AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que, par acte passé le 6 avril 1989, par M. X..., notaire, les époux Y... ont vendu aux époux Z... leur fonds de commerce de poissonnerie, sans que participe à cet acte M. A..., bailleur des locaux dans lesquels les cédants exploitaient ce fonds ; que, par décision irrévocable le bail commercial conclu entre M. A... et les époux Y... a été résilié ; que les époux Z... ont fait assigner leurs vendeurs et M. X... afin d'être indemnisés du préjudice par eux subi ;
que les époux Y... ont également poursuivi à l'encontre du notaire la réparation de la perte de leur fonds de commerce ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir déclaré responsable des préjudices liés à la "résiliation" de la cession du fonds de commerce, alors, selon le moyen, que :
1 / la preuve de l'exécution du devoir de conseil peut être rapportée par tous moyens ; que le notaire se prévalait d'un acte en date du 24 juillet 1989, signé par les époux Y... et les époux Z... par lequel ces parties reconnaissaient qu'il leur avait fait part de tous les risques du défaut d'intervention du bailleur à l'acte, notamment d'une assignation en résiliation du bail et qu'ils avaient néanmoins souhaité réitérer la cession du fonds de commerce ; qu'en relevant, pour écarter cette pièce, que le notaire ne pouvait se prévaloir d'une décharge de responsabilité postérieure à l'acte instrumenté, sans rechercher si cet écrit ne constituait pas un aveu de ce
que les conseils requis avaient été donnés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1315 et 1354 du code civil ;
2 / le notaire ne peut refuser d'instrumenter un acte licite dès lors que les parties l'en ont requis en connaissance de cause des risques encourus ; qu'en décidant néanmoins que le notaire ne pouvait être exonéré de sa responsabilité par la circonstance que les parties auraient passé l'acte en ayant connaissance des difficultés rencontrées et qu'il aurait dû refuser de réaliser la cession dans de telles conditions, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil et l'article 3 de la loi du 25 ventôse An XI ;
Attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le notaire ne saurait se prévaloir de la clause de décharge de responsabilité figurant dans l'acte signé par les époux Y... et Z... qu'il avait établi postérieurement à l'acte de cession de fonds de commerce critiquable et cela d'autant mieux qu'à la date d'établissement de cet acte, lui-même postérieur à l'assignation des cédants et cessionnaires par M. A..., il savait que l'acte de cession de fonds de commerce était entaché d'irrégularité ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation, a implicitement mais nécessairement estimé que les mentions de cet acte de reconnaissance de conseils donnés et de "décharge de responsabilité" n'établissaient pas que c'est en pleine connaissance de cause après qu'auraient été prodigués par cet officier public tous les conseils qui s'imposaient sur les risques encourus du fait d'une cession en l'absence du bailleur commercial, que les époux Y... et Z... auraient persévéré dans leur intention de conclure cette vente, de sorte que le moyen, qui n'attaque qu'une motivation surabondante de l'arrêt en sa seconde branche, n'est pas fondé en sa première ;
Sur le deuxième moyen pris en ses deux branches, et le troisième moyen ci-après annexés :
Attendu que les moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le quatrième moyen, ci-après annexé :
Vu l'article 16 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu qu'une partie du prix payé par les époux Z... pour l'acquisition du fonds de commerce avait été consignée dans la comptabilité du notaire, avant que partie de cette somme ne soit versée à un huissier de
justice et que le solde ne soit consigné à un compte CARSAT ; que M. X... soutenait ne pouvoir être condamné à restituer des sommes, dont il n'était plus détenteur ; que l'arrêt ordonne la mainlevée au bénéfice des époux Z... de la somme consignée au compte CARSAT et condamne M. X... à leur payer la différence entre la somme initialement consignée en sa comptabilité et celle consignée au compte CARSAT ;
Qu'en statuant ainsi, sans avoir ordonné la réouverture des débats, alors que les époux Z... ne concluaient qu'à la mainlevée de la totalité des sommes qui avaient été consignées entre les mains du notaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen, ci-après annexé :
Vu l'article 1153 du code civil ;
Attendu que l'arrêt met à la charge de M. X... les intérêts au taux légal sur la totalité de la somme qui avait été consignée dans sa comptabilité, depuis la date de l'assignation ;
Qu'en statuant ainsi, alors que mainlevée avait été donnée de cette somme, dont M. X... était dessaisi, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. X... à payer aux époux Z..., d'une part, la différence entre la somme de 140 000 francs et celle consignée au compte CARSAT et, d'autre part, les intérêts au taux légal sur cette somme de 140 000 francs depuis la date d'assignation, l'arrêt rendu le 5 mai 2004, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne les époux Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande des époux Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille sept.