AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que par actes authentiques des 5 et 12 mai 1989 instrumentés par la société civile professionnelle Bonnet-Clerc, (la SCP) notaire, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (La CRCAM) a consenti à la société Soprotour, un crédit destiné à la réalisation d'un projet immobilier, d'un montant de 4 000 000 francs ; qu'à la garantie de ce crédit a été affectée et hypothéquée au profit de la CRCAM une parcelle de terre section AZ n 164 pour une superficie de 99a58ca ; qu'une inscription d'hypothèque conventionnelle a été requise avec effet jusqu'au 10 avril 1995 ; que par acte authentique du 7 décembre 1990 instrumenté par la même SCP notariale, la CRCAM a consenti à la société Soprotour un second crédit d'un montant de 1 500 000 francs ; qu'à sa garantie a été affectée et hypothéquée la même parcelle de terre ; que l'inscription d'hypothèque conventionnelle, requise le 3 juin 1991, a été renouvelée le 3 décembre 1993 ; que cette inscription n'a été réalisée que pour les lots 29 à 50 correspondants à des parties non bâties du terrain ; que l'hypothèque prise en garantie du premier crédit n'a pas été renouvelée ; que le 28 octobre 1994, la société Soprotour a été mise en liquidation judiciaire ; que le 10 janvier 1996, la société Farmimmo a signifié au liquidateur de la société
Soprotour un acte du 25 novembre 1995 portant cession de certaines créances de la CRCAM à son profit ; que de février à juin 1997, le juge commissaire a ordonné la cession de gré à gré des lots 2, 4, 10, 23 et 24 de l'ensemble immobilier construit sur la parcelle hypothéquée pour un prix total de 1 255 000 francs ; qu'en juillet 1999, la société cessionnaire Farmimmo, reprochant à la SCP d'avoir omis d'effectuer les diligences concernant l'inscription et le renouvellement des inscriptions hypothécaires, a assigné celle-ci ainsi que son assureur, la Mutuelle du Mans en paiement de diverses sommes en réparation de son préjudice ; que les premiers juges ayant rejeté les demandes de la société Farmimmo, la société NACC, venant aux droits de celle-ci est intervenue volontairement en cause d'appel ; que l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 2 juin 2003) a condamné in solidum la SCP et son assureur à payer à la société NACC la somme de 191 323,52 euros (1 255 000 francs) à valoir sur son préjudice global qui sera fixé à la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société Soprotour ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SCP notariale et son assureur font grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la société NACC alors, selon le moyen, que pour déclarer recevable l'intervention volontaire de la société NACC et juger bien fondé son recours contre le notaire et son assureur de responsabilité, la cour d'appel s'est tout à la fois, référée à la transmission d'une créance de responsabilité contre le notaire et à l'existence d'un hypothétique préjudice personnel propre à la société NACC ; qu'en se prononçant par de tels motifs qui laissent incertain le fondement de sa décision et ne permettant pas de vérifier si la société NACC pouvait se prévaloir d'une créance de réparation née directement dans son patrimoine ou de qualité d'ayant droit de la société Farmimmo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que si la cession d'une créance transfert celle-ci au cessionnaire, qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au cédant et qui se rattachaient à cette créance avant la cession ; qu'il résulte de l'arrêt qui constate que la société Farmimmo avait cédé sa créance à la société NACC postérieurement à la date du jugement entrepris, que la cession de créance ayant rendu le cessionnaire personnellement titulaire des droits transmis, en acquérant la créance, la société NACC a acquis ses accessoires, donc les sûretés ou les actions en justice qui lui étaient attachées comme résultant de la perte de ces sûretés et justifiant la réparation du préjudice en découlant pour elle ; que l'arrêt est ainsi légalement justifié ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la société NACC alors, selon le moyen, que l'action de la société NACC à l'encontre du notaire et de son assureur de responsabilité était fondée sur l'existence d'un préjudice qui lui était personnel, par définition, distinct du préjudice de la société Farmimmo et, par voie de conséquence, d'une créance différente de celle dont s'est prévalue la société Farmimmo en première instance ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'intervention volontaire de la société NACC, bien que la condamnation qui lui était demandée n'eût pas subi l'épreuve des premiers juges, la cour d'appel a violé l'article 554 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que peuvent intervenir en cause d'appel, les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité, dès lors qu'elles y ont intérêt, et que l'intervention se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant ;
