La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- M. Michaël X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel d'Amiens en date du 10 novembre 2005 qui lui a alloué une indemnité de 4 000 euros au titre de son préjudice matériel sur le fondement de l'article 149 du code précité ; Les débats ayant eu lieu en audience publique le 29 mai 2006, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ; Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ; Vu les conclusions de M. Vandeputte, avocat au Barreau de Beauvais, représentant M. X... ; Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ; Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ; Vu les conclusions en réponse de M. Vandeputte ; Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ; Sur le rapport de Mme le conseiller Nési, les observations de M. Vandeputte, avocat, assistant M. Horn, celles de M. X..., comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ; Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique;
LA COMMISSION,
Attendu que par décision du 10 novembre 2005 le premier président de la cour d'appel d'Amiens a alloué à M. X... une indemnité de 4.000 euros en réparation du préjudice moral causé par une détention de 5 mois et 30 jours effectuée du 17 janvier 2002 au 16 juillet 2002 pour des faits ayant abouti à une ordonnance de non-lieu définitive du 5 janvier 2005, mais l'a débouté de sa demande en indemnisation du préjudice matériel et au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision pour obtenir que la réparation de son préjudice moral soit portée à 21 000 euros et qu'il lui soit alloué 8 217,60 euros au titre de son préjudice matériel, 1 500 euros pour les frais irrépétibles exposés devant le premier président et 1 500 euros pour les frais exposés au même titre devant la commission nationale; que dans ses conclusions récapitulatives en réponse du 2 mai 2006 il a renoncé à ce dernier chef de demande ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor a conclu au rejet du recours ;
Attendu que l'avocat général a conclu à la limitation de l'indemnisation de M. X... aux frais de défense exposés pour obtenir sa remise en liberté et justifiés par facture ;
Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée à sa demande à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité doit réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que le premier président a estimé que M. X... ne justifiait d'aucune ressource, emploi ou recherche d'emploi et qu'il devait donc être débouté de sa demande au titre d'un préjudice matériel en relation avec son incarcération ;
Attendu que M. X... , qui soutient qu'il existe, comme en matière de préjudice corporel, une sorte de préjudice "incompressible" imputable à la détention consistant dans un trouble dans les conditions d'existence, fait également valoir que du fait de son incarcération, il n'a pas été en mesure de rechercher activement un emploi ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor, après lui avoir opposé l'absence de preuve d'une perte de chance de trouver un emploi, a admis au cours des débats l'existence d'une perte de chance minime d'obtenir plus tôt un contrat d'emploi solidarité ;
Attendu qu'outre le préjudice matériel qui peut inclure un préjudice corporel, seul le préjudice moral peut ouvrir droit à réparation; que M. X... ne peut donc prétendre à une indemnisation distincte et autonome du fait d'un trouble apporté à ses conditions d'existence par la détention ;
Attendu qu'il résulte des documents produits que si M. X... ne travaillait pas avant son incarcération et percevait le revenu minimum d'insertion, il s'est inscrit à l'agence nationale pour l'emploi à sa sortie de prison et a bénéficié d'un contrat emploi solidarité le 3 octobre 2004 comme ouvrier polyvalent au salaire de 516,69 euros par mois qui s'est prolongé jusqu'en juillet 2004, à la suite duquel il a eu un entretien pour un projet d'action personnalisé et a perçu des indemnités; qu'en conséquence il a bien subi, du fait de son incarcération, une perte de chance de trouver un emploi qui peut être évaluée, au vu de ces éléments, à la somme de 450 euros par mois pendant la durée de la détention soit 2.700 euros ; Attendu qu'il convient également d'indemniser M. X... des frais d'avocat qu'il a exposés pour obtenir sa remise en liberté et qui sont justifiés par une facture du 5 juillet 2002 d'un montant de 717, 60 euros ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'accueillir partiellement son recours au titre du préjudice matériel et de lui allouer la somme de 3 417, 60 euros ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que pour fixer le préjudice moral de M. X... à 4.000 euros le premier président s'est borné à faire état des pièces de la procédure et de la personnalité de l'intéressé ;
Attendu que M. X... fait valoir que sa détention injustifiée l'a empêché d'assister à la naissance de son enfant et aux six premiers mois de sa vie, qu'il n'a pu le rencontrer qu'au parloir de la maison d'arrêt lorsqu'il avait trois mois et qu'il n'a pas pu davantage se rendre aux obsèques de sa grand-mère décédée en juin 2002; qu'il invoque également l'éloignement de son lieu de détention (Amiens) du lieu de résidence de sa compagne et de son enfant (Beauvais) et le retard de son mariage en raison des frais consacrés à sa défense; qu'il précise également que par rapport à ses incarcérations antérieures, cette détention lui a été d'autant plus pénible qu'il se savait innocent ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor considère au contraire que le passé carcéral de l'intéressé constitue un facteur d'atténuation du choc carcéral dû au premier contact avec la prison, et que seul est indemnisable le préjudice personnel au requérant ;
Attendu que les pièces du dossier établissent la réalité de l'éloignement familial d'avec sa compagne et le nouveau-né, l'impossibilité d'assister à la naissance de son enfant et aux obsèques de sa grand-mère qui sont autant de facteurs d'aggravation de son préjudice moral ;
Attendu de surcroît que si le préjudice subi par les proches n'est pas indemnisable, la souffrance supplémentaire du détenu, causée par le désarroi de savoir sa compagne et son bébé seuls sans pouvoir leur apporter le soutien nécessaire, constitue bien un préjudice personnel indemnisable ;
Attendu qu'en revanche M. X... ayant subi dans un passé proche, plusieurs incarcérations et ne justifiant pas d'un travail spécifique de réinsertion, celles-ci doivent être retenues comme un facteur d'atténuation du choc carcéral, élément spécifique du préjudice moral ;
Attendu que compte tenu de l'âge de l'intéressé au moment de son incarcération (24 ans), de la durée de la détention (181 jours) et de l'ensemble des éléments atténuant ou aggravant le préjudice moral, il convient d'en fixer la réparation intégrale à la somme de 11.000 euros ;
Qu'il convient d'accueillir partiellement le recours de M. X... de ce chef ;
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu que l'équité exigeait d'allouer au requérant, pour la procédure conduite devant le premier président, une indemnité de 1.000 euros ;
Attendu qu'il convient de constater que M. X... qui bénéficie de l'aide juridictionnelle, a renoncé à sa demande au titre de l'article 700 pour la procédure de recours devant la commission nationale ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE partiellement le recours de M. Michaël X... ;
Lui ALLOUE les sommes de 3.417 euros (TROIS MILLE QUATRE CENT DIX SEPT EUROS) au titre du préjudice matériel, de 11.000 euros (ONZE MILLE EUROS) au titre du préjudice moral et celle de 1.000 euros (MILLE EUROS) au titre des frais irrépétibles exposés devant le premier président de la cour d'appel ;
DONNE acte à M. Michaël X... du désistement de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile afférente à la procédure de recours devant la commission nationale ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 26 juin 2006 par le président de la Commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président,