AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente novembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller THIN, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Daniel,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 22 novembre 2004, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et à 10 000 euros d'amende, a ordonné la publication et l'affichage de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1741 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la déclaration de culpabilité de Daniel X... du chef de fraude fiscale relatif à l'impôt sur les sociétés pour les exercices 1996 et 1997 ;
"aux motifs que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la société avait enregistré en compte de charges le règlement des loyers pour un montant de 480 000 francs d'un appartement à Neuilly alors qu'il n'a pu être justifié de l'utilisation de cet immeuble pour les besoins de la société ;
"et aux motifs qu'au titre des déclarations de l'impôt sur les sociétés de l'exercice 1997 il était comptabilisé en charges les sommes suivantes : 357 347 francs à titre de charges financières de la SCI Aesam, 6 642 354 francs à titre de charges exceptionnelles pour transfert de charges de la SCI Aesam, 3 000 000 francs à titre de charges annulation du produit exceptionnel de 1996 (litige commercial) et 164 793 francs à titre de charges diverses ; que, pour les charges diverses d'un montant de 164 793 francs, la société ne produit aucun justificatif ; que l'annulation de charges de 3 000 000 francs en 1997 résultait de l'inscription en comptabilité en 1996 d'un produit exceptionnel au motif qu'une action judiciaire pouvait être engagée et amener un produit de ce montant ; qu'en fait, aucune action réelle ne fut diligentée ; qu'il apparaît qu'il s'agissait d'une manipulation comptable ayant pour but la minoration de l'impôt sur les sociétés de l'exercice 1997 ; que, pour ce qui concerne l'imputation en charges de la SA Fibronique des charges financière et charges exceptionnelles, suite à la transmission du patrimoine de la SCI Aesam (357 347 francs et 6 642 354 francs), il apparaît des pièces de la procédure que la SCI Aesam a été dissoute en 1997, par confusion de son patrimoine avec Fibronique avec clause de rétroactivité au 1er janvier 1997 ; que l'unique part qui n'était pas précédemment propriété de Fibronique lui a été cédée par M. Y... le 30 septembre 1997 ; que l'acte notarié de transfert de la
propriété immobilière de l'immeuble a été rédigé le 28 décembre 1998 ; que dans ces conditions, le caractère frauduleux de l'opération n'est pas établi ; que l'élément intentionnel de la fraude est démontré par la multiplicité des opérations incriminées et notamment par l'intérêt personnel des dirigeants à disposer à titre privé d'un appartement ;
"1 - alors qu'il ressort de diverses attestations régulièrement versées au dossier que l'appartement sis à Neuilly, ..., loué par la société Fibronique à la SCI Aesam, a servi, entre 1990 et 1996, à recevoir des clients ou des relations de passage à Paris, ou encore à organiser des réunions de travail avec des fournisseurs ou des prospects importants ; que, pour confirmer la culpabilité du demandeur quant à l'enregistrement en compte de charges, pour l'année 1996, du règlement des loyers pour un montant de 480 000 francs, la cour d'appel retient qu'il n'a pu être justifié de l'utilisation de cet immeuble pour les besoins de la société au cours de cet exercice ; qu'en ne s'expliquant pas sur les attestations versées sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
"2 - alors qu'à supposer qu'il n'a pu être justifié de l'utilisation de cet immeuble pour les besoins de la société, ce que le demandeur conteste, il ne s'agit tout au plus que d'un acte anormal de gestion qui n'est pas établi en l'espèce dès lors que la société Fibronique avait un intérêt propre à louer cet appartement ; qu'ainsi, la cour d'appel a de nouveau exposé sa décision à la censure ;
"3 - alors que, le délit prévu par l'article 1741 du Code général des impôts n'est établi qu'autant que le contribuable s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel de l'impôt ; qu'en l'espèce, la société Fibronique a inscrit en comptabilité un produit exceptionnel de 3 000 000 francs pour l'exercice 1996, motif pris qu'une action judiciaire pouvait être engagée et amener un produit de ce montant ; que la société ayant finalement renoncé à son action, elle a comptabilisé en perte exceptionnelle une somme corrélative de 3 000 000 francs au titre de l'impôt sur les sociétés pour l'année 1997 ; que pour dire frauduleuses ces écritures comptables, la cour d'appel énonce qu'aucune action réelle ne fut diligentée ; qu'en exigeant qu'une action en justice soit effectivement entreprise aux fins de recouvrement dudit produit exceptionnel, la cour d'appel a ajouté à la loi ;
"4 - alors que, les juges doivent statuer sur tous les chefs de conclusions dont ils sont régulièrement saisis ; que s'agissant de la prétendue fraude tirée de l'inscription en perte exceptionnelle d'une somme de 3 000 000 francs au titre de l'impôt sur les sociétés pour l'année 1997, le demandeur a fait valoir dans ses écritures que l'analyse de l'administration fiscale était erronée, la loi de finances 2004 ayant modifié en son article 89 les dispositions de l'article 209 du Code général des impôts dont il sollicitait le bénéfice ; que la cour d'appel a laissé sans aucune réponse cette articulation essentielle des conclusions et s'est bornée à déclarer, après avoir relevé qu'aucune action réelle ne fut diligentée, qu'il s'agissait d'une manipulation comptable ayant pour but la minoration de l'impôt sur les sociétés de l'exercice 1997, entachant ainsi sa décision de défaut de motifs ;
"5 - alors qu'au cas de poursuite pénale tendant à l'application des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, le ministère public et l'administration fiscale doivent apporter la preuve du caractère intentionnel soit de la soustraction, soit de la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement des impôts mentionnés par ces articles ; que la cour d'appel, pour juger le demandeur coupable de fraude fiscale, considère que l'élément intentionnel de la fraude est démontré par la multiplicité des opérations incriminées et notamment par l'intérêt personnel des dirigeants à disposer à titre privé d'un appartement ; qu'en réalité, eu égard aux précédentes critiques, la seule opération qui puisse être reprochée au demandeur résulte de la comptabilisation au titre de l'exercice 1997 de charges exceptionnelles d'un montant de 164 793 francs, dont la société Fibronique n'a pu établir le bien-fondé ; que cette seule circonstance ne saurait suffire à établir la mauvaise foi du demandeur, privant ainsi la décision de toute base légale" ;
Sur le moyen pris en ses deux premières branches :
Attendu que, pour déclarer Daniel X... coupable, en qualité de dirigeant de fait de la société Fibronique, de soustraction à l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice 1996, l'arrêt attaqué retient, par motifs propres et adoptés, que celui-ci a comptabilisé en charge le montant du loyer d'un appartement qu'il utilisait à titre personnel, et que les attestations qu'il produit sont impropres à démontrer l'utilisation de ce local dans l'intérêt de la société ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des moyens de preuve, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Sur le moyen pris en ses trois dernières branches :
Attendu que, pour retenir que Daniel X... avait frauduleusement minoré les résultats réalisés par la société Fibronique au cours de l'exercice 1997, les juges énoncent que l'inscription dans la comptabilité de l'année 1996 d'un profit exceptionnel de 3 000 000 francs, en prévision du résultat d'une action en justice qui n'a pas été exercée, suivie de la comptabilisation en 1997 d'une charge exceptionnelle du même montant, n'avait eu d'autre objet que de minorer l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice 1997 ;
Attendu qu'en l'état de ses motifs, procédant de son appréciation souveraine des éléments de la cause, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre mieux qu'elle ne l'a fait aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments tant matériels qu'intentionnel le délit de fraude fiscale dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Challe conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Thin conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;