que la cour d'appel qui a constaté que l'action exercée par la société NACC tendait à la condamnation de la SCP notariale sur le fondement de sa responsabilité civile professionnelle, en réparation de manquements ayant conduit à la déperdition des sûretés prises en garantie des prêts consentis par la CRCAM, a ainsi relevé l'existence d'un lien dont elle a souverainement apprécié le caractère suffisant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches ;
Attendu que la SCP notariale fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée in solidum avec son assureur à payer à la société NACC la somme de 191 323,52 euros à valoir sur son préjudice à fixer à la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société Soprotour, alors, selon le moyen :
1 / que l'acte de cession de créance au profit de la société NACC, sous cessionnaire des créances du Crédit agricole à l'égard de la société Soprotour, mentionnait précisément le défaut de renouvellement de l'inscription hypothécaire prise en sûreté du prêt de 1989, ainsi que le renouvellement limité de l'inscription hypothécaire prise en sûreté du prêt de 1990 ; qu'en condamnant néanmoins le notaire à qui était imputé l'inefficacité de ces sûretés, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NACC n'avait, en réalité, souffert d'aucun préjudice personnel en relation causale avec le fait de l'officier ministériel, puisqu'elle avait acquis, en connaissance de cause et probablement à moindre coût, une créance dépourvue de toute sûreté opposable aux tiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 / qu'en toute hypothèse, est contraire à l'ordre public et entachée d'une nullité absolue, la cession d'une créance de responsabilité ; qu'en faisant droit à l'action de la société NACC bien qu'il résultât des éléments versés aux débats qu'une telle créance de responsabilité dont l'officier ministériel et son assureur auraient été débiteurs avaient été cédée à la société demanderesse, la cour d'appel qui a attaché des effets à une cession de créance contraire à l'ordre public, a violé les articles 6 et 1108 du Code civil ;
3 / qu'en toute hypothèse, la créance de responsabilité contre le notaire chargé de procéder à l'inscription d'une hypothèque ou à son renouvellement, reste, sauf clause contraire, détenue par le créancier victime de la faute du notaire, nonobstant la cession de la créance principale qu'il réaliserait par ailleurs ; qu'en condamnant dès lors le notaire et son assureur de responsabilité sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NACC justifiait bien d'un acte stipulant expressément la cession de créance de responsabilité contre le notaire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche que rendaient inopérantes ses constatations dont résultait que le cessionnaire de la créance et de ses sûretés, exerçait une action qui leur était attachée et qui lui appartenait en propre par l'effet de la cession ; qu'ensuite, une convention de cession peut avoir pour objet, non seulement toute créance mais encore toute action contre un tiers, à moins que ces créances, droit ou action ne soient hors du commerce ou que l'aliénation n'en ait été prohibée par une loi particulière ; que dès lors, n'était pas contraire à l'ordre public la cession d'action tendant à la mise en jeu d'une responsabilité civile professionnelle ne faisant l'objet d'aucune restriction légale ; qu'enfin, la cession de créance, ayant pour effet d'emporter de plein droit transfert de tous les accessoires de ladite créance, et notamment les actions en justice qui lui étaient attachées, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si le cessionnaire justifiait d'un acte stipulant expressément la cession de l'action en responsabilité ; que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;
Et sur le quatrième moyen, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe :
Attendu que la contradiction dénoncée entre le dispositif et les motifs de l'arrêt résulte d'une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462 du nouveau Code de procédure civile être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré cet arrêt dont la rectification sera ci-après ordonnée ;
que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
Dit que les motifs de l'arrêt attaqué (page 7) seront modifiés comme suit : "La société NACC rapporte la preuve que les lots 2, 4, 10, 23 et 24 ont été vendus pour la somme totale de 1 255 000 francs" ;
Rejette le pourvoi ;
Condamne la SCP Bonnet et Clerc et la Mutuelle du Mans assurances IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande formée par la société NACC ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille six.