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17/06/2008 | FRANCE | N°07-84357

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 juin 2008, 07-84357


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Jean- Michel,
- LA SOCIETE DES JOURNAUX LA DÉPÊCHE ET LE PETIT TOULOUSAIN,
parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 13 juin 2007, qui, dans la procédure suivie contre Dominique Y... et Bernard Z..., du chef de diffamation publique envers des particuliers, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la v

iolation des articles 29 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 59...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Jean- Michel,
- LA SOCIETE DES JOURNAUX LA DÉPÊCHE ET LE PETIT TOULOUSAIN,
parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 13 juin 2007, qui, dans la procédure suivie contre Dominique Y... et Bernard Z..., du chef de diffamation publique envers des particuliers, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a écarté la responsabilité civile de Dominique Y... et Bernard Z... et de la société d'édition XO sur le fondement du fait justificatif de la bonne foi, après avoir considéré que les passages incriminés étaient diffamatoires en ce qu'ils imputaient aux parties civiles, d'une part, d'avoir orchestré une campagne de calomnie envers Dominique Y... dans le cadre de l'affaire B... et, d'autre part, d'avoir donné à l'une des prostitués – acteur clé du dossier- les noms de magistrats du parquet qui avaient requis dans un procès d'abus de biens sociaux contre les X..., pour se venger d'eux ;

" aux motifs, d'une part, que cette affaire B... a fait l'objet d'un traitement médiatique de très grande ampleur, en particulier par La Dépêche qui reproduisait parfois dès le lendemain les auditions des accusateurs devant le juge ; que, si Dominique Y... a, lors du journal télévisé du 12 mai 2003 de la chaîne TF1, le premier révélé que son nom figurait parmi les notables toulousains impliqués, il est avéré que son nom circulait depuis un certain temps et qu'il serait bientôt désigné ; que Dominique Y... ne se borne pas dans son livre à stigmatiser le comportement du journal La Dépêche mais recherche d'autres explications à sa mise en cause, telles que la lutte qu'il menait en sa qualité de président du CSA, contre l'industrie pornographique et le milieu, de graves dysfonctionnements policiers et judiciaires et met également en avant le déchaînement médiatique au travers notamment d'émissions de télévision, d'interviews de témoins masqués et achetés ou d'ex- proxénètes impliqués dans un crime de même qu'il relate mises au point et interrogations sur les causes d'un tel traitement médiatique de cette affaire à partir de juillet 2003 ; que l'ouverture d'une information judiciaire à la suite des révélations d'ex- prostituées a été faite, en grande partie comme l'a indiqué le procureur de Toulouse, sous la pression médiatique ; que celle- ci a été exercée particulièrement par La Dépêche dans ses articles parus les 1er et 15 avril 2003, date de l'ouverture de l'information ; que Jean Volff, procureur général près la cour d'appel de Toulouse, avait, dès le 23 octobre 2003 dans un entretien accordé au journal Le Monde, relevé que La Dépêche « avait des comptes à régler avec la justice » en notant que son nom avait été jeté en pâture, en première page, très peu de temps après que la cour d'appel eut aggravé les peines prononcées dans une affaire d'abus de biens sociaux contre la famille X... ; qu'à l'audience, devant le tribunal, il a confirmé, à l'instar de Jean- Jacques C... et Marc A..., qu'il ne pouvait s'empêcher de faire un rapprochement avec cette affaire et les noms des magistrats cités et de se poser des questions sur les « coïncidences troublantes » ; que Dominique Y... disposait, en sa qualité de témoin assisté, d'informations sérieuses avant la publication de son livre, mises à jour par l'institution judiciaire (…) ; qu'en définitive, Dominique Y... n'a pas dépassé les limites admissibles en matière de liberté d'expression, en s'interrogeant sur les raisons qui avaient pu conduire à sa mise en cause et en en fournissant un certain nombre dont celles concernant Jean- Michel X... et La Dépêche dans des termes suffisamment mesurés eu égard à sa mise en cause, sans fondement, dans une affaire criminelle d'une extrême gravité qui a fait l'objet d'une campagne médiatique particulièrement virulente par maints organes de presse dont La Dépêche qui s'est livrée à un véritable feuilleton (arrêt, pp. 7- 8) ; que s'agissant de la seconde imputation diffamatoire reprochant aux parties civiles d'avoir donné à l'une des prostituées – acteur clé du dossier- les noms de magistrats du parquet qui avaient requis dans un procès d'abus de biens sociaux contre les X..., pour se venger d'eux, il résulte notamment de l'ordonnance de non- lieu rendue le 25 mars 2005 que le commandant de la section de recherches de la gendarmerie nationale de Toulouse expliquait que, dès le 31 mars 2003, il avait été informé par un journaliste de La Dépêche du Midi du fait que le nom de A... allait sortir dans la presse incessamment ; que Dominique Y... pouvait de surcroît s'étonner que, dans son édition du 10 avril 2003 (et par voie de conséquence s'agissant d'un quotidien du matin bouclé dans la nuit du 9 au 10), La Dépêche ait dénoncé les retards de l'enquête en écrivant :
« nous n'osons croire qu'il s'agit d'éviter quelques fâcheux tracas à tel policier, tel magistrat, aujourd'hui en poste à Montauban ", étant entendu que cette dernière mention permettait l'identification de Marc A..., et ce avant même que ne soit pris le procès- verbal où le nom de celui- ci apparaissait ; (…) que dans ces conditions, et alors même qu'il se fondait pour l'essentiel sur les conjectures exprimées par un haut magistrat, lequel, certes, comme lui- même, se trouvait l'objet d'accusations extrêmement graves, mais dont les fonctions éminentes qu'il exerçait, au moment ou il s'exprimait, contribuait à crédibiliser les propos, Dominique Y... pouvait estimer qu'il avait trouvé l'explication à la question qu'il se pose légitimement tout au long de l'ouvrage sur l'origine des dites accusations ; que même si au regard du caractère ténu des éléments sur lesquels il fondait son analyse, il aurait pu conserver dans son expression une plus grande prudence, il doit lui être tenu compte de la gravité des accusations qui avaient été formulées contre lui comme contre les magistrats de la mise en cause desquels il tentait de discerner les raisons : ces hypothèses ne peuvent être dissociées de la propre situation de celui qui les échafaudait, victime, tout comme ces magistrats, de ce qui se révélait, au moment où il écrivait, n'être qu'accusations sans fondement ; que dans ces conditions, quoique l'on puisse regretter que gravement calomnié, le prévenu n'ait pas su trouver la distance nécessaire pour éviter de procéder lui aussi à des mises en cause incertaines, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Dominique Y... du chef de la seconde imputation (jugement, pp. 9- 10) ; que s'agissant de la première allégation reprochant aux parties civiles d'avoir orchestré la campagne de calomnie envers Dominique Y... dans le cadre de l'affaire B..., Dominique Y... pouvait enfin faire le lien entre les divers éléments en sa possession (un éditorial du 4 avril 2003, un billet du 10 avril 2003, un éditorial du 3 juin 2003 à partir desquels le prévenu pouvait déduire que le quotidien exerçait une réelle pression sur les autorités judiciaire) sur le rôle joué par La Dépêche dans l'écho donné aux accusations formées contre lui et ceux qui ont été détaillés sur la place susceptible d'avoir été tenue par ce même quotidien dans les semblables accusations ayant visé des magistrats toulousains ; quoiqu'il ne disposât pas pour ce qui le concernait personnellement d'autant d'informations, sa situation d'homme blessé atteint par de très graves soupçons, l'inévitable propension à une plus grande subjectivité à laquelle elle ne pouvait que conduire, et la liberté de parole qui doit être reconnue à un homme qui défend son honneur, doivent conduire à admettre le prévenu au bénéfice de la bonne foi (jugement, p. 11) ;

