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21/10/2005 | FRANCE | N°04-CRD013

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 21 octobre 2005, 04-CRD013


INFIRMATION PARTIELLE sur le recours formé par M. Taoufik X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Grenoble en date du 26 mars 2004 qui lui a alloué une indemnité de 32 703 euros sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que, par décision du 26 mars 2004, le premier président de la cour d'appel de Grenoble a alloué à M. X... une somme de 13 453 euros en réparation du préjudice matériel et 19 500 euros en réparation du préjudice moral en raison d'une déten

tion provisoire effectuée du 17 février 2000 au 16 mars 2001, soit trois cen...

INFIRMATION PARTIELLE sur le recours formé par M. Taoufik X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Grenoble en date du 26 mars 2004 qui lui a alloué une indemnité de 32 703 euros sur le fondement de l'article 149 du Code de procédure pénale.

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que, par décision du 26 mars 2004, le premier président de la cour d'appel de Grenoble a alloué à M. X... une somme de 13 453 euros en réparation du préjudice matériel et 19 500 euros en réparation du préjudice moral en raison d'une détention provisoire effectuée du 17 février 2000 au 16 mars 2001, soit trois cent quatre-vingt-onze jours, pour des faits ayant donné lieu à une décision d'acquittement devenue définitive ;

Attendu que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision tendant à ce que les indemnités accordées au titre de ses préjudices matériel et moral soient fixées respectivement à 41 975,63 euros et à 101 500 euros et qu'il lui soit allouée la somme de 175 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'agent judiciaire du Trésor conclut à la confirmation de la décision déférée ;

Que le procureur général conclut également au rejet du recours ;

Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que, selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;

Sur la réparation du préjudice matériel :

Attendu que le premier président a alloué à M. X... une somme de 13 473 euros au titre des salaires perdus pendant la détention et pendant les deux mois suivant son élargissement, outre les sommes de 200 euros au titre de la perte d'une chance de percevoir ses droits à la retraite, 800 euros correspondant aux frais d'avocat et 250 euros au titre des frais d'examen psychiatrique ;

Sur la perte de salaires :

Attendu que M. X... se prévaut d'une perte de salaire de 14 451,31 euros calculée sur la base d'un salaire mensuel de 963,42 euros sur une durée de quinze mois qui correspond au salaire net perçu au mois de novembre 1999 pendant sa période d'essai, pour 151,67 heures travaillées ; qu'il sollicite en outre le versement de la somme de 9 000 euros, en réparation du préjudice que lui a causé la précarité de son emploi pendant six mois supplémentaires ;

Attendu que c'est par une juste appréciation des éléments de preuve qui lui ont été soumis que, pour calculer l'indemnité due au titre de la perte de salaire, le premier président a retenu un salaire de base mensuel de 794,50 euros qui correspond à celui qui a été perçu par M. X... dans le mois précédant son emprisonnement moyennant 130 heures travaillées, en exécution du contrat de travail à durée indéterminée qu'il a conclu le 25 octobre 1999 avec la société Framex ;

Que c'est également de façon pertinente qu'il a limité à deux mois la période indemnisée postérieurement à l'élargissement de M. X..., dès lors que celui-ci a retrouvé un travail à l'issue de ce délai et que la précarité des emplois qu'il a occupés par la suite, due, selon lui, par l'obligation de résidence imposée par le contrôle judiciaire dont il a fait l'objet, n'est pas directement liée à la mesure privative de liberté ;

Sur les loyers :

Attendu que l'indemnité qui répare la perte des salaires étant de nature à remettre M. X... dans la situation où il se serait trouvé s'il n'avait pas été incarcéré, celui-ci ne peut cumulativement prétendre à une indemnité correspondant au montant des loyers dont il aurait dû s'acquitter s'il n'avait été incarcéré ;

Sur les frais d'entretien :

Attendu qu'à l'appui de son recours M. X... soutient que doit être pris en compte le soutien financier que lui a apporté sa famille durant l'incarcération et qu'il évalue à 2 927,02 euros ;

Attendu cependant que l'aide consentie par sa famille, dont le requérant n'apporte pas la preuve, ne constitue pas un préjudice personnel et ne saurait être indemnisée ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer la décision excluant toute réparation de ce chef ;

Sur les frais d'avocat :

Attendu que les honoraires d'avocat ne sont pris en compte, au titre du préjudice causé par la détention, que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté ;

Attendu qu'au soutien de sa demande M. X... produit une facture globale, d'un montant de 9 658 euros, de M. Gallo, avocat au barreau de Grenoble qui inclut, sans les distinguer, les visites à la maison d'arrêt, l'intervention devant la chambre d'accusation de Grenoble et l'élaboration d'une demande de mise en liberté ;

Attendu qu'en l'absence de tout autre justificatif de nature à étayer la demande, la décision allouant à M. X... une somme de 800 euros de ce chef doit être approuvée ;

Sur les frais d'examen psychiatrique :

