AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Recape s'était engagée par plusieurs contrats à s'approvisionner de façon prioritaire auprès de la société CSF ; que les parties avaient également souscrit des contrats intitulés "Dépôt de garantie - Constitution de nantissement", contenant une clause attributive de juridiction désignant le tribunal de commerce de Caen, par lesquels la société CSF obtenait un gage à la garantie du paiement des marchandises ; que les litiges concernant l'exécution des contrats d'approvisionnement ont été soumis à un tribunal arbitral en application d'une clause compromissoire ; que la société Recape a demandé, en référé, le remboursement des sommes qui avaient fait l'objet d'un dépôt de garantie en exécution du contrat de gage ; que le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction arbitrale saisie ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société CSF fait grief au premier arrêt (Caen, 9 septembre 2004) d'avoir rejeté l'exception d'incompétence au profit de la juridiction arbitrale, alors, selon le moyen, que la cour d'appel, qui a retenu sa compétence, en refusant de laisser apprécier aux arbitres si les clauses compromissoires, insérées aux contrats d'approvisionnement liant les sociétés CSF et Recape, ne s'étendaient pas aux contrats accessoires de dépôt de garantie subséquents, nonobstant l'insertion, dans ces derniers, de clauses attributives de juridiction contradictoires, a méconnu, en violation des articles 1458 et 1466 du nouveau code de procédure civile, la primauté absolue de l'arbitre pour statuer sur l'étendue de sa propre compétence ;
Mais attendu qu'en présence de deux contrats qui n'ont pas le même objet, dont l'un contient une clause compromissoire et l'autre une clause attributive de compétence, la cour d'appel, qui a constaté que l'arbitre ne pouvait étendre sa compétence à un contrat autre que celui qui contenait la clause d'arbitrage alors que les parties avaient voulu distinguer les contrats par des clauses contraires, a pu en déduire que la clause stipulée dans le contrat de gage dont l'exécution était poursuivie excluait la compétence du tribunal arbitral de laquelle seul le contrat d'approvisionnement ressortissait, de sorte que la convention d'arbitrage stipulée au contrat d'approvisionnement était manifestement inapplicable au litige ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 873, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ;
Attendu que, pour accueillir la demande de provision de la société Recape, le second arrêt énonce que la clause selon laquelle le gage garantit "toute somme due" doit être interprétée en considération des stipulations des conventions de "dépôt de garantie constitution de nantissement" et qu'il est manifeste que l'intention des parties était que le gage garantisse le paiement des marchandises et non une quelconque créance de dommages-intérêts pour de prétendues violations des contrats d'approvisionnement autres que l'obligation de paiements des marchandises ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a dû interpréter les clauses des contrats, a tranché une contestation sérieuse et violé les dispositions du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2004 par la cour d'appel de Caen ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen, autrement composée ;
Condamne la société Recape aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille six.