" 1°) alors que les conditions de la bonne foi s'apprécient de façon égale, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ont été proférées les imputations diffamatoires ; qu'il n'y a que dans le domaine de la polémique politique portant sur les opinions et doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat que le fait justificatif de la bonne foi fait l'objet d'une appréciation différente, en n'étant pas nécessairement subordonné à la prudence dans l'expression de la pensée ; qu'en estimant que les deux imputations jugées diffamatoires avaient été proférées au terme d'une enquête sérieuse et de manière prudente parce qu'elles avaient été exprimées en regard des accusations sans fondement dont Dominique Y... avait fait l'objet dans le cadre de l'information judiciaire et que les parties civiles avaient rapportées, après avoir constaté que les éléments, sur la base desquelles les propos incriminés avaient été exprimés, étaient « ténus », que Dominique Y... aurait pu conserver une plus grande prudence (cf. jugement, p. 10, § 4), que la mise en cause des parties civiles était « incertaine » (cf. jugement, p. 10, § 5) et que Dominique Y... souffrait d'une « propension à une plus grande subjectivité » (jugement, p. 11, § 4), la cour d'appel a méconnu les règles de l'exception de bonne foi ;

" 2°) alors que l'exception de bonne foi ne saurait être légalement admise par les juges qu'autant qu'ils énoncent les faits sur lesquels ils se fondent et que ces faits justifient cette exception ; que s'agissant de la preuve de la bonne foi de la première imputation jugée diffamatoire, accusant un organe de presse et un éditorialiste d'avoir orchestré une campagne de calomnie, il appartenait aux juges du fond, pour retenir la bonne foi des prévenus, de caractériser les faits résultant de l'enquête sérieuse, établissant que c'est en connaissance de cause que La Dépêche du Midi aurait impulsé, au mépris de son rôle d'information du public, une campagne d'accusations visant le prévenu dont elle savait qu'elles étaient erronées ; que l'arrêt attaqué, en ce qu'il se borne à relever que Dominique Y... pouvait estimer que La Dépêche avait exercé une pression médiatique, notamment sur le fonctionnement de l'instruction en cause, n'établissant pas que La Dépêche connaissait le caractère infondé des accusations le visant et avait malgré tout persévéré à en faire publiquement état, n'est pas légalement justifié ;

