AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 19 octobre 2004), que dans la nuit du 1er au 2 janvier 2000, un incendie a ravagé les locaux servant d'habitation et de local commercial aux époux X..., gérants de la société La Cour des mirascles en Bourgogne (la société), spécialisée dans le commerce d'antiquités, et assurée auprès de la société Assurances générales de France venue aux droits de la société Allianz (l'assureur) ; que la société a sollicité l'indemnisation de son préjudice auprès de son assureur en arguant de l'existence de trois polices relatives, la première aux "biens professionnels", la deuxième aux "marchandises flottantes", et la troisième aux "pertes d'exploitation" ;
qu'estimant l'indemnisation proposée insuffisante, la société a assigné son assureur en paiement de diverses sommes au titre des polices "biens professionnels" "marchandises flottantes", qu'elle a, en outre, réclamé la prise en charge de ses pertes d'exploitation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société assurée fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en indemnisation, dirigée contre son assureur et consécutive à la perte de certains meubles, objet de son commerce d'antiquité, momentanément retirés de la vente, alors, selon le moyen :
1 / que l'assureur incendie répond de tous les dommages matériels résultant directement du sinistre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que les quatre meubles, provisoirement mis "hors vente" et placés dans l'appartement de M. et Mme X..., n'entraient pas dans le champ des garanties "marchandises et mobiliers professionnels", ainsi que "marchandises flottantes" (ces dernières visant les biens susceptibles d'être déplacés dans l'un quelconque des quatre locaux assurés), souscrites auprès de l'assureur, prétexte pris de ce que ces meubles n'avaient pas été évalués et de ce qu'ils se trouvaient, non au rez-de-chaussée commercial de l'immeuble de la société, mais à l'étage du même immeuble, dans l'appartement des gérants de la société, sans être proposés à la vente, a apporté trois restrictions à la garantie de l'assureur, que les polices d'assurance ne comportaient pas, en violation des articles 1134 du Code civil, L. 122-1 et L. 122-2 du Code des assurances ;
2 / que l'assureur incendie doit indemniser la victime du sinistre de tous les dommages matériels survenus aux biens assurés ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a refusé d'indemniser la société, pour la destruction de quatre meubles lui appartenant, prétexte pris de ce qu'ils avaient été déposés dans l'appartement personnel des gérants de la société et de ce que leur achat était déjà ancien, après avoir pourtant constaté que ces biens faisaient partie de l'actif de la société, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, L. 122-1 et L. 122-2 du Code des assurances ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la lecture du livre de police de l'établissement commercial révèle que ces biens ont été acquis au cours d'une période comprise entre 1958 et 1979, ce qui suffit à exclure à l'évidence leur qualification erronée de "momentanément hors vente" et leur intégration à l'actif social ; que, compte tenu de l'époque très lointaine de leur achat et de leur dépôt au domicile personnel des époux X..., ils sont réputés avoir été conservés par ceux-ci à titre personnel, au même titre que le restant de leur mobilier ;
Que de ces constatations et énonciations, procédant d'une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis aux débats, la cour d'appel a pu déduire que les biens en cause n'étant pas destinés à la vente, ils ne relevaient pas des polices précitées, mais de l'assurance personnelle des gérants ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société assurée fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action en responsabilité, fondée sur un manquement au devoir de conseil, dirigée contre son assureur qui avait omis de l'avertir de son défaut de garantie, au titre des pertes d'exploitation, alors, selon le moyen :
1 / que l'assureur qui n'attire pas l'attention de son client sur l'insuffisance des garanties souscrites, engage sa responsabilité contractuelle, au titre du manquement au devoir de conseil qui pèse sur ce professionnel ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui, après avoir relevé la carence de l'assureur relativement à la souscription, par la société, d'une garantie supplémentaire "pertes d'exploitation", a cependant ensuite estimé qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à l'assureur, a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, au regard de l'article 1147 du Code civil ;
2 / que le manquement au devoir de conseil qui incombe à l'assureur se résout, à tout le moins, en une perte de chance de souscrire la garantie omise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a refusé toute réparation à la société, prétexte pris de ce qu'elle n'avait pas démontré qu'elle aurait à coup sûr souscrit, pour peu que son assureur le lui eût conseillé, la garantie "pertes d'exploitation" omise, alors que l'assurée avait, à tout le moins, perdu une chance d'être garantie pour l'ensemble des risques encourus, a violé l'article 1147 du Code civil ;
3 / que les juges du fond ne peuvent soulever d'office un moyen, sans inviter les parties à s'en expliquer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a estimé qu'il n'était pas certain que la société aurait souscrit la garantie "pertes d'exploitation" qui lui avait fait défaut, pourvu que son assureur le lui eût conseillé, en se fondant sur un fax du 24 septembre 1996 qui n'avait pourtant pas été soumis à la discussion des parties, a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que les juges du fond ne peuvent retenir comme contesté un fait qui ne l'était nullement par les parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a rejeté, comme insuffisante, l'évaluation de son préjudice pour pertes d'exploitation, telle qu'opérée par la société, alors que l'assureur ne l'avait jamais contestée, a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / que le juge doit évaluer le préjudice résultant d'une faute contractuelle, sans pouvoir se borner à refuser toute indemnisation, au seul motif que l'évaluation opérée par le demandeur est insuffisante ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a refusé toute indemnisation à la société, prétexte pris de ce que l'évaluation qu'elle avait proposée de son préjudice était trop succincte et hypothétique, alors que son préjudice était, en réalité, bien réel, quand bien même son évaluation aurait été discutable, a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'une révision générale des polices de M. X... avait été prévue, mais qu'elle n'a pu être réalisée avant l'incendie du 1er janvier 2000, en raison de l'indisponibilité tant de M. X... que de l'inspecteur de l'assureur ; que la négociation d'une police couvrant les pertes d'exploitation était prévue, de sorte que la société avait connaissance de la nécessité et de l'utilité d'une telle garantie ;
Que de ces constatations et énonciations la cour d'appel a pu déduire que l'assureur n'avait pas manqué à son devoir de conseil ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche en ce qu'il critique un motif surabondant, et manquant en fait dans ses quatrième et cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Cour des mirascles en Bourgogne aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société La Cour des mirascles en Bourgogne ; la condamne à payer à la société Assurances générales de France la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre janvier deux mille six.