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29/01/2008 | FRANCE | N°05-20195

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 29 janvier 2008, 05-20195


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris,17 novembre 2004) que le 28 avril 1927a été constituée la société des grands hôtels de Cannes, dont Emmanuel X... était actionnaire majoritaire ; que cette société a donné à bail le 5 juin 1931 à la société fermière de l'hôtel X..., constituée le même jour, l'immeuble et le fonds de commerce de l'hôtel X... à Cannes ; qu'en 1947 les biens de la société des grands hôtels de Cannes ont été confisqués et l'immeuble et le fonds de commerce placés sous sé

questre de l'administration des domaines ; que l'Etat en est devenu propriétaire, pa...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris,17 novembre 2004) que le 28 avril 1927a été constituée la société des grands hôtels de Cannes, dont Emmanuel X... était actionnaire majoritaire ; que cette société a donné à bail le 5 juin 1931 à la société fermière de l'hôtel X..., constituée le même jour, l'immeuble et le fonds de commerce de l'hôtel X... à Cannes ; qu'en 1947 les biens de la société des grands hôtels de Cannes ont été confisqués et l'immeuble et le fonds de commerce placés sous séquestre de l'administration des domaines ; que l'Etat en est devenu propriétaire, par dation en paiement, en 1979, et les a vendus le 24 avril 1981 à la société hôtelière X... Concorde ; que cette société a déposé les 10 et 25 octobre 1996 les marques Le relais X... et Hôtel X..., enregistrées sous les numéros 96 645 273 et 96 648 023, pour désigner des services d'hôtellerie et de restauration en classe 42 ; que, soutenant que son père s'était toujours opposé à ce qu'un éventuel repreneur puisse utiliser son nom, Mme Suzanne X...
Z... a saisi le tribunal de grande instance, demandant qu'il soit fait interdiction à la société Hôtelière X... Concorde d'utiliser le nom X... à titre d'enseigne, de dénomination sociale et de marque, et que soient annulées les marques déposées en 1996 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Suzanne X...
Z... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ces demandes, alors selon le moyen :

1° / que le nom est un attribut de la personnalité, en soi indisponible et hors commerce ; que son usage commercial n'est légitime que s'il est consenti ; qu'un don purement gratuit ne peut se présumer entre commerçants connaissant la valeur de tous les éléments de leur fonds ; que le consentement ne peut tacitement résulter à titre gratuit de l'insertion du nom à un acte qu'autant que ce nom n'a aucune valeur patrimoniale préexistante, pour donner ainsi lieu à un premier usage commercial ; qu'il en est autrement lorsque ce nom a une telle valeur, parce qu'il est déjà attaché à un usage réputé, en sorte que le consentement à un usage nouveau, ou pour le moins distinct, comme nom d'enseigne, nom commercial ou dénomination sociale, ne peut résulter que d'une convention explicite, a priori assortie d'un prix, et portant spécifiquement sur cette autorisation d'usage ; qu'en décidant dès lors qu'Emmanuel X... avait explicitement autorisé l'usage de son nom patronymique à une telle fin, sans avoir constaté aucune convention de cette nature, la cour a violé les articles 9 et 1134 du code civil ;

2° / que pour justifier l'autorisation expresse prétendument donnée par Emmanuel X... de faire un usage autonome de son nom à titre de nom commercial et d'en faire un objet de propriété incorporelle, la cour a retenu que cette autorisation résultait des statuts de la société fermière de l'hôtel X... ; que le nom de X... n'y apparaît pourtant que pour désigner le siège social de ladite société, ou pour décrire l'objet de cette dernière qui était d'assurer l'exploitation de l'hôtel X... ; que lesdits statuts ne comportent ainsi aucune mention de nature à justifier qu'Emmanuel X... aurait accepté que son nom devienne un signe distinctif, détaché de sa personne ; qu'en soutenant le contraire, la cour a dénaturé l'acte évoqué, en violation de l'article 1134 du code civil ;

