettre qu'ils puissent se prévaloir de leur propre turpitude ; qu'ils seront donc déboutés de leurs demandes dirigées contre la société Dufourg Assurances » ;
Alors, d'une part, que le principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans n'a vocation qu'à faire échec aux restitutions après nullité d'un contrat pour immoralité de l'objet ou de la cause ; qu'en déboutant les consorts X... de leur demande tendant à la condamnation de la société Dufourg Assurances à les garantir des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à leur encontre des suites de l'accident survenu le 12 mai 2001 au seul motif qu'ils ne pouvaient se prévaloir des fautes commises par le courtier, sauf à admettre qu'ils puissent se prévaloir de leur propre turpitude, la cour d'appel a fait une fausse application du principe susvisé, qu'elle a violé ;
Alors, d'autre part, qu'en déboutant le Fonds de garantie de sa demande tendant à la condamnation de la société Dufourg Assurances à garantir les consorts X... des éventuelles condamnations qui seraient prononcées à leur encontre des suites de l'accident survenu le 12 mai 2001 au seul motif que ceux-ci ne pouvaient se prévaloir des fautes commises par le courtier, sauf à admettre qu'ils puissent se prévaloir de leur propre turpitude, cependant que le Fonds de garantie était parfaitement étranger aux fausses déclarations faites par M. Abdallah X..., la cour d'appel a violé le principe emo auditur propriam turpitudinem allegans ;
Alors, enfin, que tout jugement doit être motivé ; qu'en déboutant les consorts X... et le Fonds de garantie de leurs demandes de garantie contre l'assureur, la société Sérénis, sur le fondement de l'article L. 511-1 du Code des assurances sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.