LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 avril 2008), que, le 6 février 1997, dans les locaux de leur entreprise, a eu lieu une altercation entre deux salariés, M. X... et M. Y... ; que celui-ci, ayant été blessé, a fait assigner, les 31 octobre, 2 et 7 novembre 2000, M. X... et la société ITT composants et instruments devant le tribunal de grande instance en responsabilité et indemnisation de son préjudice ; que la société AGF, assureur de l'employeur, et Mmes Z... et Estelle Y... et M. Alexandre Y..., enfants du couple, sont intervenus à la procédure ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire qu'il y avait un lien de causalité entre les faits du 6 février 1997 et la pathologie de M. Y... sans qu'il y ait lieu d'ordonner une contre-expertise, et, en conséquence, de le condamner au paiement de dommages-intérêts, le préjudice de M. Y... devant être évalué à dire d'expert, alors, selon le moyen :
1°/ que le rapport de causalité doit être certain ; que ce caractère ne saurait résulter du seul fait qu'un dommage est postérieur à un fait s'il n'est pas constaté que ce fait a été la cause déterminante du dommage ; qu'en disant que l'intervention chirurgicale se trouve à l'origine de l'apparition des troubles dès lors que M. A... relevait qu'"entre l'agression et l'intervention chirurgicale, aucun médecin certificateur ne fait état d'une quelconque pathologie psychiatrique", et que "si M. A... évoque une névrose infantile et des événements de vie antérieurs à l'accident alors que M. B... évoque une névrose post traumatique qui ne constitue pas en soi une structuration névrotique de personnalité constante, tous deux s'accordent à dire que M. Y... ne présentait pas de tels troubles avant l'altercation du 6 février 1997 ; que M. A... précise en particulier que le tableau du coude fléchi, inclus dans une symptomatologie psychiatrique est secondaire à l'intervention chirurgicale au plan de la simple chronologie", déduisant ainsi la certitude du rapport de causalité entre l'agression du 6 février 1997 et les troubles névrotiques de décembre 1999 de la seule chronologie des événements, la cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°/ que le rapport de causalité doit être certain ; qu'en présence d'un doute sur l'existence d'un rapport de causalité celui-ci ne saurait être retenu ; que la cour d'appel a constaté que M. A... évoquait d'autres causes possibles à l'état névrotique de M. Y..., en particulier une "névrose infantile et des événements de vie antérieurs à l'accident" (père alcoolique et violent ; mort du père d'un accident du travail alors que M. Y... n'avait que 10 ans ; coupure avec sa famille - mère et soeurs) ; que ceci était confirmé par le rapport explicite de M. C..., premier expert commis, très affirmatif quant à l'absence de tout lien de causalité entre l'état névrotique de M. Y... et l'altercation du 6 février 1997, rapport totalement occulté ; que les motifs adoptés du jugement constatent que "la décompensation psychiatrique de la victime qui n'était précédée d'aucun trouble antérieur aux faits implique peut-être l'existence d'un état de fragilité antérieur ; pour autant elle ne serait peut-être jamais apparue si les faits ne s'étaient pas produits" ; qu'en présence de ces éléments rendant douteux l'existence d'un rapport de causalité, la cour d'appel ne pouvait retenir l'existence certaine du rapport de causalité ; que ce faisant la cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°/ que le rapport de causalité doit être direct ; qu'en disant que l'intervention chirurgicale pratiquée en 1999 était à l'origine de l'apparition des troubles qui n'étaient apparus qu'après cette intervention, pour retenir dès lors que l'agression du 6 février 1997 était la cause des dommages névrotiques au seul motif que l'intervention chirurgicale était une suite de cette agression, marquant ainsi le caractère éloigné du dommage subi par rapport aux faits reprochés, la cour d'appel, qui n'a pas établi le caractère direct du rapport de causalité, a manqué de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que les deux experts psychiatres appelés successivement à donner leur avis sur l'origine des troubles psychiatriques dont souffre