3° / que pour justifier l'autorisation expresse prétendument donnée par Emmanuel X... de faire un usage autonome de son nom à titre de nom commercial et d'en faire un objet de propriété incorporelle, la cour a retenu que cette autorisation résultait également du bail conclu entre la société des grands hôtels de Cannes et la société fermière de l'hôtel X... ; que ce bail avait pour objet de dissocier la propriété du bien de son exploitation effective ; que l'exposante avait fait valoir dans ses écritures que ce bail avait été conclu pour 3 ans, et que, par avenant, il était renouvelable jusqu'au 30 août 1949, en sorte qu'à cette date, Emmanuel X... se trouvait libre d'autoriser ou nom l'usage son nom et qu'il était fondé à solliciter et à obtenir, par jugement du 26 juillet 1949, qu'il fût fait défense à tout acquéreur éventuel de s'en servir ; qu'en laissant sans réponse ce chef des conclusions, d'où il s'évinçait qu'Emmanuel X... n'avait pas pu donner l'autorisation expresse et définitive de faire usage autonome de son nom à titre commercial, la cour a privé sa décision de motif, en violation de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;

4° / que le bail est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps ; qu'en l'espèce, à supposer qu'Emmanuel X... ait entendu autoriser l'usage de son nom, cette autorisation n'avait d'autre objet que de s'assurer que, tout au long du bail, l'hôtel dont Emmanuel X... était à la fois le propriétaire et le directeur, ne se verrait pas attribuer un autre nom ; que l'acte visé, qui revenait à rendre Emmanuel X... lui-même bénéficiaire de l'autorisation, au travers de la société qu'il avait constituée pour diriger l'hôtel, ne comporte ainsi aucune autorisation à ce que le nom X... devienne « un signe distinctif détaché de sa personne physique pour s'appliquer à une personne morale et devenir ainsi objet de propriété incorporelle » ; qu'en affirmant le contraire, bien que l'autorisation d'usage donné par le bail soit par nature provisoire et ne dure que tant que le bailleur accepte le renouvellement, de sorte qu'Emmanuel X... entendait conserver la maîtrise de son nom, dont il n'a été privé qu'en raison de la dépossession illicite de ses biens dont il a été victime après-guerre, la cour a dénaturé le bail, en violation de l'article 1134 du code civil ;

5° / que le bail du 5 juin 1931 a été explicitement conclu, conformément aux dispositions du procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 2 juin 1931, auquel il renvoie, entre Emmanuel X..., « d'une part », pris en sa seule qualité « d'administrateur délégué spécialement à l'effet des présentes », pour représenter la Société des grands hôtels de Cannes, et, « d'autre part », Eugène Y..., agissant en sa qualité de représentant de la société Fermière de l'hôtel X... ; qu'en affirmant dès lors qu'Emmanuel X..., qui n'avait pas qualité à titre personnel pour représenter la société des grands hôtels de Cannes, aurait agi à cet acte « en son nom propre » pour donner une autorisation explicite à la société fermière de l'hôtel X... d'user de son nom à titre commercial, comme enseigne, nom commercial et dénomination sociale, en sorte que son nom patronymique devienne « un signe distinctif détaché de sa personne physique pour s'appliquer à une personne morale et devenir ainsi objet de propriété incorporelle », la cour a dénaturé les termes clairs du bail visé, en violation de l'article 1134 du code civil ;

6° / que, à supposer même qu'Emmanuel X... soit intervenu au bail du 5 juin 1931 en son nom propre, les conditions et les dispositions du bail manifestent qu'il a agi sans laisser aucune latitude de faire de son nom « un signe distinctif détaché de sa personne physique pour s'appliquer à une personne morale et devenir ainsi objet de propriété incorporelle » ; qu'en effet, tandis qu'Emmanuel X... avait le contrôle absolu de la société bailleresse comme de la société preneuse, le bail n'a été concédé que pour un temps limité et l'usage du nom X... a été accordé non pas en tant que raison sociale mais uniquement en tant simple enseigne ou, tout au plus, de nom commercial ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, la cour a dénaturé le bail, en violation de l'article 1134 du code civil ;

