AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Société bourbonnaise de travaux routiers (la SBTR) ayant été déclarée en redressement puis liquidation judiciaires les 21 août et 18 décembre 1996 avec M. X... pour mandataire liquidateur, la Banque nationale de Paris intercontinentale (la BNPI), aux droits de laquelle se trouve la BNP Paribas Réunion, a déclaré la créance dont elle s'estimait titulaire au titre, notamment, des soldes débiteurs de deux des comptes courants dont cette société était titulaire dans ses livres ; que la SBTR a contesté le montant de cette déclaration, celle-ci incluant, d'après elle, des agios facturés sans convention préalable et à taux usuraire ; que, se fondant notamment sur un rapport d'expertise judiciaire ordonnée en référé, la cour d'appel a dit, d'abord, que la créance déclarée était fondée "sous la réserve que les calculs d'intérêts soient faits selon l'année civile de 365 ou 366 jours et non selon l'usage bancaire de 360 jours", ensuite, que contrairement à ce que prétendait la SBTR, il n'y avait pas lieu à la compensation
revendiquée, faute pour celle-ci de justifier d'une créance certaine, liquide et exigible et, enfin, qu'elle n'avait pas non plus à se prononcer sur la pratique de taux usuraires dès lors que les juridictions pénales étaient saisies ;
Sur la recevabilité des moyens de cassation qui est contestée par la BNP Paribas Réunion :
Attendu que la BNP Paribas Réunion soutient que l'appel ayant été interjeté par la SBTR sans qu'elle soit représentée par son liquidateur ou un mandataire ad hoc alors qu'elle était dissoute depuis le 18 décembre 1996 en application de l'article 1844 -7-7 du Code civil, il était irrecevable et en déduit que la cour d'appel n'ayant pas été régulièrement saisie, les moyens de cassation seraient nouveaux et donc irrecevables ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 120, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, le juge, s'il peut soulever d'office la nullité pour défaut de capacité d'ester en justice, nen a pas l'obligation et qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions que la BNPI ait saisi les juges du fond du moyen tiré du défaut de capacité d'ester en justice de la SBTR, faute pour celle-ci d'avoir été régulièrement représentée à l'instance ; que le pourvoi étant lui-même recevable puisque formé par Mme Y..., nommée mandataire ad hoc de la SBTR par ordonnance du 20 novembre 2003, la contestation n'est pas fondée ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SBTR fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme elle a fait en refusant de prendre en compte le contre-rapport d'expertise officieux qu'elle produisait, alors, selon le moyen, qu'il incombe au juge de se prononcer sur tous documents régulièrement versés aux débats et soumis, comme tels, à la discussion contradictoire des parties ; qu'en particulier, il est loisible aux plaideurs d'invoquer, à toute hauteur de la procédure, des éléments destinés à contredire un rapport d'expertise judiciaire, tel un "contre-rapport" officieux ; qu'en l'espèce, pour se dispenser de toute analyse un tant soit peu sérieuse du "contre-rapport" de M. Z..., expert banque et bourse inscrit sur la liste des experts judiciaires près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les juges ont formellement dénié le droit même qu'elle avait de produire un tel document postérieurement à l'expertise judiciaire, ce en quoi la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1353 du Code civil ;
Mais attendu que les juges n'étant jamais tenus de discuter les divers éléments d'un rapport officieux établi à la demande de l'une des parties ni de répondre à ce qui ne constitue jamais qu'un simple argument, le moyen, qui critique des motifs qui ne sont pas le soutien nécessaire du dispositif, est inopérant et ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la SBTR fait grief à l'arrêt de lui avoir refusé le bénéfice de la compensation, alors, selon le moyen, que lorsque les créances réciproques sont connexes comme dérivant d'un même contrat ou du même ensemble contractuel, la compensation est de droit et le juge ne peut l'écarter motif que l'une d'elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d'exigibilité, lesquelles ne sont requises qu'en matière de compensation légale ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si les créances déclarées n'étaient pas connexes aux créances dont elle-même avait par ailleurs été reconnue titulaire par l'expert judiciaire à l'encontre des établissements de crédit au titre des trop perçus ayant affecté d'autres comptes, dès lors qu'il résultait notamment de la convention de compte courant du 24 mai 1995 que "tous les comptes ouverts au client par la banque devront être considérés comme les chapitres d'un même compte courant", la cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles 1291 du Code civil et L.621-104 du Code de commerce, violés ;