M. Y..., M. A..., puis M. B..., s'accordent à fixer à la fin de l'année 1999 l'apparition de ces troubles ; qu'ils indiquent qu'au cours de l'année 1999, M. Y... a subi une intervention chirurgicale portant sur le coude atteint de lésion et a dû suivre un traitement nécessité par la persistance d'une impotence fonctionnelle qui n'a pas connu l'amélioration escomptée ; qu'ils précisent que M. Y... a fait l'objet d'une hospitalisation à la demande d'un tiers, du 3 au 9 décembre 1999 à la suite d'une tentative de suicide, puis d'une hospitalisation libre du 29 janvier au 3 février 2000 à la suite d'un geste suicidaire ; que depuis le 12 janvier 2000, il est régulièrement suivi par un psychiatre d'un centre médicopsychologique et que lui est prescrit un traitement psychotrope ; que le contexte clinique dont il s'agit est décrit par M. A... comme celui d'une régression affective majeure, avec une tonalité puérile du discours, d'un rétrécissement du champ existentiel avec évitement phobique, bégaiement émotionnel, anxiété, discours régressif centré sur la peur ; que si M. A... évoque une névrose infantile et des événements de vie antérieurs à l'accident alors que M. B... évoque une névrose post traumatique qui ne constitue pas en soi une structuration névrotique de personnalité constante, tous deux s'accordent à dire que M. Y... ne présentait pas de tels troubles avant l'altercation du 6 février 1997 ; que si seul M. B... conclut à l'existence d'un lien de causalité entre l'apparition des troubles névrotiques et l'agression du 6 février 1997, en toute hypothèse, il est constant que l'intervention chirurgicale pratiquée en 1999 est une conséquence de l'accident, qu'elle se trouve à l'origine de l'apparition de troubles n'engendrant jusque là aucune incapacité et non traités jusqu'en 1999, M. A... relevant à cet égard qu'entre l'agression et l'intervention chirurgicale, aucun médecin certificateur ne fait état d'une quelconque pathologie psychiatrique ;
Que de ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, par une décision motivée, dépourvue de motifs hypothétiques, a pu déduire l'existence d'un lien de causalité entre l'agression et les troubles névrotiques dont souffraient M. Y... ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ; le condamne à payer aux consorts Y... la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP TIFFREAU, avocat aux Conseils pour M. X...
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit qu'il y avait un lien de causalité entre les faits du 6 février 1997 et la pathologie de Monsieur Patrick Y... et dit qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner une contre-expertise, et d'avoir en conséquence condamné Monsieur X... au paiement de dommages et intérêts au bénéfice de Madame Y... et de leurs enfants Estelle et Alexandre Y... et nommé le Docteur B... pour fixer le préjudice subi par Monsieur Y... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur le lien de causalité entre l'apparition du trouble névrotique et l'altercation ; qu'il résulte de l'expertise médicale effectuée par le docteur C... le 18 avril 2003 qu'à la suite de l'altercation litigieuse, Monsieur Y... a subi un traumatisme indirect du rachis cervical, un traumatisme du coude droit et une douleur olécrane et qu'à cette date il subsistait, au titre des séquelles fonctionnelles imputables, des douleurs épicondyliennes droites persistances et des douleurs cervicales résiduelles ; que les deux experts psychiatres qui ont été appelés à donner leur avis sur l'origine des troubles psychiatriques dont souffre, par ailleurs, Monsieur D... (sic : Y...), le docteur A... (en février 2003) puis le Docteur Paul B... (en février 2005) s'accordent à fixer à la fin de l'année 1999 l'apparition de ces troubles ; qu'ils indiquent l'un et l'autre, en exposant la chronologie des éléments du registre médical qui leur ont été soumis qu'au cours de l'année 1999, Monsieur D... (sic : Y...) a subi une intervention chirurgicale portant sur le coude atteint de lésion et a dû suivre un traitement nécessité par la persistance d'une impotence fonctionnelle qui n'a pas connu l'amélioration escomptée ; que de la même manière ils précisent que Monsieur D... (sic : Y...) a fait