7° / qu'Emmanuel X... n'a donné aucune autorisation à la société des grands hôtels de Cannes, fût-ce implicite, par introduction de son nom dans les statuts de cette dernière, comme les premiers juges l'ont constaté, sans être repris sur ce point par la cour, et comme en atteste l'extrait de registre du commerce de cette société ; que seuls les droits de cette société des grands hôtels de Cannes ont été transmis à l'Etat, en vertu de la loi de finance rectificative du 29 décembre 1979 ayant eu pour objet la dation en paiement des biens de ladite société, la société fermière de l'hôtel X..., pour sa part, ayant cessé son activité le 30 octobre 1955 ; que nul ne peut conférer plus de droits qu'il n'en possède, a fortiori les droits d'autrui ; qu'il s'ensuit qu'en acquérant l'hôtel X..., par actes des 24 avril et 11 décembre 1981, la société hôtelière X... Concorde n'a pu se voir transmettre de droit sur le nom X..., ni de la société Des grands hôtels de Cannes, qui ne les possédait pas, ni de la société Fermière de l'hôtel X... qui, en toute hypothèse, n'existait plus ; qu'en décidant le contraire, la cour a violé ensemble les articles 9,1134 et 1599 du code civil ;

8° / qu'Emmanuel X..., qui n'a entendu prêter l'usage de son nom qu'à titre précaire et temporaire à la société fermière de l'hôtel X... pour l'exploitation de l'hôtel qu'il dirigeait lui-même, a manifesté explicitement sa volonté d'interdire absolument tout usage commercial de son nom patronymique par tout acquéreur éventuel de l'hôtel ; que cette demande a été insérée sous forme de dire dans le cahier des charges de la vente ordonnée, par un jugement définitif du 26 juillet 1949 du tribunal de grande instance de Grasse ; qu'en décidant dès lors, en dépit de cette décision qui s'imposait tant à l'Etat qu'à l'acquéreur, que l'usage commercial du nom X... avait été autorisé par son titulaire et que la société Hôtelière X... Concorde pouvait en revendiquer le droit, la cour a violé l'article 9 du code civil, ensemble l'article 480 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel, a, par une interprétation souveraine du contenu et de la portée des statuts de la société fermière de l'hôtel X... et du bail consenti à cette dernière en 1931 par la société des grands hôtels de Cannes, représentée par M.X..., et abstraction faite de motifs surabondants, retenu, répondant aux conclusions, qu'Emmanuel X... avait autorisé les sociétés exploitant le fonds de commerce d'hôtel qu'il avait créé à utiliser son nom à titre d'enseigne, de nom commercial, et de dénomination sociale ; qu'elle a pu décider que ce nom était devenu un objet de propriété incorporelle et statuer comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu Mme X...
Z... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes tendant notamment à ce que soit prononcée la nullité de l'enregistrement des marques Le relais X... et Hôtel X..., alors selon le moyen :

1° / que le nom d'Emmanuel X..., mondialement connu pour son génie et son professionnalisme en matière d'industrie hôtelière de grand luxe, a immédiatement attiré la clientèle vers l'établissement litigieux, dès sa création ; que la cour a relevé qu'Emmanuel X... avait autorisé l'usage de son nom patronymique comme enseigne, nom commercial et dénomination sociale dans le cadre de l'hôtel X..., nom sous lequel a toujours été exploité cet établissement ; qu'il s'ensuivait que le nom d'Emmanuel X... était indissociablement lié à l'histoire de l'établissement, sans solution de continuité, et qu'en maintenant ce nom lors de l'acquisition de l'hôtel, en 1981, sans y être aucunement obligée, la société Hôtelière X... Concorde avait nécessairement entendu perpétuer ce nom à cause de son rayonnement commercial et pour bénéficier d'une « renommée empruntée », construite avant elle ; qu'en décidant dès lors qu'aucune renommée n'était attachée au nom d'Emmanuel X... au cours de l'acquisition de l'établissement hôtelier par la société hôtelière X... Concorde et que cette renommée était le seul fruit de ladite société, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