" 3°) alors que l'exception de bonne foi ne saurait être légalement admise par les juges qu'autant qu'ils énoncent les faits sur lesquels ils se fondent et que ces faits justifient cette exception ; que s'agissant de la preuve de la bonne foi de la seconde imputation jugée diffamatoire, accusant les parties civiles d'avoir réglé leurs comptes avec des magistrats en ayant fait en sorte qu'ils soient mis en cause dans l'affaire B..., les juges du fond se fondent sur les témoignages des magistrats en question, sans que ces derniers aient eux- même fait état d'autre chose que des suspicions non étayées par des éléments de faits, de l'affirmation d'un gendarme contenue dans l'ordonnance de non- lieu en date du 25 mars 2005 selon laquelle le nom d'un magistrat allait sortir dans la presse et du fait qu'un article de La Dépêche indiquait qu'un magistrat pourrait être mis en cause dans l'enquête et ce avant même que le nom de ce dernier ne figure dans les procès- verbaux ; qu'aucun de ces éléments, pris individuellement ou dans leur ensemble, que les juges du fond ont eux- même qualifiés de « ténus », de « conjectures » et de « mises en causes incertaines » n'établissaient que les parties civiles auraient, à des fins de vengeance personnelle, fourni à un protagoniste clé de l'affaire B... les noms de magistrats qu'ils voulaient voir mis en cause dans l'information ; qu'ainsi, l'arrêt, qui n'établit pas les faits suffisants de nature à justifier la bonne foi des prévenus, encourt l'annulation ;

" 4°) alors que l'exception de bonne foi ne saurait être légalement admise par les juges qu'autant qu'ils énoncent les faits sur lesquels ils se fondent et que ces faits justifient cette exception ; que s'agissant de la preuve de la bonne foi de la seconde imputation jugée diffamatoire, accusant les parties civiles d'avoir réglé leurs comptes avec des magistrats en ayant fait en sorte qu'ils soient mis en cause dans l'affaire B..., les juges du fond ne peuvent légalement retenir que Dominique Y... s'était exprimé avec prudence, tout en affirmant qu'il avait fondé ses accusations « pour l'essentiel sur des conjectures exprimées par un haut magistrat », qu'« au regard du caractère ténu des éléments sur lesquels il fondait son analyse, il aurait pu conserver dans son expression une plus grande prudence » et que le « prévenu n'avait pas su trouver la distance nécessaire pour éviter de procéder lui aussi à des mises en cause incertaines » ; qu'ainsi, l'arrêt, qui n'a pas légalement justifié sa décision, encourt l'annulation ;

" 5°) alors que l'auteur d'une diffamation ne peut prouver sa bonne foi qu'en se prévalant d'éléments de preuve antérieurs à la publication incriminée qui seuls permettent d'établir qu'au moment où les propos ont été proférés, celui- ci a agi avec prudence, dans un but légitime et sans animosité personnelle ; qu'en se fondant en partie sur les témoignages de magistrats, en poste à Toulouse lors de l'information judiciaire dont Dominique Y... faisait l'objet qui étaient postérieurs aux imputations proférées puisque délivrés à l'audience du tribunal correctionnel de Paris, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" et aux motifs, d'autre part, que l'animosité personnelle n'est pas caractérisée dans l'ouvrage, même si des rivalités régionales de nature politique entre la famille de Dominique Y... et celle de Jean- Michel X..., voire des oppositions entre ces deux personnalités, sont publiques, et ce alors qu'il avait fait l'objet d'attaques très vives, voire humiliantes, dans La Dépêche datée du 15 juin 2003 ;

" alors que la liberté d'expression cesse là où commencent les attaques personnelles ; qu'en considérant que Dominique Y... ne manifestait aucune animosité personnelle à l'endroit des parties civiles, envers lesquelles il avait pourtant proféré des accusations gravement diffamatoires et hautement préjudiciables pour leur réputation professionnelle sur la base d'éléments fragiles, et ce d'autant plus qu'elle constatait que les intéressés étaient des rivaux politiques, qu'ils connaissaient des différends personnels accentués par une prétendue attaque humiliante des parties civiles dans un article visant Dominique Y..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision » ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les circonstances particulières invoquées par les prévenus et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour justifier l'admission à leur profit du bénéfice de la bonne foi ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DÉCLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618- 1 du code de procédure pénale, présentée par Dominique Y..., Bernard Z... et la société XO ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567- 1- 1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Ménotti conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 07-84357
Date de la décision : 17/06/2008
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 13 juin 2007


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 jui. 2008, pourvoi n°07-84357


Composition du Tribunal
Président : M. Joly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Luc-Thaler, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2008:07.84357
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