AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que Mme X..., engagée par la compagnie d'assurances Groupama assurances le 1er octobre 1969, en a été nommée sous-directrice le 1er janvier 1993 puis directrice-adjointe le 1er août 1996 ; qu'estimant qu'en lui retirant une partie de ses fonctions et en changeant ses attributions, l'employeur avait modifié son contrat de travail, elle a, le 6 juillet 1998, saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur ;
qu'elle a été licenciée pour faute grave le 17 novembre 1999 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur avec effet au 19 juin 1998, alors, selon le moyen, que constitue une modification du contrat de travail le fait de diminuer unilatéralement les responsabilités et les attributions d'un salarié ; qu'il importe peu que le salarié ait conservé son statut et que l'ensemble de ses avantages acquis lui ait été maintenu ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle avait elle-même constaté le refus exprès du salarié d'accepter la modification de ses responsabilités et de ses attributions, se traduisant par la suppression pure et simple de la responsabilité de trois services sur les quatre dont elle avait la charge, par la suppression des échanges réguliers d'information avec le directeur général et par l'attribution d'un dossier relevant normalement de la compétence d'un subordonné, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de cette constatation la conséquence qui s'en évinçait, à savoir que le contrat de travail de Mme X... avait été modifié unilatéralement par l'employeur, a violé les dispositions de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté qu'il n'y avait rien d'anormal à ce que le cumul du suivi d'un dossier stratégique d'une importance cruciale pour l'entreprise qui avait nécessité la mobilisation pendant une année entière de cinq à six personnes et de la responsabilité d'un service dont l'importance s'était sensiblement accrue fût confié à un directeur-adjoint, que celui-ci, selon la convention collective du travail du personnel de direction de la mutualité agricole n'agit que par subdélégation du directeur général, que la modification n'a entraîné aucun changement au regard de la qualification et de la rémunération de la salariée ; qu'en l'état de ces constatations, elle a pu décider que la modification litigieuse ne portait que sur les conditions de travail de la salariée, de sorte qu'il convenait de rejeter la demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en nullité du licenciement pour harcèlement moral, alors, selon le moyen, que le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'il en résulte que la charge de la preuve pèse à la fois sur le demandeur et sur le défendeur ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que Mme X... avait apporté la preuve que l'employeur avait unilatéralement réduit ses responsabilités en lui retirant la direction de trois services sur quatre, avait supprimé les échanges réguliers qu'il avait avec elle et lui avait attribué le suivi d'un dossier incombant normalement à l'un de ses subordonnés ; que l'arrêt a aussi constaté que Mme X... avait été mise en arrêt maladie prolongé un mois à peine après la lettre l'informant de la modification de son contrat de travail ; qu'il ressortait de l'ensemble de ces constatations que Mme X... avait établi des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'en la déboutant néanmoins de sa demande en nullité du licenciement sans exiger de l'employeur qu'il prouve que les faits qu'elle constatait elle-même n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 122-52 du Code du travail ;
Mais attendu que les dispositions de l'article L. 122-49 du Code du travail issues de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 frappant de nullité une rupture qui résulterait d'agissements de harcèlement moral n'étant pas applicables au licenciement intervenu avant l'entrée en vigueur de cette loi, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le sixième moyen portant sur le rejet de la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le quatrième moyen :
Vu l'article L. 122-44 du Code du travail ;
Attendu que pour écarter le moyen de la salariée qui soutenait que les faits relatifs à l'ouverture de deux faux dossiers sinistres étaient prescrits et la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel retient que rien ne permet de penser que la découverte de ces faits ait été antérieure à mars 1999 ;
Qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants ne permettant pas de déterminer la date à laquelle l'employeur a eu connaissance des faits fautifs reprochés à la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen :
Vu l'article L. 122-9 du Code du travail, ensemble l'article 13 de la Convention collective nationale des personnels de direction de la mutualité agricole ;
Attendu, selon le second de ces textes, que le directeur-adjoint a droit à une indemnité de licenciement calculée sur la base de deux mois de salaire par année d'ancienneté dans un poste de direction ou de sous-direction d'un organisme de mutualité agricole ;
Attendu que l'arrêt a limité à la somme de 217 968,14 euros l'indemnité conventionnelle de licenciement en retenant une ancienneté dans le poste de direction de six ans à compter du 1er janvier 1993 ;
qu'en statuant ainsi, alors que si le droit à l'indemnité de licenciement prend naissance au jour de la notification du licenciement, son montant s'apprécie à l'expiration du délai de préavis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rachat de cotisations de retraite jusqu'au 60e anniversaire et à celles relatives à l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt rendu le 7 octobre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, autrement composée ;
Condamne la société Entreprise Groupama Océan Indien et Pacifique (Groupama OIP) aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Groupama OIP à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille cinq.