2° / que la notoriété d'un nom ne requiert pas qu'il soit connu universellement de tous ; qu'il suffit qu'il soit connu, dans le domaine professionnel, des pairs de celui qui le porte, comme un titre de savoir-faire et d'excellence ; qu'en décidant dès lors que le nom d'Emmanuel X... ne jouissait pas d'une notoriété suffisante, après avoir pourtant constaté qu'il était réputé « au sein de la profession pour avoir exercé des fonctions de direction dans des hôtels prestige », en particulier dans la « presse spécialisée », la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

3° / qu'il n'est pas contesté qu'Emmanuel X..., professionnel reconnu, a fondé l'hôtel qui porte son nom et en a fait un établissement de prestige plus de 50 ans avant son acquisition par la société Hôtelière X... Concorde ; qu'au regard de l'expérience constatée par la cour, lorsque Emmanuel X... a autorisé l'usage de son nom « comme enseigne, nom commercial et dénomination sociale » pour désigner un hôtel de prestige, ce nom avait, par le fait même, une valeur commerciale préexistante reconnue ; qu'en décidant dès lors que la société Hôtelière X... Concorde, qui ne pouvait tenir ses droits que de la société des grands hôtels de Cannes, avait eu le droit de déposer ce nom patronymique comme marque, sans avoir constaté qu'Emmanuel X..., son titulaire, avait autorisé cette dernière société, par un acte de renonciation expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, à déposer ce nom à titre de marque pour désigner un produit identique dans le même domaine, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

4° / qu'en toute hypothèse, ne peut être adopté comme marque, selon la loi, un signe qui porte atteinte à des droits résultant soit d'une situation juridiquement protégée enregistrement, appellation d'origine protégée, droit d'auteur, dessin ou modèle protégés, etc., soit d'une notoriété attachée à une marque, une dénomination ou une raison sociale, à un nom commercial ou à une enseigne connus, à une collectivité territoriale, etc., soit de la dignité de la personne droit de la personnalité d'un tiers, notamment à son nom de famille, à son pseudonyme ou à son image ; que ces hypothèses, non limitatives, sont également autonomes, en sorte que les conditions attachées à l'une ne le sont pas à d'autres ; que si, notamment, la condition de notoriété sur l'ensemble du territoire national est légalement attachée au nom commercial ou à l'enseigne, elle ne l'est pas au nom de famille ; qu'en décidant dès lors que le dépôt des marques litigieuses était légitime, au motif que Emmanuel X... n'était pas notoirement connu sur le territoire national, ou que la notoriété éventuellement attachée à son nom avait disparue, la cour, qui a soumis la protection de ses « droits antérieurs » et de ceux de ses descendants à une condition que la loi ne comportait pas, a violé l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, qu'en 1981, date de l'acquisition de l'hôtel par la société Hôtelière X... Concorde, le nom de X... ne bénéficiait d'aucune notoriété, Emmanuel X... ayant cessé toute activité depuis des décennies, et que la renommée du signe à la date du dépôt des marques résultait exclusivement de l'exploitation que la société Hôtelière X... Concorde avait fait de la dénomination, a pu, abstraction faite des motifs critiqués par la deuxième branche, qui sont surabondants, statuer comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X...
Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la condamne à payer à la société Hôtelière X... Concorde la somme de 2 000 euros et rejette les autres demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 05-20195
Date de la décision : 29/01/2008
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 17 novembre 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 29 jan. 2008, pourvoi n°05-20195


Composition du Tribunal
Président : Mme Favre (président)
Avocat(s) : SCP Ancel et Couturier-Heller, SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, SCP Vuitton, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2008:05.20195
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