Mais attendu que pour statuer comme il a fait, l'arrêt ne relève pas seulement le défaut de liquidité et d'exigibilité des créances revendiquées par la SBTR mais encore leur absence de certitude ; qu'en l'état de ce motif qui n'est pas attaqué et dont il résultait que les conditions d'une compensation pour connexité n'étaient pas réunies, la cour d'appel, loin d'avoir violé les textes visés au moyen, en a fait au contraire l'exacte application ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1907 du Code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2, R. 313-1 et R. 313-2 du Code de la consommation ;
Attendu que le taux effectif global afférent aux découverts en compte ne peut être appliqué qu'après qu'il ait été mentionné par écrit, au moins à titre indicatif, par un ou plusieurs exemples chiffrés, soit dans la convention de crédit, soit dans un relevé d'opération ou d'agios dont les calculs d'intérêts y inclus peuvent valoir exemples indicatifs pour l'avenir ;
Attendu que pour rejeter les contestations de la SBTR relatives au montant des agios qui lui avaient été facturés sur les découverts de ses comptes courants n° 301 et 302, l'arrêt retient, s'agissant du premier, qu'il avait été ouvert sans convention écrite mais que la SBTR ne contestait pas avoir reçu, dès le premier trimestre 1989, des relevés mentionnant le taux effectif global qui lui était appliqué et, s'agissant du second, que l'information de l'intéressée résultait tout à la fois de la convention d'ouverture du 24 mai 1995, laquelle prévoyait l'application d'un taux d'intérêt dont la régularité ne paraissait pas contestable, et des mentions figurant sur les relevés de compte qu'elle avait reçus ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à établir que les agios inclus, pour chacun des deux comptes, dans les créances déclarées par la BNPI, avaient été comptabilisés par application d'un taux effectif global figurant de manière efficiente, soit dans les actes souscrits par les parties, soit, pour l'avenir, et de quelque manière que ce soit, sur les relevés de compte ou tout autre document adressés ultérieurement à la SBTR, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 1907 du Code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2, R. 313-1 et R. 313-2 du Code de la consommation ;
Attendu que pour rejeter les contestations de la SBTR relatives au montant des agios qui lui avaient été facturés sur les découverts de ses comptes courants n° 301 et 302, l'arrêt retient encore que la BNPI ayant, par erreur, calculé le montant des agios réclamés sur 360 jours au lieu de se référer à l'année civile de 365 ou 366 jours, il y avait lieu de réduire en conséquence sa créance conformément au calcul proposé par l'expert sur ce point ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi sans rechercher si le TEG mentionné sur les actes ou sur les relevés de compte ou autres documents adressés ultérieurement à la SBTR avait tenu compte de cette modalité de calcul et si les exigences légales relatives à l'indication préalable et par écrit du TEG avaient été respectées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le quatrième moyen :
Vu l'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
Attendu que pour estimer ne pas avoir à se prononcer sur la pratique reprochée à la BNPI de taux usuraires, la cour d'appel retient que les consorts Y... avaient saisi sur ce point les juridictions pénales ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi sans rechercher si l'action publique du chef d'usure était en cours et si les poursuites pénales dont il était fait état n'étaient pas de nature à influer sur l'issue du litige dont elle était saisie, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré fondée la déclaration de créance de la SBTR et dit n'y avoir lieu de statuer sur l'existence de taux usuraires, l'arrêt rendu le 15 septembre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne la BNP Paribas Réunion aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la BNP Paribas Réunion ; la condamne à payer à Mme Y..., prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la SBTR la somme de 2 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille six.