La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Gailly, Mme Nési, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur les recours formés par :
- L'agent judiciaire du Trésor,
- M. Jean-André X...,
contre la décision du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 8 mars 2005 qui a alloué à M. Jean-André X... une indemnité de 39.420,96 euros en réparation de son préjudice matériel et une indemnité de 6.500 euros en réparation de son préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du Code précité ; ainsi qu'une somme de 1.000 euros fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 21 octobre 2005, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. Berard, avocat au Barreau de Nice représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de Cassation ;
Vu les conclusions en réponse de M. Berard ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Gailly, les observations de M. Berard, avocat assistant M. X..., celles de M. X... comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que, par décision du 8 mars 2005, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a alloué à M. X..., à la suite d'un jugement de relaxe, les sommes de 39. 420,96 euros et de 6.500 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'il a subis à raison d'une détention provisoire d'une durée de 76 jours effectuée entre le 24 juin et le 12 septembre 1995 ;
Attendu que M. X... et l'agent judiciaire du Trésor ont régulièrement formé un recours contre cette décision ; que M. X... sollicite les sommes de 207.985,11 euros au titre de son préjudice matériel, de 100 000 euros au titre de son préjudice moral et de 2.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que l'agent judiciaire du Trésor conclut à la réduction des sommes accordées par le premier président ;
Vu les articles 149 et 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité répare intégralement le préjudice personnel, moral et matériel directement lié à la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que M. X... exerce la profession d'administrateur de biens et de syndic de copropriété ; que, pendant sa détention, il a fait procéder , par le tribunal de commerce, à la désignation d'un administrateur provisoire qui a assuré le fonctionnement de son cabinet ;
Attendu que pour fixer à la somme de 39.420,96 euros le préjudice matériel du requérant, le premier président à fait droit aux demandes d'indemnisation au titre des frais d'administration judiciaire, des honoraires de l'expert comptable et du commissaire priseur (8.931,25 euros, 13.560,34 euros, 735,41 euros et 162,74 euros) ; qu'il a également pris en compte la prime exceptionnelle versée, pendant l'incarcération de M. X..., aux salariés de son cabinet en raison du surcroît de travail qu'ils ont fourni ainsi que les honoraires annuels ( 4.913 euros) perdus du fait de la résiliation du contrat de syndic de la copropriété " Fabron 290" décidée lors de son assemblée générale du 17 juillet 1995 ; qu'il a, encore, accordé au requérant, une somme de 10.203.53 euros, en remboursement des frais de défense liés à la détention selon un décompte d'honoraires produit et répondant aux exigences de l'article 245 du décret du 27 novembre 1991 ; qu'en revanche il a rejeté les demandes en remboursement des primes versées à la fin de l'année 1995 aux salariés du cabinet et en indemnisation des pertes découlant des résiliations de contrats de syndic survenues postérieurement à la libération de M. X..., au motif que ces décisions ne pouvaient avoir été prises du fait de sa détention provisoire qui avait cessé depuis le mois de septembre 1995 ;
Attendu que M. X... sollicite, une indemnité de 10.112,88 euros en remboursement des primes versées à ses salariés, en paiement du surcroît de travail occasionné par sa détention, et dont il dit avoir étalé le paiement, pour des raisons de trésorerie, jusqu'en décembre 2005 ; qu'il demande également le remboursement des frais de correspondance engagés par l'administrateur pour aviser ses clients de sa nomination et de la fin de sa mission soit 2. 439,18 euros ; qu'il soutient, enfin, que des anciens contrats, dont il donne la liste, qui sont venus à échéance à partir de sa détention et jusqu'à la fin de l'année 1995, n'ont pas été renouvelés en raison de son incarcération et que s'agissant de contrats de trois ans, il en chiffre la perte à 150 000 euros ;
