COUR DE CASSATION
07 CRD 062
Audience publique du 10 décembre 2007 Prononcé au 21 janvier 2008
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l’article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, M. Breillat, conseiller, Mme Gorce, conseiller référendaire, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l’assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur les recours formés par :
- Monsieur Youcef X...,
- L'agent judiciaire du Trésor,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Bordeaux en date du 6 mars 2007 qui a alloué à M. X... les sommes de 7 500 euros et 16 000 euros en réparation du préjudice moral et matériel sur le fondement de l’article 149 du code précité ainsi que 1 500 euros au titre de l'artcle 700 du nouveau code de procédure civile.
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 10 décembre 2007 en l’absence de l’intéressé et de son avocat ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de Me Bourdet, avocat au Barreau de Bordeaux, représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l’agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de Me Bourdet ;
Vu la notification de la date de l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l’agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l’audience ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Gorce, les observations de Me Couturier-Heller, avocat représentant l’agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l’avocat général Charpenel ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que, par décision du 6 mars 2007, le premier président de la cour d'appel de Bordeaux a alloué à M. X... les sommes de 7500 euros en réparation de son préjudice matériel, 16 000 euros au titre de son préjudice moral et 1 500 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, à raison d’une détention provisoire effectuée du 25 juin 2004 au 10 juin 2005, pour des faits ayant conduit à une ordonnance de non-lieu devenue définitive ;
Attendu que M. X... et l’agent judiciaire du Trésor ont formé un recours contre cette décision, respectivement les 13 et 15 mars 2007 ;
Attendu que M. X... critique la décision déférée en ce qu’elle a procédé à une indemnisation insuffisante de ses différents préjudices; qu’il sollicite les sommes de 38 951 euros en réparation de son préjudice matériel, 48 000 euros en réparation de son préjudice moral et 8 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile;
Attendu que l’agent judiciaire du Trésor conclut pour sa part à la réduction des sommes allouées au titre du préjudice moral; que le procureur général conclut au rejet des recours ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que pour limiter à la somme de 7 500 euros l’indemnité allouée à ce titre, le premier président a retenu que si M. X... justifiait d’une perte réelle de revenu du 28 juin au 28 septembre 2004, qu'il a évalué à la somme de 3 000 euros, et d’une perte de chance de trouver un emploi pour la période postérieure du 29 septembre 2004 au 10 juin 2005 qu'il a fixé à la somme de 4 500 euros, il ne pouvait en revanche réclamer aucune réparation au titre de la perte de salaire consécutive à son placement sous contrôle judiciaire ;
Attendu que M. X... justifie en premier lieu qu’il a subi une perte de revenu de 3000 euros, du 28 juin au 28 septembre 2004, période pour laquelle il disposait d’un contrat de travail à durée déterminée; que la décision du premier président qui lui a alloué cette somme sera donc confirmée sur ce point ;
Attendu ensuite que M. X... justifie que dès sa libération, il a retrouvé un emploi; qu’il établit en conséquence que son incarcération lui a fait perdre une chance de trouver un emploi stable et rémunérateur; qu’il y a lieu dès lors de lui accorder une somme de 18 000 euros en réparation de ce préjudice ;
Attendu que s’agissant des frais de défense, le premier président a jugé que la facture récapitulative d’honoraires produite ne permettait pas d’identifier les prestations réalisées, de déterminer si elle correspondait à des honoraires réclamés au titre de diligences effectuées pour obtenir la libération de M. X...; qu’il convient cependant de constater que si cette facture n’est pas exclusivement consacrée aux frais de défense liés à la détention provisoire de ce dernier, elle énumère cependant de façon détaillée des prestations qui s' y rapportent pour un montant de 8 000 euros à ce titre; que son recours doit être accueilli de ce chef ;
Sur le préjudice moral :
Attendu qu’au soutien de sa demande de majoration de l’indemnité allouée au titre de son préjudice moral, M. X... souligne principalement qu’il a été incarcéré à plus de 250 km du domicile de sa famille, qu’il a subi des privations alimentaires en raison de sa religion musulmane, confronté à une forte promiscuité en cellule, que son couple a été détruit et enfin que ses droits de la défense ont été bafoués pendant toute la durée de l’instruction ;
Attendu que l’agent judiciaire du Trésor fait valoir que les atteintes à la dignité humaine, notamment retenues par le premier président pour allouer à M. X... la somme de 16 000 euros, ne sont pas démontrées ;
Attendu que si les conditions dans lesquelles s'est déroulée la procédure d’instruction n’ouvrent pas droit à réparation sur le fondement des dispositions de l’article 149 du code de procédure pénale, qu' il apparaît cependant que compte tenu de son âge au moment de son incarcération (25 ans), de la durée de celle-ci (trois cent quarante sept jours), des conditions de la détention, de l’absence de toute incarcération antérieure et du réel éloignement qu’il a subi avec sa famille, l’indemnité réparant intégralement son préjudice moral doit être fixée à la somme de 20 000 euros ;
Sur les frais irrépétibles :
Attendu que l’équité commande d’allouer au demandeur une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours de M. Youcef X... et statuant à nouveau ;
Lui ALLOUE les sommes de :
. 29 000 EUROS (VINGT NEUF MILLE EUROS) au titre de son préjudice matériel ;
. 20 000 EUROS (VINGT MILLE EUROS) au titre de son préjudice moral ;
. 1 500 EUROS (MILLE CINQ CENTS EUROS) au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait par les magistrats présents lors des débats qui en ont délibéré et prononcé en audience publique par M. Breillat, conseiller ayant participé au délibéré, en présence du greffier ayant assisté aux débats ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par M. Breillat, conseiller le plus ancien en raison de l'empêchement du président et par le greffier.
Le président Le rapporteur M. Breillat Mme Gorce Le greffier Mme Bureau