Attendu que M. X... sollicite le paiement de la somme de 3 750 euros au titre des frais qu'il prétend avoir exposés à l'occasion de l'examen psychiatrique dont il a fait l'objet, qu'il ne produit cependant qu'une facture d'un montant de 250 euros correspondant aux honoraires versés le 29 avril 2003 au docteur J... ;

Attendu qu'au regard de cette seule pièce, déjà produite lors de la requête initiale, il apparaît que le préjudice subi de ce chef a été pertinemment évalué à la somme de 250 euros ;

Sur la réparation du préjudice moral :

Attendu que, pour fixer à 19 500 euros l'indemnité réparatrice du préjudice moral, l'ordonnance attaquée retient que M. X... n'a pas été séparé de sa famille du fait de la mesure de privation de liberté mais que la mesure de détention est à l'origine d'une souffrance qui s'exprime sur un mode anxio-dépressif ;

Attendu qu'au vu du rapport d'expertise déposé le 10 juin 2005 M. X... réitère sa demande initiale en paiement de la somme de 101 500 euros en réparation de ses préjudices familial, social et moral en faisant valoir qu'il a été privé de la possibilité de voir ses deux filles en bas âge ainsi que sa mère pendant la détention et que son incarcération continue de peser sur les décisions du juge des enfants qui lui refuse un droit de visite ; qu'il ajoute que la détention provisoire a eu un impact particulièrement fort sur sa vie qui est marquée par la souffrance, l'amertume et un désarroi moral irrémédiable, sources de diverses séquelles psychologiques ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait valoir que le placement des deux enfants a été provoqué par les relations tumultueuses opposant le demandeur à sa compagne et que le maintien de la suspension du droit de visite à l'égard de l'aînée des enfants résulte du refus de celle-ci de revoir son père ; qu'il soutient que l'expertise psychiatrique ne révèle pas de dépression ni d'angoisse au sens de la pathologie mentale et que la détention n'a pas eu de retentissement psychologique sur la personne de M. X... ni n'a créé de trouble particulier ; qu'en conséquence la somme allouée en première instance répare largement le préjudice moral du demandeur ;

Attendu que, d'une part, si la séparation de M. X... d'avec ses enfants, qui résulte d'un jugement de placement antérieur à la mesure privative de liberté, ne peut être imputée à la détention, il apparaît cependant que le droit de visite qui lui avait été accordé a été suspendu le jour du prononcé du mandat de dépôt et qu'il n'a été rétabli que postérieurement à son élargissement et uniquement à l'égard de sa fille cadette ; que M. X... a également été privé de la possibilité de rendre visite à sa mère, qui est en Tunisie ;

Attendu que, d'autre part, s'il ressort du rapport d'expertise que M. X... ne souffrait pas, en juin 2005, de séquelles psychologiques majeures, l'expert note cependant que son état était encore marqué, à cette période, par une certaine tension psychique ; que, le docteur J..., psychiatre, qui a examiné M. X... le 29 avril 2003, certifie qu'il était à cette époque manifestement déstabilisé et qu'il avait réagi à son incarcération sur un mode anxio-dépressif toujours présent qui se traduisait par des ruminations obsédantes, une asthénie physique et psychique, des troubles du sommeil et un amaigrissement ;

Attendu qu'au regard de ces éléments et de l'âge du requérant au moment de son incarcération, et de la durée de sa détention, il convient de fixer à 24 000 euros l'indemnité réparatrice de l'intégralité de son préjudice moral ;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que, compte tenu de l'équité, il y a lieu d'allouer au demandeur la somme de 175 euros au titre de la présente instance ;

Par ces motifs :

Vu la décision du 29 octobre 2004 ;

Vu le rapport du docteur L... du 9 juin 2005 ;

ACCUEILLE partiellement le recours de M. Taoufik X... et statuant à nouveau ;

Lui ALLOUE la somme de 24 000 euros (vingt-quatre mille euros) en réparation de son préjudice moral ;

REJETTE le recours pour le surplus ;

Lui ALLOUE 175 euros (cent soixante-quinze euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 04-CRD013
Date de la décision : 21/10/2005
Sens de l'arrêt : Infirmation partielle

Analyses

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice matériel - Evaluation - Modalités - Détermination.

L'indemnité qui répare la perte des salaires étant de nature à remettre le demandeur dans la situation où il se serait trouvé s'il n'avait pas été placé en détention provisoire, celui-ci ne peut cumulativement prétendre à une indemnité correspondant au montant des loyers dont il aurait dû s'acquitter en l'absence d'incarcération.


Références :

Code de procédure pénale 149, 150

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 26 mars 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 21 oct. 2005, pourvoi n°04-CRD013, Bull. civ. criminel 2005 CNRD N° 8 p. 31
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles criminel 2005 CNRD N° 8 p. 31

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gueudet
Avocat général : Avocat général : M. Charpenel.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Chaumont.
Avocat(s) : Avocat : Me Couturier-Heller.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.CRD013
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