l'objet d'une hospitalisation à la demande d'un tiers, du 3 au 9 décembre 1999 à la suite d'une tentative de suicide par pendaison, puis d'une hospitalisation libre du 29 janvier au 3 février 2000, dans les suites d'un geste suicidaire par automédication ; que depuis le 12 janvier 2000, il est régulièrement suivi par un psychiatre d'un centre médicopsychologique et que lui est prescrit un traitement psychotrope à base d'antidépresseurs ; que le contexte clinique dont il s'agit est décrit par le docteur A... comme celui d'une régression affective majeure, avec une tonalité puérile du discours, d'un rétrécissement du champ existentiel avec évitement phobique, bégaiement émotionnel, anxiété, discours régressif centré sur la peur ; qu'à deux ans de ce premier examen, le docteur B... indique qu'il développe un syndrome dépressif caractérisé avec évolution depuis vers une involution thymique avec retrait socio-affectif, repli et apragmatisme majeur sur lesquels viennent se greffer des symptômes de type phobies sociales, ajoutant que ces troubles psychiatriques d'apparition rapide entrent dans le cadre d'un trouble névrotique de révélation tardive, le sujet étant conscient du trouble ; qu'il y a lieu de considérer que si le docteur A... évoque une névrose infantile et des évènements de vie antérieurs à l'accident alors que le docteur B... évoque une névrose post traumatique qui ne constitue pas en soi une structuration névrotique de personnalité constante, tous deux s'accordent à dire que Monsieur D... (sic : Y...) ne présentait pas de tels troubles avant l'altercation du 6 février 1997 ; que le Docteur A... précise en particulier que le tableau du coude fléchi, inclus dans une symptomatologie psychiatrique est secondaire à l'intervention chirurgicale au plan de la simple chronologie ; qu'il s'agit là d'un symptôme conversif ; que le docteur B... indique quant à lui que l'agression traumatique subie par Monsieur D... (sic : Y...) est à l'origine d'une réaction névrotique de type post-traumatique dont la révélation clinique ne s'est faite qu'à distance du traumatisme lui-même, au détours d'une "réactivation" du traumatisme, par la négation subjective du préjudice qu'a constituée l'intervention chirurgicale de 1999 pour Monsieur D... (sic : Y...) ; que seul le docteur B... conclut à l'existence d'un lien de causalité entre l'apparition des troubles névrotiques et l'agression du 6 février 1997 ; qu'en toute hypothèse, il est constant que l'intervention chirurgicale pratiquée en 1999 est une conséquence de l'accident, qu'elle se trouve à l'origine de l'apparition de troubles n'engendrant jusque là aucune incapacité et non traités jusqu'en 1999, le docteur A... relevant à cet égard qu'entre l'agression et l'intervention chirurgicale, aucun médecin certificateur ne fait état d'une quelconque pathologie psychiatrique ; qu'il est tout aussi constant que le droit de la victime d'obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; qu'ainsi il convient de confirmer le jugement qui a retenu l'existence d'un lien de causalité entre l'altercation litigieuse et la pathologie développée par la victime , a rejeté partant la demande de contre-expertise formée par Monsieur X... et son assureur désigné à nouveau le second expert avec une unique mission d'évaluation des postes de préjudice »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « (…) les deux experts sont d'accord sur le tableau pathologique à ceci près qu'il s'est aggravé au cours du temps puisque Monsieur Y... était presqu'incapable de s'exprimer devant le deuxième expert ; qu'il présente une symptomatologie dépressive avec un syndrome de conversion (les souffrances psychiques se traduisent par des troubles fonctionnels authentiques sans substrats physiologiques repérables) et un apragmatisme majeur ; que les médecins sont par contre en désaccord sur l'origine des troubles psychiatriques ; que le docteur A... exclut tout lien avec les faits pour des motifs chronologiques (les troubles sont apparus après l'intervention chirurgicale) et thérapeutiques, afin, comme il l'explique, d'éviter de laisser E... MONTEL s'installer dans sa maladie qui est authentique et de l'inciter à entamer une psychothérapie ; que le docteur