que, subsidiairement il fait valoir, en produisant ses déclarations fiscales antérieures et postérieures à sa détention, qu'il a subi une perte de revenus pendant trois mois qu'il estime à 31. 243,74 euros ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor soutient que les primes versées aux salariés ne sont pas liées à la détention mais à l'engagement des poursuites à l'encontre de M. X... et que rien n'établit que le non renouvellement des contrats de syndic intervenus pendant et après sa détention en soit la conséquence ; que le premier président ne pouvait prendre en compte, pour indemniser le requérant des frais d'avocat liés à sa détention, un mémoire d'honoraires daté de plus de 10 ans après la procédure ; qu'il demande à la Commission d'infirmer la décision du premier président de ces chefs et conclut par ailleurs au rejet de demandes supplémentaires formées par M. X... ;
Attendu que c'est à bon droit que le premier président a accordé à M. X... le remboursement de certaines primes versées pendant son incarcération, en août 1995 à certains salariés en indemnisation du surcroît de travail occasionné par la situation du cabinet, qui fonctionnait en son absence ;
qu'il convient toutefois de faire droit à l'intégralité de la demande de M. X... de ce chef, qui porte sur le paiement des primes jusqu'en décembre 1995, soit la somme de 10.112,88 euros, dès lors que ce surcoût résulte directement de la détention; qu'il y a également lieu d'accorder au requérant le remboursement des frais de correspondance de 2.439,18 euros engagés pour informer ses clients de son remplacement provisoire par un administrateur, qui sont également une conséquence directe de sa détention ;
Attendu que le premier président ayant relevé que le procès verbal de l'assemblée générale du syndicat des copropriétaires "Fabron 290" se fondait, pour justifier la décision de non renouvellement du syndic, l'empêchement de M. X... d'exercer son mandat, a justement indemnisé M. X... du préjudice résultant de la perte de ce client; qu'en revanche c'est à juste titre qu'il a rejeté le surplus de la demande dès lors que la résiliation des autres contrats, est intervenue alors que M. X... n'était plus détenu, et qu'elle n'a pu avoir, pour origine, que la procédure pénale diligentée à son encontre;
Attendu que la demande concernant la perte de revenus sera également rejetée, le cabinet ayant été géré pendant toute la période de sa détention par un administrateur provisoire et M. X... n'apportant pas la preuve que des pertes ont été enregistrées en raison de sa détention ;
Attendu qu'il convient enfin de confirmer la décision du premier président accordant à M. X..., au titre des frais d'avocat engagés pendant sa détention, la somme de 10.203,53 euros, la date d'établissement de ce décompte n'ayant pas d'incidence sur sa régularité dès lors qu'il est conforme aux dispositions de l'article 245 du décret du 27 novembre 1991 et qu'il correspond à des prestations effectuées au titre de sa détention ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que pour évaluer à 6.500 euros le préjudice moral subi par M. X..., le premier président a écarté, à bon droit, le dommage résultant de la publication d'articles de presse relatifs à la détention et qui ne présente pas un lien de causalité direct avec celle ci ;
Attendu qu'en raison de l'âge du requérant au jour de son placement en détention (40 ans), de la durée de celle-ci, (76 jours), de l'importance du choc psychologique qu'il a subi, de l'absence de tout antécédent d'incarcération, de la rupture des liens familiaux, et des conditions de détention rendues particulièrement difficiles du fait qu'il ne pouvait respecter les exigences strictes d'hygiène alimentaire requises par son état de santé, l'indemnité allouée au titre du préjudice moral doit être fixée à la somme de 12. 500 euros ;
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu que, pour des raisons d'équité, il convient d'allouer à M. X... une somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de la présente instance ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor ;
ACCUEILLE partiellement le recours de M. Jean-André X... et statuant à nouveau ;
ALLOUE à M. Jean-André X... les sommes de :
- 10.112,88 (dix mille cent douze euros quatre vingt huit centimes) au titre du remboursement des primes versées à ses salariés ;
- 2.439,18 (deux mille quatre cent trente neuf euros dix huit centimes) au titre du remboursement de ses frais de correspondance ;
- 12 .500 (douze mille cinq cent euros ) en réparation de son préjudice moral ;
REJETTE le recours pour le surplus ;
Lui ALLOUE en outre la somme de 2.500 (deux mille cinq cent euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 5 décembre 2005 par le président de la Commission nationale de réparation des détentions,
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent aux débats et lors du prononcé.