B... diagnostique un syndrome post-traumatique qui confère selon lui une cohérence à l'ensemble des symptômes ce qui le conduit à établir un lien de causalité direct avec l'agression ; que la décompensation psychiatrique de la victime qui n'était précédée d'aucun trouble antérieur aux faits implique peut-être l'existence d'un état de fragilité antérieur ; pour autant elle ne serait peut-être jamais apparue si les faits ne s'étaient pas produits et il est indéniable que les troubles ont été provoqués ou révélés par le fait dommageable ; que la circonstance qu'ils apparaissent disproportionnés par rapport à la gravité objective de l'agression est inhérent à cette pathologie et n'est pas exceptionnelle chez les victimes d'agression ou d'accident ; que dans ces conditions il n'y a pas lieu d'ordonner une troisième mesure d'expertise sur le lien de causalité entre les faits et le préjudice suffisamment établi »
ALORS QUE 1°) le rapport de causalité doit être certain ; que ce caractère ne saurait résulter du seul fait qu'un dommage est postérieur à un fait s'il n'est pas constaté que ce fait a été la cause déterminante du dommage ; qu'en disant que l'intervention chirurgicale se trouve à l'origine de l'apparition des troubles dès lors que le Docteur A... relevait qu' « entre l'agression et l'intervention chirurgicale, aucun médecin certificateur ne fait état d'une quelconque pathologie psychiatrique »(arrêt p. 5 alinéa 6), et que « si le docteur A... évoque une névrose infantile et des évènements de vie antérieurs à l'accident alors que le docteur B... évoque une névrose post traumatique qui ne constitue pas en soi une structuration névrotique de personnalité constante, tous deux s'accordent à dire que Monsieur Y... ne présentait pas de tels troubles avant l'altercation du 6 février 1997 ; que le Docteur A... précise en particulier que le tableau du coude fléchi, inclus dans une symptomatologie psychiatrique est secondaire à l'intervention chirurgicale au plan de la simple chronologie » (arrêt p. 5 alinéas 3 et 4), déduisant ainsi la certitude du rapport de causalité entre l'agression du 6 février 1997 et les troubles névrotiques de décembre 1999 de la seule chronologie des évènements, la Cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil
ALORS QUE 2°) le rapport de causalité doit être certain ; qu'en présence d'un doute sur l'existence d'un rapport de causalité celui-ci ne saurait être retenu ; que la Cour d'appel a constaté que le docteur A... évoquait d'autres causes possibles à l'état névrotique de Monsieur Y..., en particulier une « névrose infantile et des évènements de vie antérieurs à l'accident » (père alcoolique et violent ; mort du père d'un accident du travail alors que Monsieur Y... n'avait que 10 ans ; coupure avec sa famille –mère et soeurs) ; que ceci était confirmé par le rapport explicite du Docteur C..., premier expert commis, très affirmatif quant à l'absence de tout lien de causalité entre l'état névrotique de Monsieur Y... et l'altercation du 6 février 1997, rapport totalement occulté ; que les motifs adoptés du jugement constatent que « la décompensation psychiatrique de la victime qui n'était précédée d'aucun trouble antérieur aux faits implique peut-être l'existence d'un état de fragilité antérieur ; pour autant elle ne serait peut-être jamais apparue si les faits ne s'étaient pas produits » ; qu'en présence de ces éléments rendant douteux l'existence d'un rapport de causalité, la Cour d'appel ne pouvait retenir l'existence certaine du rapport de causalité ; que ce faisant la Cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil
ALORS QUE 3°) le rapport de causalité doit être direct ; qu'en disant que l'intervention chirurgicale pratiquée en 1999 était à l'origine de l'apparition des troubles qui n'étaient apparus qu'après cette intervention, pour retenir dès lors que l'agression du 6 février 1997 était la cause des dommages névrotiques au seul motif que l'intervention chirurgicale était une suite de cette agression, marquant ainsi le caractère éloigné du dommage subi par rapport aux faits reprochés, la Cour d'appel, qui n'a pas établi le caractère direct du rapport de causalité, a manqué de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.